Retour sur un massacre : un vieux lion devenu bouc émissaire
Envoyé spécial de l’AFP au Liban en 1982 et 1983, au sein du contingent français de la Force internationale à Beyrouth (France,Grande-Bretagne,Italie,Etats-Unis, Liban), j’ai assisté aux prémices qui ont inévitablement conduit aux massacres de Sabra et Chatila.

Extrait de mon dernier livre, Le reportage : toute une vie, ailleurs, encore sans éditeur. Chef de bureau ou envoyé spécial de l’AFP en Afrique, au M.O., en Asie du Sud-Est et E.O., et en Amérique du Sud. L’extrait ci-dessous se réfère au mois d’août 1982. Une force internationale était venue au lendemain du siège protéger le départ d’Arafat et de ses miliciens.
CANCANS HISTORIQUES SUR UN MASSACRE
Séjourner à Beyrouth en été peut être une fête. Le ciel est profondément bleu. Dans les arbres des parcs de pins maritimes, les cigales font entendre leur chant qui est à peine couvert par le crépitement des rafales d’armes automatiques.
Des plages de sable blond s’étendent à perte de vue. Des bâtiments de guerre de la VI° flotte américaine voguent auprès d’un porte-avions. Ils profilent leurs silhouettes à l’horizon.
Une force internationale (composée de contingents de « marines » américains, de fantassins britanniques, de légionnaires, des « marsouins » français et de « bersagliers » italiens) a débarqué le 21 d’août pour veiller, à la demande l’Organisation des Nations-Unies, à l’évacuation - « dans la sécurité et la dignité » - des combattants palestiniens et de leur chef Arafat en direction de la Tunisie, qui avait bien voulu leur accorder un asile. Le départ des Palestiniens a duré neuf jours.
Deux mille soldats syriens de la Force arabe de dissuasion sont rentrés chez eux. Neuf mille Fedayin et deux mille cinq cents hommes de l’A.L.P., armée de libération de la Palestine, ont été embarqués, soit au total 11 500 hommes. Yasser Arafat les suivra à bord d’un bateau grec pour la Grèce, le 30 août. Le leader des combattants a exigé d’être escorté jusqu’au port par des troupes françaises, puis en mer pas des bâtiments des flottes française et américaine.
L’opération Galilée, lancée par Israël pour contraindre le Liban à faire respecter ses frontières, a été interrompue. Tsahal est en train de rapatrier les 35 000 hommes qui occupent encore la partie orientale de Beyrouth.
Dans Beyrouth-Ouest saccagé par la guerre, aux trois quarts détruit durant le siège par les bombardements, les quartiers encore intacts sont aux mains de diverses milices anarchiques, musulmanes, chiites et sunnites, islamistes « morabitoun », subventionnées par l’Égypte, qui emploient les chaudes journées de cet été à tirer dans les fenêtres d’immeubles où affirment ces hommes, les menacent d’autres milices musulmanes, chiites, sunnites, druses, morabitoun, palestiniennes ou autres, tandis que, pendant ce temps, la Syrie, avec son appareil militaire, tient le Liban en otage. Ce petit monde d’excités prétend faire la loi. L’insécurité règne partout, des unités françaises essuient, à plusieurs reprises, les tirs irrationnels des moujayidines. Les rues sont piégées. Un photographe a marché sur une plaque d’égout minée. Nous déjeunions quand on nous a apporté ce qui restait de lui : sa carte de presse noircie. Je sus par la suite que de son corps, les démineurs du 17° Génie n’avait récupéré qu’un morceau de jambe.
Des hommes équipés par la Syrie de vieux blindés BTR-152 et de canons de 23mm jumelés soviétiques dressaient encore des barrages çà et là, « par mesure de sécurité », selon l’inspiration du moment. Chaque milice agissant comme au nom d’un pays souverain, imposait aux journalistes étrangers l’obligation de solliciter un visa de son service d’immigration. Situation grotesque, qui ajoutait de la couleur locale à mon reportage car sans téléphone, je me voyais contraint de traverser la ville, la tête dans les épaules, sous une ombrelle de ferraille, pour remettre mes dépêches au bureau de mon agence. L’étage en dessous avait reçu un obus de 144mm de l’artillerie israélienne, de sorte que le sol était un peu de guingois. Mais les filles et les garçons de cette antenne assuraient leur service comme si leur vie quotidienne était normale. L’entrée de l’immeuble était défendue par un garçon de douze ans, assis sur un tabouret, un kalachnikov sur les genoux.
