Présidentielles gabonaises : un rendez-vous manqué pour l’Afrique ?
Arrêter le cycle de l’exploitation, rétablir les peuples dans leur souveraineté, construire des partenariats de coopération d’un type nouveau. Tels étaient les symboles que l’Afrique avait attachés à l’élection présidentielle gabonaise...De ce point de vue, l’échec du changement attendu est aussi celui de l’Afrique dans sa capacité à négocier les processus de changement...S’agit-il là d’un déni de civilité ?

Le 9 mai 1994, Nelson Mandela accédait à la présidence de la République Sud Africaine, après de longues années d’apartheid vécues par ce pays. Il suscitait de grands espoirs, des rêves pour cette Afrique qui, partout, commençait à se démocratiser.
C’était un grand moment d’histoire pour les peuples africains et pour le monde. L’idéologie ségrégationniste de l’apartheid était devenue insupportable et venait d’être vaincue par la persévérance, les luttes d’un homme (Nelson Mandela) et l’engagement d’un peuple...
Depuis, jamais une élection présidentielle en terre africaine n’avait autant attiré l’attention.
Celle organisée le 30/08/2009 au Gabon, en remplacement d’Omar Bongo Ondimba décédé après 41 ans de règne, restera dans les mémoires comme l’une des plus grandes demandes de changement formulées par les africains : elle pouvait servir d’exemple.
Elle comportait des messages fort symboliques pour l’ensemble des africains : arrêter le cycle de l’exploitation, rétablir le peuple dans sa souveraineté, construire des partenariats de coopération d’un type nouveau.
Après une longue attente, les résultats de cette élection gabonaise ont été communiqués. Ali Bongo Ondimba, fils de feu Omar Bongo, a été élu président du Gabon avec 41,73% de suffrages exprimés.
Quelle lecture pouvons-nous faire de l’organisation de cette élection et des résultats communiqués ?
Il est trop tôt de se prononcer. Il semble tout de même, et a priori, que la dimension symbolique de cette élection a volé en éclat.
D’abord par la continuité (supposée ?) qu’elle instaure à travers l’élection annoncée d’Ali Bongo Ondimba, fils d’Omar Bongo, symbole de ces dirigeants qui ont pillé le continent et entretenu la misère de leurs peuples durant de très longues années.
Ensuite par les survivances qu’elle implique (ou qu’elle laisse planer dans l’imaginaire africain) de systèmes de gestion et de coopération internationale décriés partout en Afrique.
1- Ali Bongo : un symbole de continuité
Pour nombre d’africains et de gabonais, Ali Bongo est le symbole d’une continuité dynastique du pouvoir politique au Gabon.
Omar Bongo ayant régné durant 41 ans dans un contexte politique fait de dictatures, de corruption, de limitation de droits et libertés individuels, Ali Bongo, au demeurant ministre de la défense jusqu’à la campagne pour l’élection présidentielle, représente dans l’imaginaire collectif gabonais et africains la survivance ou la continuité du système politique mis en place par son père…Pour preuve, les discussions sur le personnage n’ont jamais pris le dessus sur cette représentativité du système Bongo qu’il incarne.
Au-delà du contexte gabonais, la candidature et l’élection probable de ce fils de président font courir le risque d’une généralisation du précédent dynastique qui semble se modéliser en Afrique depuis les successions d’Eyadéma au Togo et de Kabila en RDC par leurs fils.
2- Ali Bongo : l’homme de la françafrique
Le développement de l’actualité liée à l’évènement électoral gabonais avait révélé des accointances entre le clan Bongo et les réseaux français. Mr Bourgi (l’ami très écouté du président Sarkozy, qui travaille à la fois pour les présidents africains et pour le président français) ne s’en était d’ailleurs pas caché lors d’une interview accordée au journal le Monde, au cours de laquelle il déclarait : "Au Gabon, la France n’a pas de candidat, mais le candidat de Robert Bourgi, c’est Ali Bongo. Or je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy. De façon subliminale, l’électeur le comprendra."
Chacun appréciera cette allusion qui n’a d’ailleurs jamais été commentée par les officiels français. Homme des réseaux françafricains, les proximités africaines de Robert Bourgi ainsi que ces prises de position au sujet de l’élection gabonaise renvoyaient aux gabonais et africains une volonté de maintenir le partenariat nuisible de type « françafrique » entre la France et le Gabon. Ali Bongo semblant mieux placé pour assurer la bonne place des intérêts français dans ce pays, au péril du peuple gabonais.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les amalgames générés par ces prises de position conduisent à un sentiment post-électoral anti-français de la part des partisans de l’opposition et de la part de tous ceux qui espéraient un changement au Gabon. Mais je considère que s’en prendre aux biens, à l’intégrité physique de particuliers français ou à tout autre symbole français est une stratégie contreproductive de la part du peuple gabonais.
Quelles suites attendre de cette élection annoncée ?
1- Les combats de l’opposition gabonaise
Dans un contexte de doute sur la réalité des suffrages obtenus par Ali Bongo à l’issue de cette élection, l’opposition gabonaise est sûrement partagée entre les recours légaux et les contestations populaires.
Les premières ne peuvent avoir de sens que dans un environnement où les institutions judiciaires sont impartiales et indépendantes. La question est de savoir si l’on peut sérieusement accorder ce crédit aux instances judiciaires gabonaises. L’appareil actuel est encore sous l’emprise du clan Bongo et du PDG, le parti de feu Omar Bongo auquel appartient le président élu.
Quant aux contestations populaires, elles plongeraient le pays dans le chaos et nécessiteront, à n’en point douter, le recours à l’usage de la force. Ce qui, dans le contexte actuel, tournerait à l’avantage d’Ali Bongo qui pourrait bénéficier de l’appui des forces françaises présentes dans ce pays, la France n’ayant pas au demeurant contesté la légalité et la légitimité de l’élection du fils d’Omar Bongo Ondimba.
Enfin recourir à une négociation politique ajouterait aussi à la cacophonie démocratique gabonaise. Mais ce recours aurait l’avantage de rechercher le consensus d’une véritable démocratisation des institutions nationales. Partant des instances d’organisation des élections jusqu’à la constitution des autres pouvoirs institutionnels.
2- Le précédent gabonais et ses conséquences pour l’Afrique
L’échec du changement attendu au Gabon est aussi celui de l’Afrique dans sa capacité à transformer un idéal en acte, sa capacité à négocier les processus du changement.
S’agit-il d’un déni de civilité[1], d’une entrave infranchissable, d’une prédisposition raciale ? Ces questions ont une pertinence que les africains devraient ne plus écarter d’emblée.
Ils doivent trouver les moyens de leur donner des réponses claires pour affirmer leur propre civilité… Au risque de demeurer à l’ombre des lumières…
Realchange
[1] Je renvoie les lecteurs à Friedrich Hegel « La Raison dans l’Histoire ».
Extraits disponibles ici http://www.monde-diplomatique.fr/2007/11/HEGEL/15275
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