Reconnaître le Nagorny-Karabagh, une nécessité morale, politique et stratégique
Est-il admissible qu'un pays de 150.000 âmes vive quotidiennement sous les bombes, sans que la communauté internationale n'intervienne, sous prétexte qu'il n'est reconnu par aucun autre pays, ni membre de l'ONU ?
Est-il admissible que les djihadistes, les mêmes coupeurs de tête qui sévissent en France, puissent agir contre cet état, non seulement impunément, mais en ayant été transportés, par les avions d'un pays membre de l'OTAN, sans que personne ne s'en émeuve ici ?
Est-il admissible, au moment où notre gouvernement prétend lutter partout contre la discrimination, que 150.000 personnes voient leur passeport non reconnu par la France ?
Au nom de quelle règle, de quelle loi, ces Arméniens, de l'Artsakh (Nagorny-Karabakh, nous écrirons Karabakh pour plus de simplicité), n'auraient-ils pas autant le droit, que les habitants du Paraguay, du Monténégro ou de Nouvelle-Guinée, de voir leurs droits, leur citoyenneté, reconnus alors qu'ils vivent dans leur pays depuis toujours et l'administrent seuls depuis 30 ans.
Depuis la chute de l'URSS, le Karabakh, territoire en grande majorité arménien, donné à l'Azerbaïdjan par Staline en 1923, est constitué en état indépendant ; il est actuellement sous le feu d'une attaque combinée de l'Azerbaïdjan et de la Turquie.
Je veux dire dans le présent article, non seulement pourquoi la reconnaissance de l'indépendance du Karabakh par la France est une nécessité morale et politique, mais aussi pourquoi cette reconnaissance, loin de fermer les portes d'une véritable négociation de paix, les ouvrira. Je veux balayer les objections posées, dire pourquoi elle sera un frein à la guerre, et en quoi elle peut être un modèle pour redémarrer le règlement d'autres conflits, je pense notamment à Chypre-Nord.
Notre pays a voté la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de l'ONU du 10 décembre 1948. Elle prévoit, dans son article 15 que “Tout individu a droit à une nationalité.” Il est donc indispensable, si l'on veut être cohérents avec la morale que cette déclaration proclame, que le passeport de ces 150.000 femmes et hommes, celui de la République d'Artsakh, soit désormais reconnu par la France.
La reconnaissance une nécessité politique.
Une telle démarche de reconnaissance ne sera pas la fin des négociations de paix, mais le début de celles-ci. De fait, actuellement sous l'égide du groupe de Minsk, présidé par les États-Unis, la Russie et la France, elles n'ont pas avancé d'un iota. Le constat d'échec doit donc être dressé.
Au delà du Karabakh, l'histoire contemporaine démontre que, dans les situations figées où un état reste non reconnu, ou reconnu de son seul protecteur, la paix n'avance pas. La situation reste gelée autour d'un cessez-le-feu, mais les vraies questions comme le retour des réfugiés sont éludées. C'est aussi le cas pour Chypre-Nord,
Reconnaître le Karabakh, c'est prendre acte d'un état de fait : les Arméniens sont présents sur ce territoire et le gèrent, ça n'est pas fermer un processus de paix. Les questions sensibles comme celles des frontières et des réfugiés pourront être abordées suite à cette reconnaissance,
Elle permettrait aussi à la France d'avoir un interlocuteur sur le terrain et donc de pouvoir parler et agir sans passer par un intermédiaire.
En étant la première à reconnaître l'indépendance du Karabakh, la France repositionnerait sa diplomatie en tête dans la région. Aujourd'hui, nous sommes très présents au niveau humanitaire en Arménie, grace notamment aux médecins envoyés sur place par notre gouvernement. J'ai pu mesurer cette popularité à travers des messages envoyés par des amis sur place.
Que risque la France en reconnaissant le Karabakh ?
Vous m'objecterez, et l'objection est admissible, qu'une telle reconnaissance détériorera, voire interrompra nos relations diplomatiques avec l'Azerbaïdjan. C'est exact. Mais suspendre des relations diplomatiques, qui seront probablement reprises ulltérieurement, n'est pas couper les liens commerciaux. Prenons l'exemple de Taïwan qui n'est pas reconnu par la France : en 2019, les exportations de cette île vers notre pays s'élevaient à... 1521 milliards de dollars ! L'argument consistant à dire qu'une rupture diplomatique entre la France et l'Azerbaïdjan serait désastreuse pour le commerce est simplement... risible. Le commerce perdure au-delà des initiatives diplomatiques.
Reste le cas du Pakistan, cette grande démocratie laïque et progressiste, fort soutien de l'Azerbaïdjan, au point de ne pas reconnaître l'Arménie, je pense que si ce pays nous “sanctionnait”, la France s'en remettrait !
La reconnaissance comme un frein à la guerre.
A partir du moment où l'indépendance du Karabakh sera reconnue par la France, elle pourra l'être d'autres pays qui aujourd'hui n'osent pas. Ils réaliseront, que, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, cette reconnaissance leur permettra d'être dans le jeu diplomatique, en tête, sans conséquence néfaste pour leur commerce.
La guerre menée par l'Azerbaïdjan et la Turquie perdra une de ses raisons d'être puisque les deux pays se battront pour prendre un territoire qui ne leur sera pas reconnu de toute façon.
Leur attaque deviendra une agression contre un état souverain en vue d'une annexion, à l'instar de celle de Saddam Hussein contre le Koweït. Elle ne sera alors plus politiquement défendable.
La reconnaissance prélude à la paix
Après la reconnaissance, pourront s'ouvrir directement avec les populations concernées, des négociations effectives notamment sur les frontières, le Karabakh est enclavé, c'est évidemment un facteur de fragilité donc de guerre qu'il faudra lever. La question des réfugiés se posera. Pourquoi ne pas faire revenir les réfugiés azéris dans des territoires où les populations seraient sans armes, mais sous la protection d'une force internationale ? Lavrov a pris des initiatives qui pourraient aller dans ce sens, en proposant un déploiement russe. Je ne prétends pas détenir la solution, cela est juste une base pour démarrer des négociations de paix véritables qui n'ont jamais eu lieu.
Respecter les acteurs en changeant de vocabulaire
Enfin, c'est un détail, mais qui a son importance, une telle reconnaissance permettra un respect des deux camps. Je suis très agacé par l'utilisation par nos media, à propos du Karabakh, des termes “enclave séparatiste”, ou “séparatistes”. Qu'étaient les États-Unis juste après leur déclaration d'indépendance de 1776, sinon une “enclave séparatiste” parmi les colonies britanniques ! C'est leur reconnaissance par le monde qui a permis de lever ce vilain terme. Je passe sur le terme “autoproclamé”. Tous les états du monde sont autoproclamés !
Pour avancer
La France se re-grandira en étant la première à reconnaître l'indépendance du Karabakh. Bien sûr cette reconnaissance ne signifiera, ni l'arrêt immédiat des combats, ni une garantie de paix, mais ce sera la première pierre posée pour une véritable paix, sur un schéma nouveau reproductible en d'autres endroits.
Alors, pour une fois, osons, mettons la France en avant : que le Pays des Droits de l'Homme reconnaisse l'Artsakh.
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