Les activités brouillonnes des bravaches de ces milices provoquaient des embouteillages monstrueux en se déplaçant d’un bout à l’autre de la cité avec leurs antiques chars soviétiques T. 60, vestiges de la dernière guerre mondiale, fumant et pétaradant, épaves rescapées d’autres combats. Ils tiraient pour rien, sur n’importe quoi - apparemment pour rien, pour la « fantasia », des salves de canons bittubes antiaériens ZU-23-2 boulonnés sur des ridelles de camions de récupération- au milieu d’un flot de limousines de luxe aux vitres brisées, de camionnettes civiles, de véhicules prétendument militaires. On n’était pas au Liban, mais au royaume du roi Ubu, car tout cela se produisait en plein cessez-le-feu, en l’absence d’ennemi désigné. Il régnait l’absurdité la plus absolue, tandis que dans les quartiers chics de la capitale, les plus importants banquiers « phéniciens » vivaient obsédés par la crainte de voir les Palestiniens fermer leurs comptes en banque, dans lesquels leur « trésor de guerre » avait dépassé un total de cinq milliards de dollars. Que deviendrait dans ce cas la livre libanaise, déjà mise à mal depuis quelques mois par la présence du chekel israélien ? Ces gens surarmés semblaient occuper leurs loisirs, en ce temps de trêve, à se tirer les uns sur les autres, d’une rue ou d’un immeuble à l’autre.
La capitale du Liban - le siège israélien, une fois levé, était devenu le théâtre de feux d’artifice permanents, une foire aux armes russes d’infanterie, « Kalachnikov » et « RPG 7 » antichar pointées comme au tir au pigeon, sur les balcons d’en face, ou bien même en l’air, par amour de la poudre etpour célébrer, affirmaient-ils, une bien illusoire victoire sur Israël ; en fait sur « le Juif », leur ennemi ancestral.
Mais au Liban, les « fous de Dieu » étaient aussi ceux de la drogue transitant par la vallée de la Bekaa. Ils occupaient comme ils le pouvaient le terrain. En se mitraillant les uns les autres, de part et d’autre des rues, ils avaient transformé les façades d’immeuble en broderies aussi délicates que celles de l’Alhambra, dans les quartiers situés à l’ouest de la capitale libanaise, entre les plages où se trouvaient les ruines des grands hôtels et l’ancien palais à la turque qui, avant d’être une ambassade de la République française, avait été un casino. La « châtelaine du Liban » et les personnages cosmopolites levantins de Pierre Benoît venaient y jouer leurs fortunes. Il avait été construit en 1905, tout en grès rose et marbre blanc, par quelque bey de l’empire ottoman, à l’époque où les Turcs maintenaient sous leur joug tous les musulmans et Juifs du Proche-Orient, de Constantinople à l’Égypte des Khédives, jusqu’à l’extrême Sud-Est de la péninsule arabique.
Ce palais oriental demeurait le témoin anachronique des splendeurs des années vingt. On y avait vu danser les potentats levantins ou arabo-cosmopolites, y perdre des millions avant que la France ne s’y installe il y a soixante ans.
C’était près de là que les Palestiniens, pour défendre Beyrouth, avaient réquisitionné toute une série d’immeubles modernes situés parmi les bois de pins d’une zone résidentielle de haut niveau, et disposés en quinconce au milieu d’espaces verts. Les « fedayins » de l’OLP les avaient transformés en blockhaus selon les méthodes de Borodine, à Canton dans les années trente.
Le palais turc avait été éventré par quatre obus de 155 mm de l’artillerie israélienne. Il était presque en ruines quand nous sommes arrivés avec la Légion étrangère et l’infanterie de Marine. Il n’avait pas été ménagé, bien au contraire, par les artilleurs et les avions de bombardement israéliens, pendant le siège de Beyrouth qui a mis fin à l’opération « Galilée ». Le gouvernement de Jérusalem, avec l’aide de Tsahal, son armée, avait eu pour objectif l’élimination des Feddayin afin de rétablir, du même coup, la sécurité sur les frontières de l’Etat juif.
