Rafale : un contrat stratégique, mais pas pour la France
C'est une réussite commerciale, la première d'une longue série d'exportations, dit-on, et la promesse de la pérennité industrielle pour Dassault (à qui il ne manquait que ces contrats pour faire figure d'authentique champion national, Montebourg doit être fier), et pour toute l'industrie de l'armement - qui comme chacun sait, représente quinze milliards d'euros de chiffre d'affaire annuel, dont un peu moins de la moitié pour le moyen-orient, et fait la fierté de notre pays. Peut-être même pour l'industrie française en général ; par les temps qui courent personne ne cracherait sur quelques milliards d'exportations.
Bref, l'imminence d'un accord portant sur 24 avions Rafale, une frégate FREMM et des missiles MBDA, soulève bien des émotions. Malheureusement, les réactions enjouées de la presse française oublient dans leur majorité les enjeux à moyen et long terme de la vente de ces armements de pointe à l'Egypte, et ses conséquences potentiellement dangereuses.
Pour l'Egypte, ces armes sont nécessaires. Elles assureront sa sécurité face aux menaces croissantes chez ses voisins, tiendront en respect les groupes armés qui s'agitent à ses frontières et renforceront le pôle de stabilité régionale que l’on voudrait y voir. En effet, quoi de mieux qu'armer un gouvernement autoritaire pour maintenir la paix dans la région ?
Aussi cynique qu'il puisse paraître, c'est pourtant bien là le raisonnement du gouvernement français.
Bien sur, il est impossible de contester la situation très compliquée de l'Egypte, entre le chaos libyen à l'Ouest et les islamistes du Sinaï à l'Est. Et il est tout aussi vrai que le gouvernement d'al-Sissi a multiplié les signes de bonne volonté à l'égard de l'Occident. Enfin, les alliés de la France dans la région, qu'il s'agisse des Etats unis, des Emirats arabes unis, ou encore d'Israël, le soutiennent et ont apposé leur bénédiction au contrat.
Pourtant, la précarité du régime perce derrière ses démonstrations de force face aux opposants internes, tout autant que l'instabilité de la société égyptienne. Offrir un armement de pointe à un pays qui, il y a deux ans, était dirigé par un parti islamiste (qui n'a été chassé que par un coup d'Etat militaire), et qui aujourd’hui encore vit au rythme des épurations que le gouvernement se sent obligé de mener pour asseoir sa domination, bref qui ne présente aucune garantie de stabilité, ne semble guère prudent.
Et l'Egypte a-t-elle vraiment besoin, pour se protéger des milices libyennes ou d’islamistes insaisissables, d'avions de combat de dernière génération et de technologies sur lesquelles nous ne possédons aucune suprématie ? Il est vrai que ses voisins ayant eux aussi été armés par la France en leur temps, on peut se sentir un devoir d’impartialité…
Quoi qu’il en soit, à court terme, on comprend aisément que la France puisse vouloir renforcer le pôle de stabilité que représente l'Egypte dans la région. Mais à long terme, de telles considérations apparaissent caduques voire dangereuses.
Enfin, au-delà des réflexions géostratégiques, la France renie tous les principes auxquels elle se rattache lorsqu'il s'agit de justifier son action internationalE et ses interventions à l'extérieur. En armant l'Egypte d'al-Sissi, elle justifie les fraudes électorales, les procès de masse, les exécutions en série, la répression indifférenciée des opposants : tous les signes qui, outre leur valeur intrinsèque, laissent présager d'un très difficile retour à l'Etat de droit. Sans oublier qu'un régime qui massacre l'opposition intérieure peut être tenté, s'il on lui en donne les moyens, de faire de même avec l'opposition extérieure qu'il rencontrera un jour.
Et pourtant, l'indifférence des journalistes depuis l’arrivée au pouvoir d’al-Sissi, leur bienveillance, est ahurissante. Bien entendu, la presse d'Etat ne pouvait raisonnablement pas critiquer celui sur qui l'Occident devait fatalement s'appuyer face à la décomposition des Etats de la région. De la même manière qu’en ce qui concerne l'Ukraine, et dans un mouvement général sur la plupart des dossiers internationaux, la corporation journalistique dans son ensemble s'aligne sur les choix de diplomatie française.
A tel point qu’il n’est finalement guère étonnant qu’aucun ne critique cette vente d’armements. Pourtant, aujourd'hui, la France agit comme un marchand d'armes sans scrupules. Mais il y a pire, car ce premier élément n'est somme toute pas nouveau : aujourd'hui, la France nie en toute conscience ses propres intérêts.
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