Rétrospective sur une crise alimentaire « globalisée »
« Emeutes de la faim » pour les pays pauvres, « érosion du pouvoir d’achat » pour les riches. Malgré cette divergence sémantique, la réalité est la même partout dans le monde. La crise alimentaire est bien là, et chacun cherche à sa manière à s’en sortir. Malheureusement, pour les pauvres du tiers-monde, le problème se pose autrement du fait de la désintégration de leurs économies.
Ainsi, en un tour de main, le système capitaliste a réussi, à l’image de sa politique ultra-libérale, à « globaliser » la faim, tel un système des vases communicants où la base est envahie en premier lieu, c’est-à-dire « les exclus de la globalisation », avant d’atteindre les hauteurs. Pratiquement tous les cinq continents de la planète ont été touchés par cette vague d’émeutes à des degrés différents bien évidemment. Quoi de plus normal quand l’on sait que la globalisation constitue désormais le cadre structurel de l’économie mondiale !
Ces émeutes se seraient passées pendant la guerre froide, les bonzes de l’orthodoxie libérale ainsi que leurs médiums auraient parlé d’une « vaste conspiration internationale d’inspiration communiste visant à déstabiliser le monde libre » et on y verrait le « spectre rouge » partout, Moscou et Pékin auraient été pointés du doigt comme étant les principaux instigateurs. Mais les choses ont bien changé depuis...
Or, chaque jour qui passe apporte son nouveau lot de pays « contaminés » par la « gangrène libérale » de la faim. Comme toujours en pareille circonstance, tout le monde crie au scandale, la communauté internationale s’en émeut et cherche de s’en acquitter, pour des maux aussi graves et profonds, par des solutions palliatives et ponctuelles. D’ailleurs, le coup de gueule du président sénégalais, A.Wade, va dans ce sens quand il s’en prend ouvertement à la FAO, dénonçant son échec manifeste oubliant sûrement que « ceux qui sont en colère se trompent parfois de colère », en feignant d’ignorer que la quasi-totalité des pays africains n’ont pas consacré à l’agriculture plus de 10 % de leur budget, plus de quarante ans après les indépendances.
LA REPETITION DE L’HISTOIRE
La particularité de ces émeutes de la faim en Afrique, comme ailleurs dans le monde, est d’abord leur caractère spontané, prenant au dépourvu gouvernants, partis politiques et syndicats, qui ont démontré leurs limites de pouvoir anticiper sur les événements et partant, leur faillite. Et pourtant certains esprits lucides, intelligents et visionnaires avaient déjà prédit que le monde courait à sa catastrophe par cette politique ultra-libérale poursuivie, taxée de suicidaire et d’anti-sociale, voilà bientôt vingt ans. Ensuite, il y a le fait que la plupart des pays africains secoués par cette crise avaient déjà atteint leur point d’achèvement, c’est-à-dire éligibles au programme PPTE(pays pauvres très endettés) du FMI et de la Banque mondiale d’allègement de la dette. C’est à se demander sur l’efficacité de ce programme qui en définitive met les économies africaines en coupe réglée, d’autant que malgré cet allègement, les pays en voie de développement remboursent bon an mal an, de 190 à 220 milliards de dollars, soit deux à trois fois la somme requise pour la satisfaction des besoins fondamentaux tels que définis par les Nations unies.
Il faut remonter vers les années 1870, pour découvrir des cas similaires de famine à la seule différence que la famine de ces années-là avait pour cause la grande sécheresse des années 1876 à 1879, qui a constitué un véritable désastre aux proportions véritablement planétaires, puisque des cas de sécheresse et de famine étaient signalés à Java, aux Philippines, en Nouvelle-Calédonie, en Corée, au Brésil, en Afrique australe et en Afrique du Nord. Le coût humain de cette hécatombe était estimé à une dizaine de millions de victimes.
Cependant, l’Histoire démontre que ces hécatombes furent aussi et surtout des occasions pour les puissances d’alors - l’Europe, imitée en cela par le Japon et les Etats-Unis - pour se tailler de nouvelles colonies, d’exproprier des terres et de s’accaparer de nouvelles ressources minières et agricoles. Elles participaient déjà à l’époque à la logique impérialiste d’étendre les zones d’influence dans le Tiers-monde.
