Quand l’ONU revêt le rôle de l’hôpital qui se moque de la charité
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, l’Organisation des Nations unies a rendu et adopté bon nombre de décisions dans l’intérêt de la lutte contre le terrorisme, devenu le véritable fléau de l’aube du XXIe siècle à l’échelle planétaire. Garante des droits de l’homme et du droit des Etats à disposer d’eux-mêmes, l’organe suprême des Nations unies s’est vu confier les pleins pouvoirs en matière de lutte anti-terroriste, lui permettant parfois d’agir au-delà des limites du droit international public.
Le
Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1373 (2001)
concernant la lutte anti-terroriste tiendra sa cinquième réunion
spéciale avec les organisations internationales, régionales et
sous-régionales sur le thème « Prévention de la circulation des
terroristes et sécurité effective des frontières ». La réunion se
déroulera du 29 au 31 octobre 2007, au Centre de conférence de l’Office
des Nations unies à Nairobi et remettra par la même occasion la question de la lutte anti-terroriste à la une de l’actualité internationale.
Revenons un tant soit peu en arrière, il y a quelques années, au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001 perpétrés aux États-Unis, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies a adopté à l’unanimité la résolution 1373
(2001) qui, entre autres dispositions, fait obligation à tous les États
d’ériger en infraction la fourniture d’une assistance aux fins
d’activités terroristes, de refuser tout appui financier et tout asile
aux terroristes et d’échanger leurs informations au sujet des groupes
qui préparent des attentats terroristes. (voir 1)
Le
Comité contre le terrorisme (CCT), constitué de quinze membres, a été créé
afin de contrôler de la meilleure façon possible l’application de
ladite résolution. Si l’objectif ultime du Comité est d’accroître la
capacité des États à combattre le terrorisme, il n’est pas, en théorie,
un organe de sanctions et il ne devrait pas détenir de listes de
terroristes, qu’il s’agisse d’organisations ou d’individus. Pourtant,
un enquêteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, plus
connu sous le nom de Dick Marty, présentera, à l’automne, un rapport
sur les pratiques « kafkaïennes » et « l’injustice flagrante »
d’un comité du Conseil de sécurité de l’ONU qui gère dans les faits une
liste de 362 personnes et 125 entités, sanctionnées pour leurs liens
présumés avec Al-Qaida ou les talibans. Nous sommes dans le cas présent
bien au-delà de l’activité purement préventive du Conseil de sécurité
de l’ONU qui, par l’intermédiaire du Comité contre le terrorisme dont
il exerce bien évidemment le contrôle, se transforme effectivement en
organe de sanctions.
Les Nations unies se retrouvent alors coupables d’actes qu’elles ne cessent de dénoncer chez leurs voisins, certains n’hésitant
pas à qualifier certaines procédures de l’ONU de « procédures
arbitraires » en dressant de véritables « listes noires ». Cet état de
fait est d’autant plus étonnant que le 21 avril 2005, la Commission des droits de l’homme, l’organe le plus compétent pour surveiller les mesures anti-terroristes selon Mme Koufa, rapporteuse spéciale sur la question du terrorisme et des droits de l’homme, a
nommé un rapporteur spécial pour la promotion et la protection des
droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la
lutte anti-terroriste. En créant ce poste, les Nations unies
reconnaissaient alors de façon claire et concrète « combien il est
important que le respect des engagements en faveur des droits de
l’homme fasse partie intégrante de la lutte internationale contre le
terrorisme ».
Dans
un communiqué du 5 août 2003 de la Commission des droits de l’homme de
l’ONU (voir 2), M. Soo Gil Park, expert de la Sous-Commission, a relevé
que la problématique du terrorisme et des droits de l’homme est marquée
par la tendance de nombreux États membres à utiliser le terrorisme
comme prétexte pour enfreindre les droits
de l’homme d’opposants politiques. M. A.S. Narang (Indian Council of
Education) s’est indigné de certains procédés employés par les États
qui se disaient champions des droits de l’homme et organise le fichage
systématique en cours aux États-Unis. Il a jugé essentiel que tous les
États s’emploient à respecter les droits de l’homme dans leur lutte
contre le terrorisme, car il importe de maintenir l’équilibre entre les
préoccupations sécuritaires et le respect des droits et des libertés
fondamentales. De plus, Mme T. Shaumian (International Institute for Non-Aligned Studies)
souligne que les mesures visant à lutter contre le terrorisme ne
doivent en aucun cas déroger aux normes fondamentales des droits de
l’homme acceptées par toutes les nations civilisées. Il incombe donc à
l’ensemble de la communauté des droits de l’homme et à des organes tels
que la Sous-Commission en particulier de contribuer au maintien du
fragile équilibre entre, d’une part, les besoins de sécurité aux
niveaux national et international et, de l’autre, la jouissance des
libertés civiles, sans lesquelles la vie ne vaut pas d’être vécue.
