Quel a été le rôle de la France en Libye ?
La fin du calvaire pour les six détenus bulgares en Libye deviendra, certainement, un repère dans l’évolution des relations internationales. Dans un contexte européen en berne, il symbolise le retour dans le concert des nations, fortement encouragé par les États-Unis, d’un des pays clés de la géopolitique des hydrocarbures. Face à ces enjeux, les informations transmises dans les médias français, détaillant à l’infini les déplacements de Cécilia et les attermoiements des députés de l’opposition, servent efficacement à alimenter l’image d’un Sarkozy super-héros auprès des Français.
Le rôle des États-Unis, leur leadership continu dans les relations entre la Libye et les pays occidentaux est étonnamment escamoté dans le récit des médias français. Nous ferait-on croire qu’un président d’un pays européen s’aventurerait dans un rough state de son propre chef ? Mieux, que son épouse débloquerait une situation dramatique depuis huit ans en deux déplacements ?
Nous constatons que les États-Unis ont proclamé leur souhait de normaliser leurs relations avec la Libye depuis la levée de l’embargo il y a trois ans. Depuis 2003 et l’abandon par la Lybie de toute production d’armes de destruction massive, puis après le paiement des indemnités pour les attentats terroristes, la détention des infirmières bulgares était le dernier obstacle à franchir pour rétablir officiellement des relations économiques avec Tripoli.
Washington, qui répugne à négocier avec les rough states tant que ceux-ci n’ont pas montré patte immaculée, bloquait donc la situation en attendant de trouver un volontaire pour endosser publiquement le rôle de négociateur. Ceci commençait à impatienter les multinationales américaines qui faisaient de plus en plus pression pour exploiter le pétrole et développer le marché libyen.
Seulement voilà : "qui" peut désamorcer publiquement ce conflit et donc négocier avec Kadhafi le terroriste ? La Maison-Blanche ne pouvait pas se le permettre pour des raisons internes. Par ailleurs, elle ne devait pas être favorable à la mise en avant de la Commission européenne, qui travaillait depuis le début sur ce dossier, car cela aurait contribué à donner une existence morale et politique symbolique à l’Union européenne.
Le nouveau président français a été unanimement salué dans la presse américaine lors de son élection. Le Washington Post du 7 mai le qualifie "d’admirateur sans complexes de l’Amérique", de "passionné, pragmatique et pugnace" tandis que Fox News le même jour le qualifie de "pro-américain", de "bon médicament pour la France" et se demande si la France deviendra a strong US ally grâce à lui.
On peut imaginer que son rôle ait été en effet d’apporter une touche finale à un processus de négociation qui durait depuis des années, et d’éviter aux États-Unis d’avoir à assumer publiquement une posture malaisée vis-à-vis de leur opinion publique domestique.
Les 458 millions de dollars permettant de dédommager les familles auraient été avancés par le Qatar sur promesse de remboursement par la Communauté européenne. Cette somme, que la commissaire européenne Benita Ferrero-Waldner qui était en déplacement avec Cécilia Sarkozy à Tripoli, qualifie de "pas si importante" au regard du drame encouru par les familles libyennes, ne laisse apparaître aucune implication américaine.
Pourtant, le soir même de la libération, le président bulgare remercie personnellement le président Bush "pour son assistance et support". La presse bulgare remerciera le lendemain le monde entier, y compris bien sûr le couple Sarkozy, mais seule la Maison-Blanche reconnaîtra avoir été contactée par le président Parvanov.
Le jour même, Condoleezza Rice annonce son voyage à Tripoli et George Bush nomme, pour la première fois depuis vingt ans, un ambassadeur en Libye. Les contrats commerciaux sont prêts à être signés.
C’est vrai, la vente d’un réacteur nucléaire (et des armes pour 200 millions d’euros) obtenue par la France n’a pas dû être une contrepartie à la libération des infirmières. Elle serait, si on pousse cette logique jusqu’au bout, plutôt une sorte de compensation pour services rendus.
La Maison-Blanche, qui a les moyens de s’arroger tous les marchés, en laisse quelques-uns en signe de remerciement à la France. En fait, c’est bien peu par rapport au potentiel du marché libyen et c’est bien peu en comparaison du contrat de 900 millions de dollars signé déjà en mai dernier par Tony Blair (toujours premier de la classe) pour du gaz, sans compter celui que la Grande-Bretagne doit être en train de signer pour du pétrole. Et pour les Français, même pas de pétrole ?
Le bilan de l’opération me semble très mitigé. D’un côté Sarkozy a clairement gagné une place de super-héros, confortée par une opposition qui ne pose pas les vraies questions, de l’autre, cette commmunication interne a un prix. L’opinion allemande est très critique vis-à-vis de cet acte de cavalier seul. L’Europe, qui a tellement besoin de parler d’une seule voix, est encore une fois bafouée, et la fourniture d’un réacteur nucléaire à la Libye donne raison à toutes les ONG du monde de s’inquiéter. Même si le porte-parole de la Maison-Blanche déclare ne pas voir d’inconvénient à la fourniture d’un réacteur nucléaire civil par la France, at first glance.
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