Ainsi donc, chaque grande vague de sécheresse correspondait à une nouvelle avancée impérialiste, et le rythme de l’expansion coloniale répondait avec une étrange régularité à celui des catastrophes naturelles et des épidémies, selon les historiens. Autant dire qu’à l’époque déjà, l’implacable logique impérialiste était en marche en utilisant les famines et autres épidémies comme arme pour mieux fragiliser et écraser certaines populations rétives, avant de les soumettre à la dictature du capital. Au commencement était le subprime…
En fait, les causes profondes de ce « crash alimentaire » trouvent leur source aux Etats-Unis, désormais la seule et unique hyper-puissance mondiale, depuis 2001 quand la Réserve fédérale (Fed) décida d’orienter les investissements vers l’immobilier. Ainsi naquit le système de subprime, crédits hypothécaires à risque et à taux variable consentis aux ménages les plus fragiles. Il a suffi à la Fed de réviser ses taux directeurs à la hausse en 2005, pour que la machine se détraque et fasse vaciller tout le système bancaire international. Environ trois millions de ménages américains ont été mis en situation d’insolvabilité avec des endettements évalués à environ 312 milliards de dollars et par effet de domino, cette crise financière va entraîner d’autres secteurs notamment par l’envolée du prix du pétrole avec le baril à 130 dollars, des matières premières et des produits agricoles avec la hausse exponentielle du prix de la tonne de riz Thaï, qui est passée de 300 dollars au début 2007, à 760 dollars au premier trimestre 2008 !
Mais le facteur le plus aggravant de cette crise, hormis ceux déjà cités, est sans conteste cette « ruée » vers les biocarburants dont la production entre directement en concurrence avec la production alimentaire. La production d’éthanol à partir du maïs américain a considérablement renchéri le prix des tortillas, ces galettes de maïs qui sont l’aliment de base de millions de Mexicains. Il en est de même de l’augmentation des superficies consacrées à la canne à sucre brésilienne pour produire de l’éthanol qui se fait souvent au détriment du soja dont les cours aussi se mettent à flamber. En Egypte, le pain est subventionné et rationné. En Thaïlande, les rizeries sont désormais gardées par l’armée.
Par ailleurs, et cela où l’on découvre le côté à la fois cynique et inique de l’impérialisme mondial, on estime que les fermiers américains - les USA étant le premier pays producteur du monde des céréales- n’avaient pas encore arrêté leurs choix de cultures de printemps 2008, entre le soja, le maïs et d’autres cultures de rente dans l’unique espoir de semer au dernier moment celle qui se vendra le plus cher dans quelques mois.
Il ne serait pas vain de rappeler que les Etats-Unis viennent d’accorder 6 milliards de dollars de subventions à leurs fermiers, pour la production de biocarburant qui va drainer hors du marché alimentaire, environ 138 millions de tonnes de maïs. Et ceci, pendant que l’humanité peine à satisfaire les besoins fondamentaux des humains et qu’environ 2 milliards d’êtres humains vivent encore en dessous du seuil de pauvreté. J. Ziegler, le Rapporteur de la Commission des Nations unies pour le droit à l’alimentation, qualifie carrément cette situation de crime contre l’humanité !
Même la vieille Europe, qui pourtant a des liens historiques et » privilégiées » avec l’ Afrique, s’est fixée comme objectif d’ici à 2010, l’utilisation de 5.5 % d’agrocarburant dans les moteurs, et de porter ce taux à 10 % en 2020.0bjectif pour le moins irresponsable, car il va aggraver davantage la pénurie alimentaire dans le monde.
Comme si cela n’était pas suffisant, et obéissant toujours à la logique néolibérale, les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), qui est un organisme constitué à Paris en 1961 par dix-neuf Etats européens, les Etats-Unis, le Canada, le Japon, en vue de favoriser l’expansion des Etats membres et des Etats sous-développés ont accordé en 2006 à leurs fermiers et agriculteurs, des subventions à la production et à l’exportation pour plus de 350 milliards de dollars, contre 106,5 milliards accordés en 2005 à l’APD (Aide publique au développement), pratiquant ainsi un dumping agricole sans pareille avec comme conséquence la destruction systématique des agricultures vivrières africaines. Cette situation ne va sans rappeler l’échec de la politique de l’APD qui, jusqu’à ce jour, n’a jamais atteint le taux de 0.7 % du PNB (Produit national brut) des pays riches, qui est l’Objectif du millénaire de développement (OMD) et que par ailleurs, de 1980 à 2000, la part consacrée à l’agriculture dans l’APD a été réduite de 50 %.
Depuis la fin de la guerre froide, c’est la toute première fois que le système capitaliste dans son stade actuel de développement, vient de connaître une crise aux véritables dimensions planétaires parce que touchant à un des besoins fondamentaux de l’homme, à savoir la nourriture. Elle a démontré que s’agissant de l’alimentation, l’être humain était prêt à se défendre quel qu’en soit le prix.
Mais elle a surtout révélé que l’arme alimentaire était d’une redoutable efficacité et cette crise était un test grandeur nature de la capacité de nuisance de cette arme sans égale, qui affaiblit d’abord les victimes avant de les assommer...
Elle a aussi permis de mettre en lumière toutes les formes d’antagonismes, d’incohérences et d’exploitation inhérentes à la société capitaliste qui vont sûrement engendrer l’émergence – l’histoire étant le lieu d’un perpétuel changement de formes d’une nouvelle forme de la lutte des classes, comme moteur des événements...
Mayifilua N’Dongo
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