Le quotidien Le Monde (voir 3) cite le cas de Youssef Nada, responsable d’un établissement bancaire et résidant
un sein d’une petite enclave italienne en Suisse. Au lendemain des
attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont ni plus ni moins
accusé la banque qu’il dirige de financer le groupe terroriste
tristement célèbre Al-Qaida. Il a été, sans autre forme de procès,
placé sur la « liste noire » du Conseil. Désormais tous ses
avoirs ont été gelés et il lui est interdit de quitter son enclave, sa
prison est dorée, mais véritable et bâtie par les soins d’agents d’un
pays membre de l’ONU connu pour vouloir paraître comme étant un
véritable champion des droits de l’homme. « C’est Guantanamo en Suisse, déclare M. Nada au Monde. A 76 ans, je n’ai aucune chance de me remettre. Je suis assigné à résidence depuis six ans dans un territoire d’1,6 km2, sans hôpital, et je ne peux même pas me faire soigner en Suisse. » Que lui est-il reproché ? « Jusqu’à aujourd’hui, je l’ignore », dit-il. Il reconnaît avoir eu « des activités islamiques, mais jamais terroristes »,
et avoir été membre des Frères musulmans - organisation qui prône
l’instauration de la charia, c’est-à-dire un ensemble de règles de
conduites applicables aux musulmans
considéré comme l’émanation de la volonté de Dieu (Shar). Nous pouvons
alors nous demander si les charges prises à l’encontre de M. Nada
suffisent à lui infliger un tel traitement. Il subit ceci sans avoir au
préalable été jugé par une juridiction compétente en la matière, le
Conseil de sécurité est souverain et hors de tout contrôle judiciaire.
Est-ce normal pour un organe sensé appliquer et faire respecter les
droits de l’homme ?
Philippe Bolopion, journaliste au Monde, nous apprend que
le comité des sanctions contre Al-Qaida et les talibans a été installé
en 1999 et sert depuis le 11 septembre de raccourci pour neutraliser
des individus présumés dangereux, sans passer par de pesantes
procédures judiciaires. Seul un mémoire rassemblant les faits reprochés
à l’individu inculpé, présenté par quinze commissaires, suffit à l’addition
d’un nouveau nom à la liste noire où de simples citoyens inculpés pour
des faits souvent non avérés ou exagérés côtoient Oussama Ben Laden et Ramzi Binalshibh.
La menace terroriste est une réalité du XXIe siècle, mais peut-elle justifier de tels actes, en dehors de tout contrôle judiciaire, aussi lourd soit-il ? "Notre processus n’est pas judiciaire, il relève de la diplomatie préventive",
se défend le président du Comité des sanctions, l’ambassadeur belge
Johan Verbeke. Aujourd’hui, les règles d’addition d’un individu à la
liste ont été alourdies et Paris et Washington peuvent
autoriser la radiation d’un nom avec l’accord des quinze commissaires du
pays accusateur, mais ceci n’empêche en rien les abus de droit ni
l’aboutissement à une situation rocambolesque où des personnes
mentionnées sur les listes sont mortes depuis des années. Un Etat de
droit devrait-il être à même de refuser une décision du Conseil
onusien ? Il paraît important qu’un organe supranational gère le
règlement pacifique des conflits et la question de la lutte contre le
terrorisme, entre autres. Cependant, des moyens de contrôle contre les
décisions prises devraient être mis en place afin de renforcer
l’efficacité de mesures préventives anti-terroristes et éviter de
tomber dans une certaine déviance arbitraire venant entâcher la
crédibilité des instances onusiennes.
C.D.G.D.P.
Pour aller plus loin... Liens et références :
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