Ces immeubles de cinq ou six étages avaient été reliés entre eux par des tranchées ou des couloirs faits d’énormes fûts de trois cents litres remplis de terre. Les cloisons séparant les appartements de chaque étage avaient été éventrées pour permettre une circulation horizontale entre tous les logements mitoyens. Les fenêtres donnant sur les principales avenues conduisant au centre de la ville avaient été occultées par des sacs de terre disposés en meurtrières, comme les « chouf » (meurtrières) des casbahs d’Afrique du Nord. Au rez-de-chaussée j’ai vu des prisons où avait été enfermé le tout-venant des prisonniers de leurs unités ou de celles de l’ennemi. Cet ensemble architectural était partiellement détruit quand il fut « nettoyé » par la compagnie du capitaine Puga, du 2e Régiment de parachutistes étrangers que j’accompagnais. Les hommes de cette unité durent aller débusquer, comme à la pêche aux crabes, la piétaille des combattants palestiniens qui y était encore terrée après le cessez-le-feu.
Je me trouvais depuis deux semaines dans le grand parc de la résidence des pins, siège évacué de l’Ambassade de France, dévastée par les bombes israéliennes . J’étais l’hôte d’un régiment d’infanterie de marine qui venait de relever les légionnaires qui les avaient précédés. Ceux-ci avaient quitté les lieux en claquant moralement la porte.
Le maître d’hôtel de l’ambassadeur avait clamé que « les légionnaires, ces gens-là, avaient pillé la cave de son Excellence » et qu’ils « mangeaient » dans les services de Sèvres dont ils risquaient de briser les assiettes.
Le colonel du régiment avait par conséquent donné l’ordre de départ en annonçant qu’après « avoir fait déboucher les chiottes de l’ambassadeur, qui étaient bouchées, on irait s’installer sous les décombres des tribunes du champ de courses. »
« La légion n’est pas faite pour vivre dans des palais, même quand ils tombent en ruines » avait-il lancé en quittant cette résidence, où caquetaient les oies blanches de son Excellence. Ou plutôt ce qu’il en restait. Ce troupeau de gardiennes du foyer avait été décimé. Le diplomate, homme très raffiné, à l’abondante coiffure blanche romantique, s’en lamentait. Personne n’osait le lui dire : ses volatiles sécuritaires de luxe avaient terminé leur existence à la broche, destin qui n’était pas tellement surprenant dans le cadre d’un palais construit par les inventeurs du supplice du pal.
Je ne m’attendais pas, au milieu de cette cité en ruines, à ce que la disparition de tels volatiles pût provoquer un tel émoi. Il est vrai que ces oies, comme celles du Capitole, faisaient partie du « petit personnel » de la Chancellerie. Elles avaient pour mission de protéger cet illustre établissement , en alertant par leur cri hideux son Excellence, quand l’armée française ne campait pas encore dans son parc.
« On m’en a volé la moitié », se plaignait cet homme de culture qui, décidément, avait vécu des heures dangereuses au service de la République.
L’Excellence manifestait sa colère en présence des « marsouins » qui occupaient sa résidence et transformaient les plates-bandes de son parc, déjà dévasté, en campement où il risquait d’apercevoir, au petit matin, les jeunes hommes nus, du 3e Régiment parachutiste d’Infanterie de Marine (RPIMA), se savonner sous des douches de fortune.
Après avoir assuré le départ des " fedayins " palestiniens et de leur leader Yasser Arafat dans " la sécurité et la dignité ", comme l’avaient ordonné les directives officielles de l’ONU, le contingent multinational était sur le point de se disperser, deux semaines avant le terme du mandat prévu par l’organisation internationale. Les États-Unis avaient décidé de rappeler ses " marines ", avant la date fixée, " mission accomplie ", disaient-ils, tandis que les autres pays hésitaient à suivre cette initiative en faisant valoir l’instabilité politique et militaire qui dominait dans la capitale à moitié en ruines, plongée dans le chaos le plus complet par plusieurs milices de toutes obédiences, musulmanes intégristes et chrétiennes.
Je me trouvais le 5 septembre de cette année 1982, avec un petit groupe de confrères dans ce parc. Nous venions d’assister à un briefing militaire final, au cours duquel avait été révélé que, contrairement à la vérité officielle libanaise proclamée les jours précédents, les « fedayins » palestiniens n’avaient pas tous quitté le pays. Les 15 000 hommes dont on avait parlé n’avaient été en réalité que 11 500, et ne représentaient que la partie visible de leur système. Il y en avait encore des milliers, disséminés et cachés, au sein de la population, dans les réseaux souterrains de Beyrouth, et dans une « médina » connue sous le nom de Sabra et Chatila, que l’OLP s’obstinait - avec succès - à faire désigner par la presse internationale comme étant un « camp de réfugiés ».
