Retour sur l’héritage de Mandela
Comment gérer l'héritage de Madiba ? Cet été, une fois par semaine, je vous propose une série de témoignages, déjà publiés ou non, que des amis m'ont confiés et qui portent tous sur les manières de perpétuer l'héritage de Mandela.

Son art de la médiation était fondé sur la franchise. Quand il venait au Burundi, il ne s’empêchait de s’adresser à ses interlocuteurs dans des termes cassants. D’après Pierre Buyoya qui l’a côtoyé longtemps, « c’était un médiateur difficile, très dur, mais par contre, honnête. Il a apporté un plus aux négociations, notamment cet aspect d’intégrité : s’il était dur, il l’était avec tout le monde. S’il faisait pression, il la faisait sur tout le monde, avec le seul objectif de faire avancer la cause de la paix ».
Comment gérer l'héritage de Madiba ? Cet été, toutes les semaines, je vous propose une série de témoignages, déjà publiés ou non, que des amis m'ont confiés et qui portent tous sur les manières de perpétuer l'héritage de Mandela. Si la jeune génération engagée salue le parcours d'exception de Nelson Mandela, écrivait notamment Edgar C. Mbanza sur Youphil en 2013, elle préfère ne pas « trop individualiser » son combat qui fut, dès le début, fondamentalement social. L'auteur nous a accordé le droit de reprendre des témoignages qu'il avait recueilli en 2010 et en 2013, depuis Johannesbourg.
« Contrairement à ce que me disait un de mes jeunes visiteurs, Mandela n'a jamais été le chef d'un groupuscule noir qui s'est métamorphosé sur le tard, une fois arrivé au pouvoir. Avant et pendant son emprisonnement, il a toujours refusé des idées sectaires. Il a toujours défendu une idée haute de la démocratie. C'est pourquoi il faisait tant peur aux chefs de l'apartheid ».Richard Sisulu, petit-fils d'un grand compagnon de lutte de Madiba, veille farouchement à l'héritage du géant sud-africain.
En faisant visiter l'une des demeures familiales devenues ces dernières années un haut lieu de l'histoire sud-africaine, il explique aux touristes le parcours des fondateurs de l'African National Congress, le parti de Mandela. Ce travail de « transmission », il le partage avec bien d'autres, et notamment avec le Nelson Mandela Center of Memory and Dialogue. « Nous devons tout faire pour que les valeurs et les actions de Mandela soient correctement transmises », rappelle-t-il avec insistance.
De quel héritage s'agit-il, justement ? La force de l'engagement. Jeune, Mandela aurait pu rester dans son Tanskei natal, accepter la soumission (de l'apartheid, mais aussi de son clan traditionnel qui voulait lui imposer une femme, par exemple) et vivre une relative aisance matérielle au sein du clan royal des Thembu. Mais le fils dit non à sa famille et, dans la foulée, se lance dans l'activisme militant. En 1948, il a déjà signé un pacte avec la lutte lorsque les extrémistes blancs instaurent un programme politique nauséabond : « die kaffer op sy plek » (« le nègre à sa place ») fondé sur la peur du « Swart Gevaar » (« péril noir »). Rapidement, la révolte dont il est l'un des leaders le jette plus d'une fois en prison, et pour longtemps...
On connaît beaucoup de choses de Mandela en prison. On sait surtout que le détenu matricule 466/64 n'oublia jamais le sens du mot liberté, même au plus profond de l'enferment. « Imaginez un homme réduit à casser les pierres, isolé, avec une seule lettre et une seule visite tous les six mois pendant presque trois décennies, rappelle Richard Sisulu. Quand on voit comment ses convictions en sont sorties renforcées, ça nous apprend à résister, quelles que soient les épreuves ».
« Ne pas trop individualiser » la lutte de Mandela. Jan van Eck, un des plus anciens cadres blancs de l'ANC disait (en 201à) vouloir, lui, « recadrer » la célébration actuelle de l'héritage de Mandela. Nous, Sud-africains, nous aimerions mettre en valeur deux choses : sans la longue mobilisation civile internationale, Madiba serait probablement toujours en prison. Mais dans le même temps, nous gardons en mémoire qu'un authentique démocrate a croupi en prison pendant 27 ans, avec l'arrogance d'un régime ségrégationniste entretenu par des systèmes étatiques et diplomatiques ». Ils sont nombreux effectivement, parmi les représentants de la nouvelle génération de jeunes leaders sud-africains, à vouloir « réflechir plutôt sur le sens politique de la force de Mandela ».
« Il est un homme exceptionnel. C'est vrai », affirme avec insistance Mutele Thinawanga, jeune cadre du parti au pouvoir. « La force de Mandela, c'est d'abord lui-même. Nous avons la certitude que l'Afrique du Sud n'aurait pas été ce qu'elle est sans un leader extraordinaire comme lui ; et ceux qui lui ont succédé ont montré qu'on ne remplace pas un géant ». Mais immédiatement, il avertit : « Attention, il ne faut pas trop individualiser sa lutte. Son combat n'a pas de sens s'il n'est analysé que dans un cadre socio-politique. J'ai entendu ici et là des gens qui évoquent Mandela, sa dimension exceptionnelle, tout en occultant l'injustice qui a défini son engagement ».
Dans le même ordre d'idée, d'autres insistent pour replacer le parcours de Mandela, non pas seulement dans le passé, mais aussi et surtout dans le présent. Ludwine Moshua, journaliste à Capetown, souhaite que la célébration de Mandela serve impérativement à saluer le courage de ceux qui luttent partout pour la liberté et leur dignité. « Il serait absurde de parler de Nelson Mandela sans avoir une pensée en faveur de ceux que des Etats totalitaires oppriment en ce moment dans le silence des puissances ». Une liberté indivisible et partagée. Il n'y a pas d'éloge à l'humanité, en Afrique du Sud, qui ne rappelle la noblesse de Mandela en prison, sa forte amitié avec son gardien blanc James Gregory. Jusqu'au bout, Mandela a défendu une liberté partagée, inclusive, jusqu'à se faire des ennemis parmi les franges extrémistes noires qui ne rêvaient que de revanche à l'encontre des blancs... Jusqu'à renier celle qui était encore son épouse, Winnie Mandela, parce qu'elle devenait à ses yeux d'une radicalité insupportable.
Nous avons tous en mémoire l'une des premières phrases de Mandela libre, le 11 février 1990 depuis le balcon de l’hôtel de ville du Cap : « J’ai lutté contre la domination blanche, et j’ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales » (A suivre). Pierre Laurent.
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