Que se passe-t-il aux Etats-Unis ?
Occupés à sortir du confinement, les Français accordent une oreille discrète à l’actualité politique des Etats-Unis. Pourtant, une grande agitation s’empare des cercles du pouvoir. La campagne présidentielle américaine devient la scène d’un combat complexe et titanesque.
Les Etats-Unis ressemblent de plus en plus à un champ de tir. Il y a quelques jours, circulait la vidéo glaçante d’un joggeur noir assassiné par deux hommes blancs. A Washington, dans les cercles du pouvoir, les outils de communication sont utilisés comme des armes à destruction de réputation. Un scénario, digne des scénaristes de Homeland et de Person of Interest, met le feu dans la capitale fédérale américaine : on y croise des références aux crimes, aux manipulations politiques, au « complotisme », à l’Etat profond, à la Central Intelligence Agency (CIA), au Federal Bureau of Investigation (FBI) et aux militaires. Bref, toutes les ficelles d’une histoire à rebonds, contée dans les palais du pouvoir ou diffusée sur une chaîne du câble, sont mobilisées pour édifier les observateurs. Edifier et inquiéter car l’orage gronde et la foudre menace de tomber, mais où et sur qui ?
Une vive agitation en pleine crise de Covid-19
Tout récemment, le 7 mai dernier, le ministère américain de la justice a renoncé aux poursuites contre le général Michael Flynn, personnage clé de Donald Trump dans sa prise de pouvoir. Le général était accusé d'avoir organisé un rapprochement entre Moscou et l'actuel président des Etats-Unis lors de la campagne de 2016. Les charges contre le général Flynn sont abandonnées au motif qu’aucune pièce sérieuse à son encontre aurait été produite par le FBI. Pire, le FBI est suspecté d’avoir conduit une enquête frauduleuse et illicite pour piéger Flynn, une enquête sans base légitime. Cette décision a fait immédiatement polémique et l’ancien directeur du FBI, James Comey, appelle à ne pas renoncer à enquêter sur Michael Flynn. Ambiance, ambiance…
Encore plus récemment, le président Trump s‘est mis à tweeter et retweeter sur un « Obamagate ». Des indices paraissent lier les accusions dirigées contre le général Flynn à l’ancien président américain, Barack Obama. Selon Gerald Olivier, des documents, récemment déclassifiés par le ministère de la Justice le prouveraient. Barack Obama aurait su que l’enquête diligentée contre Michael Flynn était dénuée de fondement. Ces mêmes documents indiqueraient que le président Obama a demandé à son staff de garder secrètes certaines informations, plutôt que de les transmettre à la nouvelle administration. L’ancien président suivait donc de très près les enquêtes du FBI contre Donald Trump et son entourage ; il savait qu’elles étaient dénuées de preuves, mais il les a laissé se poursuivre, voire, selon Trump, il les aurait encouragées.
Cette agitation se déroule en pleine crise du Coronavirus, et chamboule les règles de retenue qui jusqu’alors s’imposaient aux anciens présidents américains. En effet, Barack Obama a clamé haut et fort que la gestion de la crise du Covid-19 par le président Trump est un « désastre chaotique absolu ». Jamais un ancien président américain n’avait exprimé une aussi violente critique vis-à-vis de son successeur immédiat. Cette attaque, outre qu’elle brise la réserve habituelle des anciens présidents vis-à-vis de leurs successeurs, peut surprendre au regard des chiffres. En effet, dans la lutte contre le Covid-19, les Etats-Unis sont loin de présenter les résultats les plus mauvais : au 12 mai 2020, le taux de mortalité Covid-19 était aux Etats-Unis de 247 décès par millions d’habitants contre 408 en France et… 751 en Belgique. Si le nombre de personnes contaminées augmente aux Etats-Unis, cela s’explique aussi par la politique de test mise en place par Donald Trump [9 616 855 tests pratiqués aux Etats-Unis à la date du 12 mai 2020 (2,9% de la population) contre 1 384 633 en France (2% de la population) ]. Plus on fait de tests, et plus on identifie les personnes contaminées. Enfin, il ne faut pas oublier qu’aux Etats-Unis, la lutte contre le Covid-19 est aussi gérée par les Etats et donc par les gouverneurs.
En réponse aux critiques de Barack Obama, Donald Trump a réagi avec vigueur. Est-ce l’approche de la prochaine élection présidentielle qui justifie l’intensité de ce combat entre Barack Obama et le président Trump ? La réponse est surement positive dès lors que les démocrates veulent naturellement prendre leur revanche sur l’élection de 2016 et gagner celle de 2020. Toutefois, au regard de la tension existante dans les sphères du pouvoir, la prochaine élection présidentielle ne paraît pas tout expliquer. Un mal plus profond et plus complexe entre Trump et les démocrates, et plus généralement entre une partie de la population américaine et ceux qui ont occupé le pouvoir pendant des décennies, semble gangréner le pays.
L’opposition du clan Obama/Clinton à Donald Trump
La première observation que l’on peut faire dans le cadre de cette opposition, concerne le candidat officiel des démocrates à l’élection présidentielle : Joe Biden. Le président Trump s’est longtemps interrogé sur l’absence de soutien du président Obama au candidat officiel des démocrates. Depuis le 14 avril 2020, c’est fait mais ce fut long. Cette interrogation sibylline de Trump est typique de la manière de faire du président américain. Sous des airs de naïves interrogations, et donc l’air de rien, le président américain oriente le regard là où il veut que l’on regarde. Que voit-on ? Quelque chose de troublant : un candidat officiel du parti démocrate ayant longtemps attendu le soutien de l’ancien président démocrate ; un candidat officiel qui aurait du mal à terminer ses phrases et même à se souvenir de choses pas si lointaines. En clair, Joe Biden serait malade, il aurait des troubles cognitifs. Cette situation est inquiétante car si Joe Biden est élu, il entrera en fonction à un âge plus avancé que celui de Reagan au terme de ses deux mandats ! Une rumeur se répand : la colistière de Joe Biden pourrait être Michelle Obama ! Evidemment, en cas de troubles cognitifs avérés et s’accentuant, Mme Obama aurait comme destin de remplacer Joe Biden à la course à la présidence, voire à la présidence si Joe Biden renonce après son élection. Cette hypothèse agite les couloirs de Washington au point que le président Trump s’amuse à s’interroger sur ce qu’il se passe dans le camp démocrate.
Une entrée dans la campagne présidentielle de Michèle Obama ne serait pas une surprise en soi. Michelle Obama jouit d’une grande popularité, à titre personnel et en tant qu’ancienne première Dame. Une telle hypothèse permettrait de comprendre cette étonnante rupture du devoir de réserve de Barack Obama vis-à-vis de son successeur.
La deuxième observation qui s’impose est l’incroyable annonce d’un « Obamagate » par Donald Trump. Certes, l’actuel président américain déstabilise souvent par ses prises de positions, mais là, il s’agit quand même d’annoncer un scandale qui concernerait une personnalité importante de l’histoire contemporaine américaine et une personnalité qui, par une éventuelle élection de sa femme, pourrait retrouver les allées du pouvoir. Que se cache-t-il derrière cette expression d’« Obamagate » ? En consultant les déclarations de Trump, de ses soutiens et d’une partie de la presse, il semblerait que Barack Obama, avant de quitter la présidence et au cours de la période de transition entre la présidence sortante et la présidence élue, ait caché des informations à l’équipe de Trump et laissé se dérouler une enquête sur le général Flynn sans fondement sérieux. Barack Obama aurait-il tenté de manipuler l’opinion, la justice, et de déstabiliser un président élu démocratiquement ? Si ces suspicions étaient fondées, on mesure leur gravité et leurs conséquences sur notre perception de la démocratie américaine. Ce qui interpelle, c’est la répétition par Trump de l’annonce d’un « Obamagate ». Soit le président américain en place est désormais totalement en roue libre, soit il dispose d’éléments factuels pour étayer en partie ou en totalité les accusions dirigées contre Barack Obama.
La dernière observation est un retour sur une vidéo de campagne de Donald Trump datant de 2016. Dans cette vidéo, le candidat républicain accuse les démocrates, et plus particulièrement le clan Clinton, de collusion avec des financiers dont le seul intérêt est la maximisation de leurs profits aux dépens des Etats-Unis et du peuple américain. Dans cette vidéo, Donald Trump déclare à propos d’Hillary Clinton « honnêtement, elle devrait être enfermée » et il accuse les lobbys financiers d’avoir assujetti la presse, laquelle serait devenue une arme de propagande. Donald Trump déclare même que « les Clinton sont des criminels » et que la corruption règne dans l’establishment. Les propos tenus par Donald Trump sont durs, graves et inquiétants. Ce qui est aussi inquiétant, c’est que presque quatre années après sa diffusion, cette vidéo n’a pas servi de support à un procès en diffamation de la part du clan Clinton. Que penser de tout cela ? Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Nous ne pouvons que rapporter cet élément factuel pour nous aider à comprendre la nature du climat d’extrême tension qui existe entre les démocrates, et singulièrement le clan Clinton/Obama, et les républicains, et particulièrement le clan Trump.
Un allié à surveiller
Indéniablement, des tensions redoutables se font jour dans la capitale fédérale américaine. On parle de crimes, de trahisons et aucune de ces accusations n’est contestée officiellement devant la justice. Cela est curieux dans un pays où derrière chaque bosquet se cache un avocat prêt à intenter un procès.
Si ce que dit Donald Trump était vrai, alors les conséquences de ses accusations auraient une portée internationale. En effet, au-delà du clan Obama/Clinton, l’actuel président américain semble vouloir porter un coup fatal à un « Etat profond », c’est-à-dire un réseau de pouvoirs, principalement financier, qui assujettirait la planète à ses volontés et mépriserait les Etats. L’« Obamagate » pourrait être perçu comme le premier domino qui entraînerait dans sa chute tout un système dénoncé par Trump. Si ce que dit Donald Trump était faux, alors le président américain aurait une vision pathologiquement « conspirationniste » du monde. Dans cette hypothèse, l’élection de 2020 serait une mise à nue de cette vision et de son caractère dément. Dans tous les cas, les informations qui seront portées à la connaissance du public, quel que soit le sens dans lequel elles abonderont, seront d’une grande utilité pour comprendre les mécanismes sur lesquels reposent les pouvoirs politiques et économiques contemporains. Ce qui se passe aux Etats-Unis a une importance qui va donc au-delà des frontières américaines.
L’élection américaine doit avoir lieu le 3 novembre 2020. D’ici là, ça va tweeter et retweeter dans tous les sens et des poursuites judiciaires vont peut-être arriver. Espérons qu’aucune arme à feu ne vienne détériorer un climat largement délétère. Une chose est sûre, nous devons tous garder un œil sur ce qui se passe à Washington.
Régis DESMARAIS
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