Quelle issue pour le conflit en Afghanistan ?
En France, l’interview qu’a donné le général de division Vincent Desportes au Monde le 2 juillet dernier a généré des remous importants au ministère de la Défense. En jugeant que la guerre en Afghanistan est actuellement dans une impasse, cet officier partage une vision de nombreux experts. Néanmoins, la stratégie de la contre-offensive sur le long terme mise en œuvre par les américains, par le nouveau commandant des forces alliées à Kaboul David Petraeus comme par son prédécesseur Stanley McChrystal, peut compter sur un allié inattendu : L’enrichissement providentiel du pays. La découverte cette année d’importants gisements de matières premières pourrait résulter, là aussi sur le long terme, sur une émancipation des afghans dans les campagnes et, par conséquent, sur un recul des talibans.
L’opération Khanjar, l’offensive américano-afghane déclenchée par le brigadier-général Lawrence D. Nicholson dans la nuit du 1er au 2 juillet 2009 dans la province du Helmand, était la plus grande opération héliportée menée par les Etats-Unis depuis la guerre du Vietnam. Douze mois ont passés, et les troupes alliées stagnent sur le terrain. De fait les américains ont compris la décision du président Obama lorsque celui-ci a limogé, le 23 juin dernier, Stanley McChrystal, le général responsable des opérations. Le New York Times avait déjà présenté comme « chroniquement insubordonné » cet homme qui a pressé publiquement le secrétaire à la Défense Robert Gates d’envoyer davantage d’hommes et de matériel sur le sol afghan et qui a tenu des propos acerbes à l’encontre de plusieurs civils de haut rang, dont le Vice-président Joe Biden, dans un numéro du magazine Rolling Stone, paru le 8 juillet dernier. Le journaliste Michael Hastings, en pointant les distances constantes entre le président et le général, y rappelait deux affaires épineuses pour McChrystal : celle des mauvais traitements des prisonniers du camp Nama en Irak et celle du caporal Tillman, mort accidentellement en Afghanistan en 2004.
A la vue des positions de chacun, la guerre en Afghanistan se fait dans la confusion. C’est en réalité d’un conflit d’usure qu’il s’agit, et de l’aveu de l’état major militaire, le bout du tunnel serait loin. Accidentellement ou non les forces de l’OTAN ont déjà provoqué la mort de quelque 90 civils au cours des quatre premiers mois de 2010, soit une augmentation de 76% par rapport à la même période en 2009. Les tenants de la stratégie mise en place, celle de la contre-insurrection (ou COunterINsurgency, COIN) sont confrontés à une population afghane méfiante voire hostile. Ils ne tiennent en aucun cas à engendrer davantage de pertes civiles pour ne pas ruiner l’espoir de gagner la sympathie des villageois.
David Petraeus, l’homme de la situation ?
David Petraeus a pris la relève de Stanley McChrystal pour diriger les opérations en Afghanistan le 23 juin dernier. Pour l’heure, l’homme, pressenti comme possible candidat à la Maison Blanche en 2016, a bonne presse. Thomas E. Ricks, journaliste spécialisé dans les questions de défense et auteur du livre « The Gamble » où sont relatées les opérations militaires en Irak de 2006 à 2008, dépeint le général comme étant « exceptionnellement intelligent, costaud, régulé et qui sait tenir ses distances ». La prise de fonction de Petraeus fut couronnée par une cérémonie organisée au QG de la force internationale d’assistance à la sécurité (Isaf), et son message fut entendu : « L’Afghanistan est un challenge difficile, mais les combats les plus rudes m’ont toujours intéressé ». A bien des égards, le général Petraeus débarque en Afghanistan dans des circonstances semblables à celles qu’il a connu lorsque il y a trois ans il était à la tête des opérations en Irak. Il a su y redresser la situation bien que les américains jugeaient le cas désespéré.
Cela étant dit les paramètres diffèrent d’un cas à l’autre. Le pays d’Hamid Karzai, où le taux d’analphabétisme a été estimé à 71% par l’Unicef en 2007, est bien plus désœuvré que la nation dirigée par Nouri al-Maliki qui est une terre urbanisée, plus instruit et plus riche de son pétrole. Petraeus reconnaît lui-même ne pas avoir de solution sur mesure. Selon le site usmilitary.com, « le général se doute que les moyens déployés en Irak ne produiront pas les mêmes résultats en Afghanistan. Il a même estimé que les choses allaient empirer avant qu’une amélioration de la situation se produise. Et les différences sociales, économiques et culturelles entre les deux pays apparaîtrons de façon très nette à l’issue de la montée en puissance des forces alliées. Il ne faut pas oublier que même en Irak la pression sur les terroristes et les insurgés avait initialement donné cours à une escalade de la violence avant que celle-ci ne retombe à des niveaux d’avant-guerre. La situation en Afghanistan est plus explosive ».
Les matières premières viennent bousculer l’équation
Le magazine d’analyses économiques et politiques de Washington Foreign Policy a tenu à rebondir sur l’annonce du New York Times faisant état dans son édition du 14 juin dernier de « la découverte par des géologues américains en Afghanistan d’immenses gisements de fer, de cuivre, d’or, de cobalt, de pierres précieuses et de lithium, essentiel pour produire les batteries de téléphones mobiles et ordinateurs portables ». Les spécialistes en conviennent : Ces ressources, estimées à 1.000 milliards de dollars, pourraient changer la face de l’Afghanistan si elles étaient exploitées à bon escient, pour peu que le pays ne succombe pas à « la malédiction des matières premières » qui mine des Etats comme la république démocratique du Congo ou la Bolivie. De plus, comme Foreign Policy l’évoque, les retombées ne seraient pas perceptibles de sitôt, « car même en temps de paix les projets miniers ne se concrétisent parfois pas avant une décennie ».
Le quotidien Asia Times en est conscient : « Même si le Pentagone espère que ces ressources minérales changeront la face de l’Afghanistan pour en faire un pays industriel et moderne, il faut avant tout développer les infrastructures ». La version en ligne du journal précise par conséquent que la Chine est sur les rangs pour « établir des liaisons routières et ferroviaires solides avec l’Afghanistan à l’image de la ligne Shirkhan-Bandar-Kondoz-Mezare-Sharif-Herat qui pourrait relier la première puissance d’Asie à l’Afghanistan en traversant le Tadjikistan ». Un autre problème réside dans le degré de corruption du pays. Conrad Schetter, du Centre de Recherche pour le développement à Bonn, en Allemagne, précise ainsi que « l’Etat de droit y est minimal » en ajoutant que « de grandes entreprises installées en Afghanistan pourraient dilapider une grande partie de la manne au détriment des caisses de l’Etat et de la population locale. Les projets, détournés, pourraient engendrer une escalade de la corruption et du clientélisme ». Mais bien que l’administration afghane figure déjà parmi les plus inefficaces de la planète, les revenus générés par les matières premières pourraient, à en croire Foreign Policy, « aider l’Etat à se passer de l’aide internationale, qui couvre pour l’heure 70% de son budget, pour peu qu’un contrôle international se mette en place à Kaboul ».
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