Quand Sarkozy rendait hommage à « notre ami » Moubarak
Bons copains. Alors que s'ouvre aujourd'hui le procès de l'ex-président égyptien, Nicolas Sarkozy fait profil bas, lui qui n’avait de cesse de cultiver une tendre amitié pour Hosni Moubarak. Flashback.
Hosni Moubarak est un « homme d’expérience et de sagesse », si l’on en croit les propos, tenus en 2007, par Nicolas Sarkozy. Dès son accession au pouvoir, le chef de l’Etat s’est inscrit dans la lignée de Jacques Chirac et François Mitterrand à propos de son ex-homologue égyptien. Durant trente ans, malgré la corruption et les atteintes aux droits de l’homme, le Raïs avait profité de l’indulgence de la France. C’était pourtant Nicolas Sarkozy qui promettait, dans un discours prononcé au soir de sa victoire à l’élection présidentielle, la « rupture » en la matière : « Je veux lancer un appel à tous les peuples de la Méditerranée pour leur dire que c’est en Méditerranée que tout va se jouer, qu’il nous faut surmonter toutes les haines pour laisser la place à un grand rêve de paix et à un grand rêve de civilisation(...). Je veux lancer un appel à tous ceux qui, dans le monde, croient aux valeurs de la tolérance, de la liberté, de la démocratie, de l’humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et les dictatures ».
A ses yeux, comme à ceux de ses prédécesseurs, l’Egypte semblait néanmoins pouvoir bénéficier d’un statut dérogatoire permanent sur la question de la démocratie. « Il faut aider monsieur Moubarak sinon c’est les Frères musulmans » : en 2008, le chef de l’Etat n’envisageait pas d’autre choix lorsqu’il justifia en ces termes son soutien à un homme présenté opportunément comme le rempart à l’islamisme. Lors de leurs nombreuses rencontres, notamment en décembre 2007 au Caire et l’an dernier, à Paris, les deux hommes n’ont pas manqué d’afficher publiquement leur estime mutuelle. Hosni Moubarak, qui co-présidait, de par la volonté de son « cher ami », l’Union Pour la Méditerranée, était également considéré comme une valeur sûre au regard des libertés individuelles. Dans un entretien accordé au journaliste Christian Malard, le Raïs avait affirmé, sans rire, sa volonté d’œuvrer en faveur des droits civiques : « Moi, je veux que l’Egypte soit un pays démocratique, à l’image des autres démocraties dans le monde, avec une économie libre et des partis politiques forts, que le peuple s’implique dans la vie politique ».
Une amitié personnelle envers un tel militant des droits de l’homme explique probablement le long silence de Nicolas Sarkozy pour condamner alors les exactions du régime égyptien. De toute évidence, il était délicat pour le chef de l’Etat de rejoindre spontanément les détracteurs d’Hosni Moubarak. Pour la diplomatie française, l’Égypte n’avait visiblement pas à subir le même traitement critique réservé à l’Iran ou à la Côte-d’Ivoire en raison de leurs manquements démocratiques.
Oum El Dounia
En cette « période absolument cruciale pour le monde » -comme il l’a déclaré fin janvier, Nicolas Sarkozy avait pu au moins compter sur une facétie du destin pour tenter de sauver son ami Hosni : l’envoyé spécial des Etats-Unis, chargé par Hillary Clinton de convaincre le président égyptien de quitter le pouvoir, est un membre du clan familial du chef de l’Etat. Frank Wisner, diplomate arabisant à la retraite et fils d’une figure historique de la CIA, est le mari de Christine de Ganay, une ex-épouse du père de Nicolas Sarkozy. Dans son adolescence, celui-ci passait régulièrement des séjours aux Etats-Unis auprès de cette famille américaine regroupée autour de son ancienne belle-mère. Et depuis les années 70, ces liens se sont maintenus comme en atteste l’implication du fils, prénommé David et également diplomate, de Frank Wisner dans la communication anglophone de la dernière campagne présidentielle de l’UMP. Par un concours de circonstances, l’émissaire américain s’est avéré être le mieux placé pour informer Nicolas Sarkozy du sort réservé alors au président égyptien.
Frankie goes to Hollywood
Confronté à la colère de ses concitoyens, l’ex-compagnon de route de Gamal Abdel Nasser aura eu sans doute tout le loisir de méditer sur la cruelle ironie de sa chute : Frank Wisner, délégué exceptionnel des Etats-Unis et intime de Nicolas Sarkozy, incarne également l’oligarchie britannique, au vu de la place qu’il occupe au sein d’un puissant cabinet de renseignements privés, dénommé Hakluyt. Cet organisme, fondé par des anciens espions du MI6, est le fleuron des héritiers de l’Empire britannique : grands industriels, magnats du pétrole et banquiers de la City s’y côtoient en toute connivence. Par une étrange fatalité, le sort de l’ancien protectorat britannique fut tributaire, dans les coulisses, de la capacité d’influence d’un homme, Frank Wisner, qui représente à la fois le parrain américain et l’élite anglo-saxonne. S’il ne devait rester qu’un seul motif pour une insurrection populaire en Égypte, ce serait celui-là.
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