Ce qui est une belle impropriété sémantique, doublée d’un abus de confiance ! Je m’y étais rendu plusieurs fois avec des militaires en patrouille. C’était purement et simplement une médina de plus dans Beyrouth, à une différence près : ces quartiers étaient bourrés d’armements, et leurs habitants, infiltrés par les hommes de Yasser Arafat, qui avait échappé à l’évacuation. Au moment de quitter la ville, les « combattants », les fedayins, n’avaient pas déposé tout leur armement comme l’avait exigé l’ONU. Il restait plus de 40% des armes qu’ils étaient supposés remettre entre les mains du contingent international et des autorités libanaises.
L’armement qui manquait avait finalement été découvert dans des souterrains grands comme des lignes de métro construites dans le sous-sol de la capitale, et confisqué . L’OLP y avait aménagé des cantonnements, des espaces de stockage de munitions.
« Sous prétexte que leur mission avait été accomplie, les Américains voulaient évacuer les troupes avant l’heures prévue », me dit un officier de la force multinationale.
« Si nous partons, tout cela va déboucher sur un énorme bordel, ou pire », prévoyaient nos interlocuteurs.
Les commentaires d’autres officiers montraient clairement que ni les Français, ni les Britanniques, ni même les Italiens ne manifestaient, pour ces raisons, la volonté d’écourter la durée de leur séjour à Beyrouth, alors qu’ils n’étaient qu’aux deux tiers de leur mission.
« Étant donné ce que nous savons, disait l’un d’eux, nous devons tirer la sonnette d’alarme au sujet des drames et des règlements de comptes qui risquent de se produire dans les quartiers musulmans de la capitale, en l’absence du contrôle armé de la force internationale. »
Les zones réputées sensibles, comme Sabra et Chatila, où vivait une grande partie des Palestiniens réfugiés au Liban, présentaient le risque de devenir, un jour ou l’autre, le théâtre d’affrontements sanglants entre les combattants de l’OLP qui y étaient encore cachés et les différentes milices chrétiennes cantonnées dans Beyrouth-Est. Quatre cent mille Palestiniens vivaient encore au Liban à cette époque.
Nous venions de voir, quotidiennement depuis notre arrivée le 21 août, ces milices musulmanes se livrer le jour et la nuit à un véritable feu d’artifice, auquel nous assistions, les soirs, depuis la terrasse de la résidence où un mess provisoire avait été installé. En réalité, ce spectacle nocturne, à la mode orientale, était dû aux rafales de balles traçantes tirées par des centaines de ces « dingues de fantasia et d’escarmouches » qui infestaient la ville.
Certains habitants de Beyrouth paraissaient enivrés par l’odeur de la poudre, délire qui se prolongeait dans une apothéose démente de balles traçantes, d’éclats d’obus antichars qui luisaient dans le ciel clair, sans menacer d’autres gens que les passants sur lesquels retombaient ces balles perdues et les éclats d’obus. Il y avait quotidiennement des victimes de ces tirs insensés. Mais comme personne, apparemment, ne tenait la comptabilité de ces incidents « collatéraux », officiellement, il n’y en avait pas.
Tandis que nous parlions, se produisit une escarmouche sur l’avenue qui passait devant l’entrée du parc. L’intense circulation des voitures et camions en était à peine perturbée. On apercevait quelques types en kaki, armés de lance-roquettes antichars russes qui tiraient en direction des balcons du quartier d’en face ; sans qu’on comprenne très bien quel était l’enjeu de ce « cirque ». Les unités du contingent international stationnées dans le voisinage se gardaient bien d’intervenir. Elles en avaient l’habitude.
« Et si l’on met les voiles, qui donc va s’occuper de maintenir l’ordre à Sabra-Chatila et protéger sa population ? »
« Pas nous, dit l’un d’eux. Nous, on va se tailler et vite. », répondit un sergent-chef de Marine américain, d’origine angevine.
« Alors qui donc ? », demandait un Français.
« L’armée libanaise ? », suggéra un Britannique.
« Vous plaisantez, elle est à peine opérationnelle actuellement... »
« Alors qui ? »
« Eh bien les « Ketaheb » voyons ! Les milices chrétiennes de Gemayel ne demandent qu’un prétexte pour en découdre avec les gens de l’OLP. Ils sont au moins six mille et leurs armes n’ont encore servi à rien. »
« De toute façon, les contingents internationaux doivent quitter Beyrouth le 13 septembre, dans une semaine. Mission accomplie. », dit un Anglais.
Les « Marines » des États-Unis allaient en effet quitter Beyrouth le 10 septembre.
Le 11 septembre, il fut confirmé que le rembarquement aurait lieu le 13.
Le même jour, le contingent italien avait levé le camp.
La première phase de la mission internationale était terminée, proclama-t-on .
