Québec : que s’est-il passé pour en arriver là ?
Nadine Breton, citoyenne reporter pour Le Grand Ecart et professeur d'université au Québec, nous propose une trilogie d'articles bien documentés sur les manifestations étudiantes et les mobilisations populaires qui ont lieu au Québec, depuis bientôt 4 mois. Voici le premier volet.
PREMIER VOLET D’UNE TRILOGIE.
Certains vous diront que c’est la faute à Charest, le Premier Ministre du Québec et d’autres affirmeront que c’est la faute àNadeau, le porte-parole de la CLASSÉ (Coalition Large de l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante). Quoiqu’il en soit, après plus de 100 jours de conflit, la situation semble actuellement sans issue. D’un côté, il y a les membres du gouvernement qui, en déposant le budget, ont fait l’annonce d’une augmentation de 75 % des droits de scolarité et de l’autre, les étudiants qui réclament le gel des droits de scolarité. Ainsi, le seul point sur lequel tout le monde peut s’entendre aujourd’hui, c’est que le problème est hautement polarisé.
Quelques chiffres pour mieux comprendre la situation
Selon Statistique Canada, au Québec, en 1981, les droits de scolarité annuels à l’université étaient de 567 $, le salaire annuel avoisinait 24 300 $, une maison coutait en moyenne 54 000 $ et le litre d’essence 0,36 $. Aujourd’hui, les droits de scolarité annuels à l’université atteignent 2 168 $ (4 fois plus qu’en 1981), le salaire annuel moyen a presque doublé pour plafonner à 42 000 $, tandis que le prix des maisons a quadruplé atteignant désormais 210 000 $ et que le litre d’essence a plus que triplé pour se vendre 1,28 $. A tout cela, le gouvernement Charest voulait augmenter les droits de scolarité de 1 625 $. Je dis bien « voulait », car suite aux premières tentatives de négociations qui ont échoppées lorsque, plus de 10 semaines après le début du mouvement, le premier ministre et la ministre de l’Éducation ont fait une offre globale. Offre qui a été rejetée massivement, puisqu’on ne parlait plus de 1 625 $ d’augmentation sur cinq ans, mais de 1 780 $ sur sept ans. 0,50 $ par jour, ont clamé en chœur Line Beauchamp et Jean Charest.
Comme si les étudiants ne savaient pas compter !
Les deux parties parlent la même langue et pourtant…
Dès le début du mouvement, mi-février, il y a eu des problèmes avec la définition de certains termes. Le premier étant le mot GRÈVE ! Un mot qui fait frémir monsieur Charest. Pour comprendre sa réticence au son même de ce mot, il importe de mentionner comment fonctionne le système québécois. Au Québec, ce ne sont pas tous les travailleurs qui sont syndiqués et on comprend bien que pour eux, la grève est un droit auquel ils n’ont pas accès. Pour les autres, ceux qui, dans leur milieu de travail, sont représentés par un syndicat, il faut savoir qu’ils n’ont pas la possibilité d’adhérer à celui de leur choix. Les infirmières ont leur syndicat ; les policiers, le leur ; les gens de la construction en ont un autre ; tout comme les professeurs, les chargés de cours, les enseignants, etc. Ainsi donc, lorsqu’une personne signe un contrat de travail dans une profession où un syndicat existe, elle est automatiquement affiliée à celui-ci. Et que ça lui plaise ou non, ses cotisations syndicales sont prélevées directement sur son salaire. Elle conserve néanmoins le droit de ne pas être syndiquée, alors que ses cotisations seront tout de même perçues. Ensuite, en cas de problème majeur dans le milieu du travail, une grève peut être proposée. Lorsque c’est le cas, tous les membres du syndicat sont appelés à voter et c’est la majorité qui l’emporte. Dans de telles conditions, une grève ne peut être déclarée que si, et seulement si, plus de 50 % des votes sont en sa faveur. Et lorsqu’elle est votée, même les travailleurs qui se sont exprimés en sa défaveur se retrouvent automatiquement en grève. Le fonctionnement des centrales syndicales du Québec ne laissent à personne la liberté d’adhérer ou non au mouvement de grève. C’est tout le monde ou personne selon les résultats obtenus lors du vote. Ce fonctionnement est établi par le code MORIN.
La légitimité du mouvement actuel découle du fait que les étudiants ne sont pas des travailleurs et ne peuvent pas être syndiqués. Et oui… il semblerait qu’au Québec, les étudiants n’aient pas le droit de faire la grève !
Toutefois, dans toutes les facultés universitaires et dans tous les CEGEP où les votes se sont prononcés en faveur de la grève, cela s’est fait à plus de 50 %. C’est donc cela qui, au regard du mouvement étudiant, rend cette prise de position démocratique, même si le premier ministre refuse catégoriquement de le reconnaitre. Plutôt que de parler de grève, monsieur Charest préfère utiliser le mot boycott (défini dans le dictionnaire comme un refus d’entretenir des relations avec une personne, un groupe de personnes, une entreprise ou un État dans le but d’exercer des pressions). Mot pour mot, boycott pour grève, le fait est que les étudiants qui ne sont pas en cours actuellement sont ceux pour qui les membres de leur faculté ou de leur CEGEP ont voté en faveur de ce moyen de pression dans le but de protester contre la hausse draconienne des frais de scolarité. Rappelons que nous parlons ici d’une hausse de 75 % sur cinq ans, alors que le salaire minimum en 2011 n’a augmenté que de 2,6 %.
L’autre terme sur lequel le gouvernement et les étudiants ne s’entendent pas est celui de porte-parole. Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la CLASSÉ, Martine Desjardins, porte-parole de la FEUQ et Léo Bureau-Blouin, Porte-parole de le FECQ assument leur rôle de façon démocratique. Ainsi, lorsqu’ils ont signé la proposition du 5 mai, ils l’ont fait en mentionnant clairement à la ministre de l’Éducation qu’ils allaient devoir la soumettre à leurs membres avant de l’accepter. Et c’est ce qu’ils ont fait.
L’offre a été rejetée massivement lors des votes dans les diverses assemblées générales et c’est à ce moment là que fut ouvert ce nouveau débat de sémantique : Porte-paroles étudiants qui soumettent une proposition versus leaders étudiants qui devraient recommander l’offre du gouvernement. Dans les médias, tant que le sujet de discussion portait sur la définition des termes employés pour définir le rôle des trois porte-paroles du mouvement étudiant, l’objet même de la grève (ou du boycott) n’était plus à l’avant-plan. Pire encore… ce débat sémantique permettait d’éluder une question somme toute très importante : Comment se fait-il que l’entente signée par les trois porte-paroles étudiants et la ministre de l’éducation ne soit pas tout à fait la même que celle qui avait été convenue oralement ? Une réponse assez évasive a été fournie à l’ensemble de la population par la ministre de l’Éducation : « Il est normal qu’après 21 heures de négociations les parties se séparent après la signature et que l’une d’elle reste pour mettre sur papier ce qui a été dit oralement. »
N’est-ce pas ce qu’on appelait un blanc-seing sous les temps lointains d’une monarchie absolue ?
D’autant que cette offre ou cette entente (autre débat sémantique), une fois écrite, ne faisait plus mention du gel des droits de scolarité pour la session d’automne. Le moratoire demandé par la partie représentant les étudiants avait tout simplement été oublié. Moratoire : autre vilain mot qui donne de l’urticaire à l’ensemble des membres du gouvernement ! Mot sur lequel un débat sémantique ne peut être ouvert, puisqu’il est tout simplement banni.
Jouer sur les mots pour faire dévier le problème initial vers des débats sémantiques puérils semble être une arme que le gouvernement affectionne. Ainsi, le peuple québécois s’est instruit en apprenant à bien faire la différence entre grève et boycott, entre porte-parole et leader, entre offre et entente, mais aussi entre dénonciation et condamnation, car depuis le début du mouvement, le jeune Gabriel Nadeau qui avait osé refuser de condamner la violence s’est fait mettre au banc des accusés. Les quelques images de violence que le journal télévisé passait en boucle ont été, à la demande du gouvernement, dénoncées et condamnées par Martine Desjardins de la FEUQ et par Léo Bureau-Blouin de la FECQ. Gabriel Nadeau-Dubois, quant à lui, n’a fait que la dénoncer. Considérant que le problème ne découlait pas des étudiants, mais plutôt des casseurs infiltrés ou, pire encore, de l’attitude trop brutale de certains policiers ; considérant aussi qu’il ne pouvait pas avoir la responsabilité de contrôler toute la colère des étudiants face à cette crise, il a simplement refusé de condamner cette violence. Violence qui, soit dit en passant, fut d’abord et avant tout engendrée par le manque d’écoute au regard des demandes étudiantes. Pas une seule fois, au cours de ce conflit, monsieur Charest, le premier ministre du Québec, n’a daigné s’assoir avec leurs porte-paroles ne serait-ce que cinq minutes.
C’est donc ainsi que Gabriel Nadeau-Dubois s’est retrouvé accusé de tous les maux. Et c’est aussi à partir de ce moment que Jeanne Reynolds, une des trois autres porte-paroles de la CLASSÉ, a décidé de se montrer au grand public pour accompagner Gabriel Nadeau-Dubois dans les démarches médiatisées.
C’est la faute à Gabriel – De Luc Sasseville par lereseauquebec
LE SECOND ET LE TROISIEME VOLET DE LA TRILOGIE SONT DISPONIBLES ICI ET ICI
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON