Reddition turque à Idlib : l’accord de cessez-le-feu entre Moscou et Ankara conforte Damas et sauve la face d’Erdogan
Par Scott Ritter
Scott Ritter est un ancien officier du renseignement du corps des Marines américains. Il a servi en Union soviétique comme inspecteur de la mise en œuvre du traité INF, auprès du Général Schwarzkopf pendant la guerre du Golfe et de 1991 à 1998 en tant qu’inspecteur des armes de l’ONU.
Source : RT, le 6 mars 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
La réunion de cette semaine entre les Présidents Poutine et Erdogan à Moscou a été présentée comme ayant pour but (et résultat) d’empêcher une guerre entre la Russie et la Turquie en Syrie. Mais une telle guerre n’a jamais été à l’horizon. Poutine ne s’est pas laisser prendre au bluff d’Erdogan, et le Turc s’est couché.
Le Président russe Vladimir Poutine et le Président turc Reccep Tayyip Erdogan, accompagnés de leurs principaux conseillers à la sécurité nationale, se sont rencontrés à Moscou le 5 mars. Le but de ce sommet d’urgence était de négocier les termes d’un cessez-le-feu qui mettrait fin aux âpres combats dans la province syrienne d’Idlib, qui menaçaient d’entraîner leurs deux nations dans un conflit militaire direct. Après plus de six heures de réunion, un nouvel accord, présenté comme un « protocole additionnel » au « Mémorandum sur la stabilisation de la situation dans la zone de désescalade au 17 septembre 2018 » (mieux connu sous le nom d’ « Accord de Sotchi » ), a été accepté par les deux parties.
Un pas en avant, deux pas en arrière
Pendant une semaine, du 27 février au 5 mars, la province syrienne d’Idlib est passée du stade zéro à une guerre entre l’armée syrienne et ses alliés d’une part, et des groupes terroristes lourdement armés (directement soutenus par la Turquie) opposés à la domination du Président syrien Bashar al-Assad d’autre part, dans une situation géopolitique semblable à un baril de poudre qui menaçait d’entraîner les armées turques et russes (sans même parler de la Syrie, de l’Iran et du Hezbollah) en conflit direct l’une avec l’autre. Le 1er mars, la Turquie, faisant suite aux menaces précédemment proférées par le Président Erdogan de repousser l’armée syrienne et ses alliés à la ligne de démarcation définie dans l’accord de Sotchi, a déclenché une offensive majeure, baptisée « Opération Bouclier de Printemps » et impliquant des milliers de troupes turques combattant aux côtés de formations anti-Assad.
Cette opération a rapidement échoué ; non seulement l’avance turque a été stoppée, mais l’armée syrienne, appuyée par le Hezbollah et des milices pro-iraniennes, a pu reprendre une grande partie du territoire perdu lors des combats antérieurs. Confronté à l’alternative d’escalader et d’affronter directement les forces russes, ou de se résigner à une défaite sur le champ de bataille, Erdogan s’est dirigé vers Moscou.
Le nouveau protocole additionnel, qui est entré en vigueur à minuit heure de Moscou le vendredi 6 mars, représente une défaite stratégique pour Erdogan et l’armée turque qui, en tant que deuxième force armée permanente de l’OTAN, équipée et entraînée selon les normes occidentales les plus élevées, aurait dû largement suffire à damer le pion à une armée syrienne en lambeaux, usée par neuf ans de combat incessants. Les forces armées syriennes, avec leurs alliés, ont cependant combattu les Turcs avec succès, les menant à une impasse. De plus, les combattants anti-Assad qui avaient été entraînés et équipés par les Turcs se sont révélés décevants sur le champ de bataille.
L’une des principales raisons de l’échec turc était le fait que la Russie contrôlait l’espace aérien au-dessus d’Idlib, refusant aux Turcs l’utilisation d’avions, d’hélicoptères et (sauf pour une période de 48 heures) de drones, tout en utilisant apparemment leur propre aviation aux côtés de l’armée de l’air syrienne pour pilonner à la fois l’armée turque et leurs forces alliées anti-Assad (bien qu’aucune des parties n’ait officiellement confirmé que les Russes ont bombardé les Turcs, car ç’aurait été un désastre pour les pourparlers ; mais jusqu’à preuve du contraire, l’armée syrienne ne possède pas de Su-34, l’avion de combat & bombardier supersonique russe le plus moderne qui a décimé les rangs turcs). En fin de compte, les combattants anti-Assad ont été contraints de se réfugier dans les soi-disant « postes d’observation », des garnisons turques lourdement fortifiées établies en vertu de l’accord de Sotchi, se mêlant aux forces armées turques pour se protéger contre de nouvelles attaques. L’opération Bouclier de Printemps s’est avérée être une défaite retentissante pour les Turcs et leurs alliés.
Des problèmes que les pourparlers ne résolvent pas
Aux termes de l’Accord de Sotchi originel, l’armée turque était censée superviser le retrait des forces anti-Assad lourdement armées, y compris Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une organisation désignée comme terroriste par l’ONU, des zones dites de « désescalade ». L’incapacité à accomplir cette tâche, combinée à des attaques continues contre les positions syriennes et les civils par des combattants du HTS, a provoqué l’attaque de l’armée syrienne à Idlib. Le protocole additionnel négocié cette semaine à Moscou « réaffirme » le « dévouement » turc et russe à « combattre toutes les formes de terrorisme » et à « éliminer tous les groupes terroristes en Syrie ».
La manière dont cela sera mis en œuvre n’est pas précisée dans le protocole additionnel, étant donné que la majorité des forces anti-Assad qui ont cherché refuge dans les postes d’observation turcs sont des combattants d’HTS qui, une semaine auparavant, ont été généreusement approvisionnés en armes et en véhicules par l’armée turque pour mener des attaques coordonnées avec elle. Les modalités pratiques de mise en œuvre de ce protocole semblent donc inexistantes.
L’accord se concentre également sur un autre aspect critique, mais non mis en œuvre, de l’accord de Sotchi original, à savoir la garantie d’un passage sûr le long des couloirs stratégiques des autoroutes M4 et M5 reliant la ville d’Alep à Lattaquié (M4) et à Damas (M5). L’incapacité et / ou la réticence des Turcs à donner suite à cette disposition a été le principal moteur de l’offensive syrienne actuelle à Idlib. En effet, l’armée syrienne a pu prendre le contrôle total de l’autoroute M5 et était en train de faire de même pour l’autoroute M4 lorsque l’accord de Moscou a mis fin aux combats.
Aux termes du protocole additionnel, les nouvelles zones de désescalade seront définies par les lignes de front telles qu’elles existent actuellement, garantissant les avancées durement gagnées faites par l’armée syrienne et embarrassant Erdogan, qui avait promis de renvoyer les Syriens vers les positions qu’ils avaient au moment de l’accord de Sotchi initial. De plus, l’autoroute M4 sera désormais tamponnée par une zone de sécurité de 12 kilomètres (six kilomètres de chaque côté), et des patrouilles conjointes de la Turquie et de la Russie y garantiront un passage sécurisé pour la circulation des véhicules commerciaux. Ces patrouilles commenceront le 15 mars, ce qui signifie que les Turcs ont dix jours pour superviser l’évacuation des forces anti-Assad de ce couloir, c’est-à-dire de les repousser au nord de l’autoroute M4, ce qui était le but initial de l’offensive syrienne.
Retour à l’ordre, mais pour combien de temps ?
Bien que présenté comme un accord de cessez-le-feu, le protocole additionnel produit par le sommet de Moscou entre Poutine et Erdogan jeudi est un instrument de reddition à peine déguisé. Le gouvernement syrien a obtenu tout ce qu’il cherchait en lançant son offensive, et les Turcs et leurs alliés anti-Assad se sont retrouvés à lécher leurs blessures dans une poche d’Idlib très réduite. Au-delà de la prévention d’un conflit direct entre la Turquie et la Russie, qui n’a jamais été une probabilité sérieuse, le protocole additionnel n’apporte que peu de changements à la situation sur le terrain. La Turquie est toujours confrontée à la tâche de désarmer les combattants HTS qu’elle embrasse actuellement en tant qu’alliés, et la crise humanitaire déclenchée par des centaines de milliers de réfugiés déplacés par les combats antérieurs demeure. À bien des égards, le protocole additionnel, comme son précédent, l’Accord de Sotchi, est un arrangement provisoire conçu pour échouer, car son succès ne fait que perpétuer une réalité insoutenable qui ne sera résolue que lorsque la totalité du territoire syrien sera restituée au contrôle de la gouvernement syrien.
Best thing for me from the Moscow meeting between Erdogan and Putin was the subservient stature of the Turkish delegation in front of Putin and standing under the statue of Catherine the Great who defeated the Turks several times during the XVIII century. #TwitterKurds pic.twitter.com/yNqOLXBPVI
— @Hevallo (@Hevallo) March 5, 2020
Pour moi, le meilleur moment de la rencontre de Moscou entre Erdogan et Poutine a été la position servile de la délégation turque face à Poutine, se tenant debout sous la statue de Catherine II, qui a vaincu les Turcs à plusieurs reprises au XVIIIe siècle.
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