La seconde phase visait au déploiement de l’armée libanaise. Elle était loin d’être remplie, estimaient des officiers d’État-major de la force internationale.
Quitter Beyrouth avant la date fixée, mission accomplie, fut une décision lourde de conséquences, tandis que d’autres pays hésitaient à suivre cette initiative et faisaient valoir l’instabilité politique et militaire qui prévalait dans la capitale à moitié en ruines, plongée dans le chaos le plus complet par plusieurs milices de toutes obédiences, musulmanes intégristes et chrétiennes.
Les conséquences du départ ne se firent pas attendre : le 12 septembre, le convoi d’une unité française qui se rendait au port tomba dans une embuscade. Un immeuble où était installée une section d’appui fut attaqué et incendié.
Le même jour, près de la « résidence des pins », un convoi du 17e régiment du Génie, celui qui avait déterré plus de deux tonnes de mines dans Beyrouth, fut attaqué à l’arme antichar russe RPG 7, et détruisit un de ses camions chargé de caisses de munitions qui firent long feu.
Tout cela ne présageait rien de bon. Quelle milice avait fait le coup ? On l’ignora.
Le paroxysme, tant redouté au sein du groupe d’officiers et de journalistes, réuni la semaine précédente en la résidence des pins, était en train de se réaliser :
Le surlendemain, 15 septembre, un véhicule transportant 200 kg de TNT volatilisa le siège des Forces chrétiennes libanaises. L’immeuble fut anéanti. Béchir Gemayel, président de la République, et leader des milices chrétiennes, fut tué dans cet attentat, avec dix-neuf autres personnes.
Le prétexte longtemps attendu par la Milice chrétienne, impatiente de régler ses comptes avec les Musulmans palestiniens, venait de lui être fourni de la plus tragique des façons. Les Ketahabs sautèrent sur cette occasion. Se venger de l’horrible mort de son président et de sa suite, dont ils rendaient responsables les Palestiniens, leur paraissait une œuvre pieuse. Ils ont fait irruption dans Sabra et Chatila . Ce jour-là, des milliers d’habitants vivant dans ce quartier ont été massacrés. Il y eut, selon l’armée libanaise, 460 morts, de 700 à 800 selon Tsahal. Les Palestiniens avancèrent le chiffre de 3000 victimes.
Par commodité d’expression diplomatique, semble-t-il, on a rendu responsable l’armée israélienne, qui avait commencé son évacuation depuis deux semaines.
On a accusé Israël de non-assistance à personnes en danger de mort, mais il convient de remarquer que de la même manière, les contingents étrangers de la Force internationale, venus protéger l’évacuation de Yasser Arafat et de ses combattants de l’OLP, et présentes à Beyrouth les deux jours précédant ces événements, se doutaient parfaitement qu’un drame se tramait. Il serait convenable de dire que leurs gouvernements sont tous coupables d’avoir péché par omission, par leur manque d’assistance à une population en danger de mort. Évidemment, dira-t-on, on ne pouvait pas prévoir l’assassinat du président Gemayel, encore que sa mort ne dût être une surprise pour personne.
Mais, comme il a été dit ensuite, « That was not of their business » : ce n’était pas le but de leur mission, puisqu’il s’agissait d’une crise « intérieure » libanaise...
Les faits eux-mêmes démontrèrent l’incapacité ou l’indifférence des gouvernements occidentaux, quand, une semaine plus tard, les États-Unis, la France et l’Italie, à la demande du gouvernement libanais, créèrent une nouvelle force internationale d’interposition au Liban.
Les contacts que j’ai pu avoir à cette époque avec les militaires du premier contingent international m’avaient permis de constater que tous connaissaient fort bien les tensions existant entre les Libanais, les milices chrétiennes, les musulmans de Yasser Arafat. Personne n’ignorait que toutes les autres étaient subventionnées par l’Égypte, l’Iran, la Syrie. Tous s’affrontaient pour obtenir la maîtrise du trafic de drogues entre la vallée de la Bekka et le port de Beyrouth, indépendamment du conflit israélo-palestinien, utilisé parfois comme un alibi à la conduite de tous les trafics et combines traditionnels auxquels ces fedayins et leurs amis locaux se livraient.
La nouvelle force internationale allait être chargée de terminer les missions interrompues par le départ prématuré des premiers contingents débarqués le 21 août et rembarqués vingt-trois jours plus tard.
In Le Reportage : toute une vie, ailleurs, Editions Publibook, 14 rue des Volontaires 75015 Paris
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON