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RD Congo-Tshisekedi/Beni : Les sept erreurs stratégiques du président Tshisekedi dans la crise de Beni

En République Démocratique du Congo, un an après le lancement des opérations militaires sur ordre du président Tshisekedi en territoire de Beni, ses premières opérations en tant que chef d’Etat et commandant suprême des forces armées, le résultat est sans appel : un fiasco ! Sept civils tués à coups de machettes à Kokola, mardi 17 novembre 2020 ; 29 corps en décomposition retrouvés le lundi 16 novembre près de Muhalika dans la vallée de la rivière Semliki ; 14 civils tués à Kisima le 8 novembre ; 1.340 détenus évadés le 20 octobre de la prison Kangbayi de Beni, dont des criminels impliqués dans les massacres,… Bref, une année des horreurs et de chaos avec un nombre record de civils tués. Un bilan alarmant selon la plateforme KST qui souligne qu’avec 2.124 civils tués, dont 640 à Beni, les vingt premiers mois de la présidence Tshisekedi sont de loin plus meurtriers que les 20 derniers mois de la présidence Kabila (1.553 civils tués). Et pourtant, Félix Tshisekedi tenait à pacifier ce territoire où il avait un cas de conscience personnel. Pour rappel, la population de Beni fut abusivement exclue de l’élection présidentielle de 2018 qui a vu Tshisekedi être proclamé « président de la République ». Le nouveau président tenait ainsi à gagner les cœurs à Beni. Raté !

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans sa stratégie ? Entre incompétence des collaborateurs, jeu double des commandants affectés aux opérations, coalition politique chaotique à Kinshasa et alliances mortifères avec des partenaires régionaux roublards, voici les sept erreurs stratégiques de Félix Tshisekedi dans la crise de Beni, que nous clôturerons par quelques propositions, non exhaustives.

1. La méconnaissance de l’ennemi

Qui sont les ennemis que le Congo doit combattre à Beni ?

Tout président d’un pays confronté à un conflit armé dispose d’un ensemble de renseignements précis sur sa table, en permanence.

Qui sont les ennemis (effectifs des combattants, localisation, armement, réseaux de complicité interne et à l’étranger, canaux de ravitaillement, objectifs politiques, capacités au combat,…) ?

Qui sont les chefs militaires ennemis (noms, prénoms, surnoms, pseudonymes, nationalité, réseau familial, photos récentes, dernier lieu de localisation,…) ? Le gouvernement prend même le soin de diffuser les photos et les noms des chefs ennemis dans les médias afin d’associer l’opinion nationale aux efforts de lutte pour la neutralisation de l’ennemi et recueillir de précieuses informations complémentaires.

Qui sont les agents des services de renseignement qui suivent les déplacements des chefs militaires ennemis ? Quel est leur degré de fiabilité ?

En fonction de ces renseignements et bien d’autres, le président de la République réfléchit, avec son cabinet militaire, au type d’opération à mener : capture ou élimination des cibles localisées ; assèchement des réseaux de financement et de ravitaillement ; déploiement des forces terrestres massives pour reprendre le contrôle des bastions ennemis cernés,...

Le président Tshisekedi connaissait-il les ennemis à combattre à Beni avant de lancer les opérations ? La réponse se trouve dans deux de ses déclarations.

La première, le 19 janvier 2019 devant la diaspora congolaise de Londres. Il affirme solennellement : « La question de Beni n'est pas une question d'agression extérieure. C'est une question de complot de ceux qui font notamment le trafic des minerais et qui profitent de cette situation »[1]. Donc, une crise interne, congolo-congolaise. La deuxième déclaration est celle du 4 avril 2019 au cours d’un voyage à Washington, aux Etats-Unis, où il affirme que la partie Est du Congo est sous une menace permanente des groupes armés islamistes liés à DAESH, sollicitant même l’appui des États-Unis pour éradiquer la présence des terroristes islamistes[2]. Deux déclarations contradictoires, la première excluant une menace extérieure, la seconde évoquant le terrorisme islamiste international.

Difficile d’avoir une idée précise sur l’identité des tueurs de Beni en combinant les deux déclarations. Il devient évident que Tshisekedi n’avait qu’une idée vague des ennemis à combattre à Beni avant de lancer les opérations, une erreur qui ne pardonne pas, comme nous l’apprend le stratège classique chinois Sun Tzu. N’ayant pas vraiment connaissance de l’ennemi à combattre, se pose la question des forces de défense et de sécurité de la RDC. Félix Tshisekedi, connaissait-il l’armée qu’il s’apprêtait à engager dans ces opérations ? Connaissait-il vraiment les FARDC ?

2. La méconnaissance des FARDC et des dynamiques internes

« Si vous ne connaissez ni votre ennemi ni vous-même, chacune des batailles sera un grand danger », nous enseigne le stratège chinois Sun Tzu.

Les FARDC sont une armée née d’un processus de négociations entre forces ennemies de la Deuxième Guerre du Congo, de l’accord de Lusaka à l'accord global et inclusif adopté à Sun City le 1er avril 2003, et concrétisé par la mise en place le 30 juin 2003 du gouvernement dit 1+4 (un président et quatre vice-présidents)[3]. C’est une armée par amalgame des forces antagonistes, ses principales composantes étant, au départ, les forces loyalistes fidèles au président assassiné Laurent-Désiré Kabila, les forces armées des mouvements soutenus par le Rwanda (RCD-Goma) et par l’Ouganda (MLC, RCD-KML) et des groupes armés d’obédiences variées. Donc une armée faite de bric et de broc, sans véritable cohésion interne, ni esprit de corps.

Le cas de Beni sera révélateur de ces graves tares internes de cette armée puisqu’en application de l’accord du 23 mars 2009, entre le gouvernement congolais et la milice tutsi du CNDP, des milliers de soldats rwandais et leurs supplétifs congolais furent déversés dans le Kivu Ituri devenu, depuis, le théâtre des massacres sans fin. Comme rappelé dans notre ouvrage, « Les Massacres de Beni »[4], ces forces rwandaises et leurs supplétifs furent déversés au Congo suivant les programmes bâclés dits de « brassage », « mixage » et « régimentation », et déployées dans tout l’est du Congo, avec une concentration particulière à Beni. Pour l’anecdote, le chef militaire de ces forces rwandaises du CNDP, le général Bosco Ntaganda, s’implanta même pendant des mois à Beni avec des centaines de ses fidèles. Beni devint un territoire sous occupation, de fait, par une armée FARDC « hybride » avec des unités qui n’obéissaient qu’à leurs propres chaînes de commandement et poursuivaient leurs propres objectifs stratégiques. Le drame fut que ces unités, fidèles au Rwanda, vont prendre le contrôle des services de renseignements militaires (les T2 dans le jargon militaire). Même le commandant du secteur opérationnel n’exercera véritablement son autorité que sur une partie des troupes[5] sur terrain. Bref, à Beni, Félix Tshisekedi avait affaire à une armée politisée, traversée par des ressentiments historiques, des allégeances centrifuges, des filières de recrutement parallèles, des méfiances internes et une loyauté à la République qui laissait à désirer.

Un Etat ne lance pas des opérations militaires avec une armée ainsi en vrac et non fiable. Un signe que Félix Tshisekedi ne connaissait pas vraiment les FARDC, en plus de sa méconnaissance de l’insaisissable ennemi à combattre. La situation va ainsi rapidement échapper à tout contrôle et donner de Beni les allures d’un Waterloo pour le nouveau commandant suprême des forces armées.

3. La méconnaissance des enjeux géopolitiques

Le 10 octobre 2019, Félix Tshisekedi est arrivé à Beni où il a tenu un meeting entouré des autorités locales et provinciales. Trois jours auparavant, il venait de promettre, à Bukavu, dans le Sud-Kivu, qu’il était « prêt à mourir » pour que la paix dans l’est du Congo devienne effective[6]. Il semblait sûr de lui, ce qui suscitait de la curiosité. Il semblait avoir trouvé la formule magique pour ramener la paix dans cette partie du Congo où même la MONUSCO peine à restaurer la paix depuis deux décennies. Quelle était donc la recette magique du nouveau président ?

La réponse sera révélée par DESC en octobre 2019, suite à la fuite d’un document signé général Mbala Munsense, chef d’Etat-major des FARDC annonçant le déploiement imminent des armées des pays voisins sur le sol congolais pour lutter contre les groupes armés. Tshisekedi misait donc sur les armées du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi pour ramener la paix dans l’est du Congo, les mêmes pays qui parrainent des groupes armés qui saccagent l’est du Congo ? L’information suscita une vague de consternation obligeant l’armée à se dédire, mais sans empêcher le redéploiement de l’armée rwandaise sur le sol congolais, un redéploiement visible dans plusieurs territoires de l’est du Congo depuis juin 2019, selon une enquête de RFI[7], les militaires rwandais se dissimilant sous des uniformes FARDC.

Pour rappel, l'expert militaire Jean-Jacques Wondo a fourni des informations précises de la présence des forces rwandaises dans le territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu, dans la province du Sud-Kivu déchirée par le conflit de Minembwe et même dans le territoire de Beni[8]. En laissant se déployer des forces rwandaises sur le sol congolais en général, en territoire de Beni en particulier, le président Félix Tshisekedi aura fait montre de méconnaissance des enjeux géostratégiques. En effet, depuis 1996, le Rwanda mène au Congo – sous couvert des rebellions et des groupes armés - une guerre de pillage des ressources naturelles, de destruction des populations autochtones et de balkanisation en perspective. Prendre pour partenaire militaire un pays comme le Rwanda, aux ambitions si dangereuses pour le Congo[9] est preuve de méconnaissance des enjeux géopolitiques et des ambitions expansionnistes de ce difficile voisin[10].

4. La nomination des généraux catastrophiques

Le 29 août 2019, le général Marcel Mbangu, commandant de l’opération Sukola 1, basée à Beni, passe la main à son successeur. Son nom ? Le général Jacques Nduru Tchaligonza[11]. Tchaligonza[12] un ancien bras droit du sinistre chef de guerre Bosco Ntaganda condamné par la Cour pénale internationale (CPI) pour ses crimes contre l’humanité en Ituri, province voisine de Beni. Le texte du jugement de la VIème chambre de la CPI, du 9 juillet 2019[13], condamnant Bosco Ntaganda, voit le nom « Nduru Tchaligonza » cité 30 fois, indice d’une grande proximité du nouveau commandant de Beni avec l’illustre condamné de la CPI durant ses épopées macabres en Ituri.

Dans son analyse du 14 octobre 2019, portant sur la nomination du nouveau commandant des opérations à Beni, l’expert militaire Jean-Jacques Wondo annonçait que « le retour du général Nduru Tchaligonza dans cette partie du territoire national devrait amplifier les crises sécuritaires au vu du passé de cet officier aux côtés de Bosco Ntaganda durant les années des tueries dans la province voisine de l’Ituri. Par ailleurs, les affinités du général Nduru Tchaligonza avec le Rwanda, qui lorgne sur le Kivu, devraient avoir plutôt une réponse contraire à ce qu’attendent les populations du Nord-Kivu. C’est-à-dire, intensifier les massacres dans cette région »[14]. Deux semaines après la publication de l’analyse, Beni, aux mains du général Tchaligonza, sombrait dans un nouveau cycle des carnages. Dès la première semaine du lancement des opérations, 16 personnes furent tuées dont 10 militaires, et ce n’était que le début[15]. Les jours qui suivirent furent des massacres à répétition qui durent depuis.

Pire, au plus fort de la flambée des massacres, Félix Tshisekedi décida de déployer un effectif de 11 généraux à Beni chapeauté par le sinistre général John Numbi, au passé sombre et inscrit sur les listes des sanctions du gouvernement américain et de l’Union européenne. Sur le plan opérationnel, la présence de 11 généraux dans un même secteur contiguë devint rapidement source de cacophonie. Qui décide des missions sur terrain ?

Il s’avéra au final que les 11 généraux passèrent l’essentiel de leur séjour à Beni pour faire des affaires illicites et absorber le budget de l’opération décaissé par le gouvernement. C’est le constat qui est relevé par plusieurs sources militaires congolaises. Elles notent la désorganisation des unités par le commandement opérationnel des FARDC qui aurait gonflé les effectifs des militaires afin de détourner l’argent des fictifs et les carburants. Les chefs militaires profitent de ces opérations pour se faire une santé financière. Selon une source de l’état-major général des FARDC, les opérations militaires à Beni auraient un coût évalué entre 6 et 10 millions de dollars américains en 2019[16].

Une fois le pactole siphonné, les généraux disparurent de la région laissant la population à la merci des tueurs à la machette. En gros, pour Tshisekedi, des nominations ratées des chefs militaires pour Beni.

5. La recherche d’une gloire politique facile au détriment des victoires effectives sur l’ennemi

Le lancement des opérations à Beni fut précédé d’un matraquage politico-médiatique assourdissant. Des dizaines des collaborateurs du nouveau pouvoir atterrissaient à Beni avec des promesses fermes selon lesquelles, cette fois-ci, c’est la fin des massacres[17]. Qu’en trois mois, tout aura été fini. Et que la population de Beni fêterait Noël 2019 dans la paix.

Il devint rapidement évidant que ce qui intéressait le nouveau président et ses partenaires était surtout d’obtenir une gloire politique dans un territoire où ils avaient beaucoup à se faire pardonner, la population de Beni ayant été exclue des élections qui ont vu Tshisekedi être proclamé « président ». Grave erreur stratégique puisque ce tapage médiatique permit à l’ennemi de s’organiser en conséquence. Ce fut même une erreur d’amateur révélant l’incapacité à apprendre des erreurs du passé[18]. En effet, chaque fois que les autorités annoncent des opérations à grand bruit à Beni, il faut s’attendre à une recrudescence des massacres[19].

Les priorités des opérations sur le terrain vont aussi être révélatrices de quelque chose de bizarre. La société civile fait remarquer qu’au moment où les massacres sont commis dans la partie nord du territoire, l’armée se déploie principalement dans le sud du territoire[20]. Tout est fait comme si l’armée évite la confrontation et tient à se déployer sur terrain après avoir laissé à l’ennemi le temps de décamper. Chasser l’ennemi (au lieu de le capturer ou le neutraliser) signifie l’éloigner seulement d’un site, lui offrant la possibilité d’y revenir dès que l’armée sera appelée à dégarnir le terrain pour répondre à d’autres missions dans d’autres territoires. En gros, effectuer juste des manœuvres militaires sur terrain, avec des caméras et des photographes, pour offrir au nouveau président les images d’une réussite militaire fictive et permettre à ses partisans de crier « Fatshi Béton ! ».

Où sont les chefs militaires ennemis tués ou capturés ? Quels sont les réseaux de complicité et de ravitaillements ennemis démantelés ? Où sont les jugements de condamnation pénale des criminels de guerre de Beni ?

Zéro, juste « Fatshi Béton » !

6. Une faible implication personnelle sur terrain

Le chef d’Etat d’un pays en guerre devient par la force des choses un chef militaire. Sa présence aux côtés des soldats en zone opérationnelle est un devoir politique permanent pour remonter le moral des troupes et rassurer l’opinion nationale.

Le candidat Félix Tshisekedi avait promis, à Nairobi, qu’une fois élu, il s’installerait à Beni avec son Premier ministre jusqu’à ce que les massacres s’arrêtent. On apprendra par la suite qu’il envisageait de transférer l’Etat-Major des FARDC de Kinshasa vers une ville de l’est du Congo. Des promesses non tenues, mais dont on pouvait déduire que le nouveau président tenait à mener une politique de proximité entre le théâtre des opérations, bien que géographiquement éloigné de la capitale, et le sommet de l’Etat. Il n’en sera rien. En près de deux ans de présidence, Félix Tshisekedi ne s’est rendu que deux fois à Beni : en avril 2019 et en octobre 2019. Le territoire, épicentre des massacres de type génocidaire n’aura ainsi connu que deux visites du président de la République, en presque deux ans. Aucune image de lui, ni avec les victimes civiles, ni avec les soldats blessés au combat, ni même avec les soldats engagés en première ligne dans les opérations. Une « politique de distanciation » qui, ajoutée aux difficiles conditions sociales et salariales des militaires, et à une absence de couverture médiatique, des organes de presse liés au pouvoir, s’assimile à un abandon de Beni et ses habitants par l’Etat.

Les crimes de Beni, quelle que soit l’ampleur des tueries, ne font l’objet, ni de deuil national, ni de journée de commémoration nationale. Côté militaire, les soldats tués au combat sont enterré à la va-vite, sans aucun hommage solennel pour leur sacrifice suprême. Ce qui a pour conséquence une démotivation presque généralisée des soldats sur terrain.

7. L’impunité des crimes contre l’humanité

Le 20 octobre 2020, 1.340 détenus se sont évadés de la prison Kangbayi de Beni, parmi lesquels des criminels impliqués dans les massacres[21]. En juin 2017, la même prison avait été vidée de ses détenus, dont des prévenus en audiences devant la cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu siégeant à Beni[22]. 955 détenus s’étaient évadés dans un scénario à peu près comparable. En septembre 2018, au cours de l’attaque contre le mess des officier de Mupanda, un quartier de l’est de Beni, plusieurs détenus furent libérés et amenés par les assaillants. « Cette attaque visait à soustraire ces détenus, dont l’identité pouvait compromettre la thèse des ADF, à la justice en vue de faire disparaître les preuves », notait Jean-Jacques Wondo[23]. Ce sont autant de crimes contre l’humanité qui resteront impunis.

Comme le rappelle la société civile, Beni n’est pas un territoire assez sécurisé pour y garder en détention des personnes soupçonnées d’implication dans des crimes graves. Depuis des mois, elle réclame, en vain, que ces personnes soient systématiquement transférées dans des prisons de provinces éloignées. Cette demande a été relancée sous la présidence de Félix Tshisekedi, qui n’a pas réagi.

A ce phénomène d’évasions récurrentes des prisons s’ajoute une justice militaire qui n’inspire guerre confiance. En effet, tout au long des audiences de la cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu, le territoire de Beni faisait l’objet des massacres à répétition, ce qui démontrait que cette juridiction, sans effet dissuasif, ne poursuivait pas les véritables commanditaires de massacres, qui continuaient d’opérer librement. En juin 2015, DESC avait lancé une pétition réclamant des enquêtes de la Cour pénale internationale sur les crimes de Beni[24]. Pour mettre fin aux massacres de Beni, il faut impérativement mobiliser le volet judiciaire en impliquant la justice internationale qui dispose des marges de manœuvres plus importantes pour identifier, localiser et arrêter les commanditaires des tueries, souvent protégés par leurs positions dans les institutions de l’Etat, dans les pays de la région et les arcanes du pouvoir.

Conclusion et recommandations

Engager des moyens militaires est un coup d’épée dans l’eau si, en parallèle, le processus de réforme des FARDC n'est plus réactivé, des enquêtes judiciaires et des arrestations ne sont pas menées pour neutraliser des commanditaires tapis au sein des institutions, de la hiérarchie de l’armée et dans les pays de la région. La RDC étant partie au Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, tout commanditaire des massacres de Beni, quel que soit son pays de résidence, une fois localisé, devrait être arrêté et transféré à La Haye, si Tshisekedi en fait la demande au Procureur de la CPI. Le président Félix Tshisekedi n’a jamais formulé une telle demande à la CPI. Au terme d’une année bâclée par rapport à la crise de Beni - des morts tout à fait évitables - le président Tshisekedi devrait prendre de bonnes résolutions qui passent par une meilleure compréhension de la crise, ses acteurs apparents, ses acteurs pléniers tapis dans l’ombre, leurs motivations et le type d’actions à mener[25].

Une fine analyse de la menace pour bien identifier l'ennemi, une bonne préparation des opérations et une sensibilisation des populations avant et pendant des opérations, les actions judiciaires ciblées et une tactique appropriée faisant recours aux techniques antiguérillas et non aux techniques de guerre conventionnelle, peuvent aider les FARDC à éradiquer progressivement l’insécurité dans la région. Il faudrait aussi que la communauté internationale s’implique activement comme en 2013 après la chute de Goma. Au moment où le Conseil de sécurité des Nations unies s’apprête à renouveler le mandat de la MONUSCO, la nouvelle revue stratégique doit pouvoir renforcer le mandat de la MONUSCO en prévoyant la création des unités supplémentaires pour mettre en place une deuxième brigade d’intervention avec les pays de la SADC dont l’Angola qui n’a pas encore participé aux opérations à l’Est du pays. Cette nouvelle brigade devrait bénéficier d’un mandat particulier lui permettant de mener des opérations coercitives robustes et ciblées contre tous les groupes armés de l’est du Congo, unilatéralement et non conjointement avec les FARDC[26].

Il est maintenant de notoriété publique que l’ennemi à Beni opère dans le cadre des réseaux tapis dans l’appareil d’Etat, dans les pays de la région, avec des partenariats bien au-delà de la région, un des enjeux de la crise étant géoéconomique, l’islam ne servant que de masque. A partir des techniques d’enquêtes scientifiques, il est possible d’identifier avec précision les petites mains qui laissent leurs empreintes sur les lieux de crime, leurs commanditaires qu’ils appellent avant de tuer et les « bénéficiaires des massacres » dissimulés dans les mailles des filières des minerais, du cacao et autres trafics ; et procéder à leur neutralisation dans la discrétion, les tapages médiatiques ayant été terriblement nuisibles à la réussite des opérations sur terrain.

Nous avons communiqué au président Tshisekedi des propositions sur la nécessité de mettre en place des équipes d’enquêteurs scientifiques afin d’identifier avec précision les tueurs de Beni et leurs commanditaires[27].

Boniface MUSAVULI

Analyste politique, juriste et auteur

Ouvrages :

- B. Musavuli, LES ÉLECTIONS AU CONGO - Carnages, martyrs et impunité, amazon, avril 2020, https://www.amazon.fr/%C3%89LECTIONS-AU-CONGO-Carnages-impunit%C3%A9/dp/B087SCJ5HG

- B. Musavuli, LES MASSACRES DE BENI – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes, amazon, juillet 2017, https://www.amazon.fr/MASSACRES-BENI-Kabila-Rwanda-islamistes/dp/152170399X

- B. Musavuli, LES GÉNOCIDES DES CONGOLAIS – De Léopold II à Paul Kagame, amazon, août 2017, https://www.amazon.fr/G%C3%89NOCIDES-CONGOLAIS-crime-lhumanit%C3%A9-Congo/dp/1549574213.

 

[3] Le long processus débuta par la signature, le 10 juillet 1999, de l'Accord de cessez-le-feu de Lusaka, en Zambie. Cet accord en vue d'arrêter les hostilités et de rétablir la paix invitait les belligérants congolais à s'engager notamment dans un processus d'instauration d'un nouvel ordre politique en RDC via l'organisation des négociations politiques inter-congolaises au terme desquelles sera mis en place un mécanisme de « formation d'une armée nationale, restructurée et intégrée ». (…) Ainsi, c'est conformément à l'esprit et à la lettre de l'Accord de Lusaka que le projet de réforme de l'armée congolaise sera d'abord rappelé en mai 2001 à Lusaka parmi les principes fondamentaux des négociations politiques inter-congolaises2puis réinscrit dans l'Accord global et inclusif signé à Pretoria le 17 décembre 2002. L'Accord global et inclusif sera adopté à Sun City le 1er avril 2003, puis concrétisé par la mise en place le 30 juin 2003 du gouvernement de transition dirigé par un président de la république et quatre vice-présidents. Cette genèse de la formation de l'armée congolaise, remontant à partir de 1999, nous a semblé méthodologiquement importante pour replacer le processus de réforme de l'armée dans son tout premier cadre conceptuel initial. (…) Bien souvent, l'on se rend compte que les problèmes qui émergent lors de la mise en œuvre d'une réforme ne sont que l'actualisation concrète sur le terrain de conflits, d'antagonismes et de contradictions que le processus de réforme était censé avoir permis de dépasser lors de sa conceptualisation. Cf. JJ. Wondo, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, Bilan – Autopsie de la défaite du M23 – Prospective, Ed. www.desc-wondo.org., p. 1.

[4] B. MUSAVULI, LES MASSACRES DE BENI – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes, amazon, juillet 2017, https://www.amazon.fr/MASSACRES-BENI-Kabila-Rwanda-islamistes/dp/152170399X, p. 114.

[5] Cas du général Marcel Mbangu, qui survécut le 18 octobre 2017 à une embuscade tendue par des unités incontrôlées des FARDC opérant sous masque ADF. Cf. JJ Wondo, « Les tueries à Beni : Le général Marcel Mbangu connaîtra-t-il le même sort que Mamadou Ndala et Lucien Bahuma ? », https://desc-wondo.org/les-tueries-a-beni-le-general-marcel-mbangu-connaitra-t-il-le-meme-sort-que-mamadou-ndala-lucien-bahuma/&nbsp ;

[7] « Militaires rwandais en RDC : quelles preuves ? (2/2) », https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200423-militaires-rwandais-en-rdc-quelles-preuves-22?ref=tw_i

[8] JJ Wondo, « L’armée rwandaise en cours de réoccupation de l’Est de la RDC ? », https://desc-wondo.org/larmee-rwandaise-en-cours-de-reoccupation-de-lest-de-la-rdc-jean-jacques-wondo/

[9] B. Musavuli, « La stratégie Kabila-Kagame de reconquête militaire du Kivu-Ituri par les RDF et de brouillage sémantique », https://desc-wondo.org/la-strategie-kabila-kagame-de-reconquete-militaire-du-kivu-ituri-par-les-rdf-et-de-brouillage-semantique-b-musavuli/

[10] La milice CODECO, qui ravage la province voisine de l’Ituri, depuis 2017, est une main cachée du Rwanda par l’intermédiaire des officiers rwandais des FARDC. La CODECO est appuyée par des éléments du M23. Cf. Rapport de IRC, https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/democratic-republic-congo/292-republique-democratique-du-congo-en-finir-avec-la-violence-cyclique-en-ituri

[11] Il existe plusieurs orthographes du nom de l’officier. Dans le jugement de la CPI contre Bosco Ntaganda (https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2019_03568.PDF), l’orthographe retenue est « Tchaligonza » (Nduru Tchaligonza). Dans un article de KST, on note que son nom est orthographié Chaligonza ou Ichaligonza. La CPI a aussi noté que l’officier se faisait appeler « Kyaligonza », mais qu’il s’agit de la même personne. Selon un officier de la DEMIAP, Nduru est un sujet rwandais qui se fait passer pour un Hema d’Ituri. Après son aventure avec Ntaganda, il aurait séjourné au Rwanda avant d’être réintégré dans les FARDC. Après un an à la tête de l’Opération Sukola 1, le général Tchaligonza a été nommé en juillet 2020 commandant adjoint en charge des opérations et des renseignements à la deuxième zone de défense couvrant les anciennes régions du Kasaï et du Katanga. Cf. JJ Wondo, « Remaniement du commandement des FARDC par Félix Tshisekedi : attentes et désillusions », https://desc-wondo.org/remaniement-du-commandement-des-fardc-par-felix-tshisekedi-attentes-et-desillusions-jj-wondo/

[12] La nomination de Tchaligonza a pu être dictée par le contexte de coalition politique à Kinshasa où Félix Tshisekedi devait composer avec les fidèles de Joseph Kabila. Dans l’équipe gouvernementale, « Le ministre de la Défense, Aimé Ngoy Mukena, est ainsi un proche de Joseph Kabila. Mais le ministre délégué à la Défense, Sylvain Mutombo Kabinga, est un farouche partisan de Tshisekedi, tout comme le ministre de l’Intérieur, Gilbert Kankonde ». Cf. https://blog.kivusecurity.org/fr/author/jasonstearns/

[13] Jugement n° No. : ICC-01/04-02/06, Date : 8 July 2019.

[14] JJ Wondo, « Qui est le général ex-rebelle Jacques Itshalingoza Nduru, le nouveau commandant des opérations Sukola 1 à Béni ? », https://desc-wondo.org/qui-est-lex-rebelle-upc-et-general-jacques-itshalingoza-nduru-le-nouveau-commandant-de-sokola-1-a-beni-jj-wondo/

[15] Dix civils tués à Kokola le 5 novembre 2019  ; cinq à Kitchanga le 11 novembre  ; six membres d’une même famille tués à Oicha le 14 novembre  ; quinze tués à Mbau le 15 novembre , cinq au quartier Pakanza d’Oicha le 17 novembre, trois civils tués à Oicha/Mavete le 19 novembre,…

[16] JJ Wondo, L’offensive militaire bâclée, menée par les FARDC à l’est de la RDC, tourne au désastre, https://desc-wondo.org/loffensive-militaire-baclee-menee-par-les-fardc-a-lest-de-la-rdc-tourne-au-desastre-jj-wondo/.

[17] Certains délégués de Kinshasa proposèrent même une récompense jusqu’à 50.000 $ à quiconque fournirait des informations permettant de neutraliser les « ADF ».

[18] B. Musavuli, « Crise de Beni : Comprendre les raisons profondes du fiasco militaire et des promesses mensongères », https://desc-wondo.org/crise-de-beni-comprendre-les-raisons-profondes-du-fiasco-militaire-et-des-promesses-mensongeres-b-musavuli/

[19] En effet, les expériences du passé sont que lorsque l’armée annonce une offensive militaire à Beni, il faut s’attendre à une recrudescence des massacres. C’est ce qui s’était déjà produit en 2018 après l’annonce d’une offensive de l’armée par le général Marcel Mbangu, alors commandant des opérations. Pour rappel, en janvier 2018, le général Mbangu avait assuré sur Radio Okapi que « cette fois-ci, c’est pour nous la dernière offensive pour restaurer la paix à Beni ». En annonçant à grand bruit une nouvelle offensive en août 2019, les FARDC donnaient l’impression d’une armée qui n’avait pas tiré les leçons de ses échecs du passé, mais il y a pire. 

[21] B. Musavuli, « RD Congo - Beni : L’évasion de la prison de Beni et les secrets inavouables », https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/rd-congo-beni-l-evasion-de-la-228121

[22] La cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu a siégé à Beni du 20 août 2016 au 22 janvier 2018.

[23] JJ Wondo, « Les tueries à Beni : Le général Marcel Mbangu connaîtra-t-il le même sort que Mamadou Ndala et Lucien Bahuma ? », op. cit.

[25] Dans le cadre des renseignements, nous estimons qu’il est impérieux de : 1- Identifier et auditionner tous les officiers FARDC ayant été en opération à Beni depuis octobre 2014, en commençant par les quatre commandants successifs de l’Opération Sukola 1 : général Mundos, général Mbangu, général Tchaligonza, général Cirimwami. Le cadre de ces audition est à définir : Etats généraux de l’armée, enquêtes parlementaires,… ; 2- Identifier tous les tueurs (noms, nationalité, âge, photos), leurs parrains, leurs complices et constituer un fichier ADN à partir des enquêtes scientifiques. 3- Identifier toutes les victimes et leurs familles dans la perspective de justice et réparation. 4- Demander officiellement une coopération permanente de la Cour pénale internationale dans les enquêtes sur terrain et le transfèrement à La Haye des principaux commanditaires de massacres

[26] JJ Wondo, "L’offensive militaire bâclée, menée par les FARDC à l’est de la RDC, tourne au désastre", https://desc-wondo.org/loffensive-militaire-baclee-menee-par-les-fardc-a-lest-de-la-rdc-tourne-au-desastre-jj-wondo/

[27] À l'aide des techniques modernes d'enquêtes scientifiques, on peut mettre fin aux massacres de Beni en créant des équipes d’enquête scientifique et une « banque des données » permettant de mettre des noms et des visages des tueurs sur chaque massacre, avec précision. 1/ À Beni, les tueurs se parlent et prononcent leurs noms en présence de leurs victimes ; ils mangent, téléphonent avant de tuer, agressent les femmes, pendant les massacres. Donc ils laissent, dans la mémoire, leurs noms, leurs visages, leurs salives, leurs spermes et leurs sangs sur les lieux des massacres. Une équipe scientifique peut les identifier sur la base des recherches ADN, d’identification des noms prononcés et des visages vus (portrait-robot). 2/ À Beni, les tueurs appellent avant de tuer. Une équipe d’enquêteurs scientifiques, avec l’aide des opérateurs de la téléphonie mobile, peut retracer les appels et identifier les « appelants » du secteur où le massacre a été commis. 3/ À Beni, les tueurs emportent les biens personnels de leurs victimes. Donc, ils marchent en laissant des empreintes olfactives sur leur chemin. Avec l’aide des chiens renifleurs, des soldats FARDC et la population peuvent suivre leur trace jusqu’à l’endroit où se trouve le bien volé durant le massacre. 4/ À Beni, les tueurs volent des biens de valeur, des stocks de cacao, des marchandises,… Donc, on peut cacher dans des téléphones, des biens de valeurs, des marchandises,… des antivols pour pouvoir retracer le déplacement des biens volés jusqu’au destinataire final.


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1 réactions à cet article    


  • jacques 23 novembre 2020 11:58

    Ah ça , les uniformes , les cérémonies etc et les discours on adore, c’est leur côté gaulois. Pour les écoles faudra attendre un peu.

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