Révolutions dans le monde Arabe, « révolution » globale... jusque demain l’Occident ?
Après la Tunisie, l’Egypte, quelques débuts de soulèvements ici et là, et surtout la Libye à feu et à sang, rien ne semble plus pouvoir arrêter le feu de la Liberté. En Arabie Saoudite aussi, les deux socles du royaume, la famille royale et l'establishment religieux wahhabite, voient leurs façades de légitimité tomber peu à peu en décrépitude, faute de réelle crédibilité. Comme ailleurs, la jeunesse Saoudienne, largement pauvre et révoltée par l’injustice et les privilèges outranciers des « intouchables » du régime, ose de plus en plus la critique sur les réseaux sociaux. La famille royale reposant sur plus de 7 000 princes dominant la société saoudienne jusque dans le moindre quartier, perd de son autorité auprès de ses sujets aspirant à devenir citoyens. Cette « oligarchie royale et religieuse » devient insupportable pour la majorité silencieuse. Cette extension de la famille régnante n’est pas sans division clanique et ambitions conflictuelles. D’une oligarchie l’autre, toute différences culturelles et historiques gardées, cela nous interroge aussi sur notre propre gouvernance. Nous y reviendrons.
Washington n’est donc pas sans redouter un effondrement de cet allié majeur du monde arabe qu'est l’Arabie Saoudite, source d’un baril de pétrole sur quatre dans la production mondiale, elle n’est pas un pays « ami » parmi d‘autres pour l’Amérique. La suprématie et l’ambition des USA reposent grandement sur cette affiliation exclusive avec l’Arabie Saoudite, au mépris de toute moralité ou éthique, à l’image de nos relations, nous la France, avec « nos » ex amis dictateurs. Gardons que l’or noir reste encore le nerf de la guerre, pour le moment, surtout économique. Les principes fondamentaux des fameux droits de l’Homme s’effacent toujours devant les intérêts financiers. Le Président américain reste prisonnier de toute une logique d’ensemble, de mauvaises fréquentations longtemps passées sous silence. Chacun sait qu’après la conclusion éventuelle de l’épisode Libyen, celui de l’Arabie Saoudite pourrait ne plus tarder. Si le président américain paraissait dicter une feuille de route à l’Egypte, on lui reproche désormais de ne pas aller assez loin. Sous nos yeux, le monde change dans sa globalité. La prudence des USA traduit cette intuition.
Outre l’implantation d’une gouvernance oligarchique, cette « révolution en domino » parle aussi pour nous même, la « réal politique » ou la « logique » économique dans des pactes avec le diable, semblent en effet atteindre leurs limites, de l’acceptable. Lorsque la Pauvreté, ici et là bas, partout ou presque, s’accroît proportionnellement à l’amoralité de gouvernance et de gestion des affaires de la cité, le pire est à craindre. A moins qu’il ne s’agisse du meilleur, les avis seront partagés. Les pyramides d’Egypte reposeraient dans leur édification sur une répartition équitable et subtile des divers matériaux constitutifs, chose qui assure permanence et cohérence de ces structures d’architecture. Nous devons retrouver le Vivre Ensemble, vraiment.Tous ces dictateurs, qui furent nos alliés ou serviteurs, voire plus, nous paraissent vivre dans un éloignement total d’avec la réalité de leur peuple. Nos propres citoyens dénoncent de plus en plus un phénomène similaire dans notre beau pays. L’heure n’est plus ici à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais à celle d’une élite dirigeante d’avec les citoyens. Ce divorce non consenti par le peuple porte en germe bien des rébellions, d’autant plus, en période de pauvreté et chômage de masse.
Le feu, certes encore très doux, n’est pas sans annoncer non plus quelque incendies futurs de liberté, en Chine. Cela semble impensable, autant que toutes les autres révoltes actuelles l’étaient jusque ces jours derniers. Même s’il n’est pas interdit de s’interroger sur l’origine de cet enchaînement « révolutionnaire » de début d’année, gardons que la civilisation s’embrase au cœur même de ses pays sources. Personne ne s’étonne que ce vent de liberté souffle dans ces lieux chargés des symboles les plus essentiels, plus que religieux.
La Chine laisse donc entrevoir des ébauches de l’impensable. Depuis le 17 février 2011, on y appelle aussi à l’imitation de la Tunisie et de l'Egypte sur Boxun, un site renommé en Chine bien que situé aux Etats-Unis. Le 20 février le slogan de la révolution-net était ainsi "nous voulons manger, nous voulons du travail, nous voulons des logements, et nous demandons la justice". Etonnant parallèle partiel avec certaines de nos manifestations. L’exigence d’une plus grande liberté d’expression est inhérente à ce site chinois. Par ailleurs, le quotidien hongkongais Ming Pao n’est pas sans critiquer la répression permanente des autorités du pays. On pouvait y lire au détour d’une page que "s'il veut éviter une révolution de jasmin, le pouvoir Chinois doit résoudre les problèmes de corruption et défende réellement les intérêts du peuple". Nous pensons soudain à tous nos « propres » scandales de l’année passée (logements et privilèges de fonction, paradis fiscaux, précarité croissante…).
Avec toujours les mêmes fondements (Pauvreté, privilèges, manque de réelle liberté), le feu gagne ainsi le Proche et Moyen Orient, peut être la Chine dans un futur indéfinissable et dépendant du succès des « révolutions » actuelles (si tel est le mot juste). Même Cuba serait possiblement touché. Au-delà de notre affairisme souvent peu scrupuleux avec Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, le pays de Fidel Castro n’est pas sans renvoyer toute une partie de notre intelligentsia à ses propres contradictions et « compromission » idéologiques et morales.
En mémoire de la mort du dissident Orlando Zapata Tamayo (86 jours de grève de la faim), plusieurs manifestations ont été récemment organisées sur l'île Cubaine et dans le monde. Sa tombe serait surveillée par la police jours et nuits, selon la blogueuse Yoani Sánchez. Le soulèvement initial tunisien aura su rappeler la force historique que peut avoir un homme seul, souvent au prix de sa vie. Mohamed Bouazizi, jeune Tunisien qui s'immola par le feu devant un édifice gouvernemental après que la police lui ait interdit de vendre des fruits sur la place publique, pourrait incarner le nouvel évangile de bien des résistants de tous les pays. Les conséquences à effet domino de cette immolation, dépasse encore notre entendement, ou nous interroge. Certains auront su saisir cet événement. L’avenir dira ce qui relève du hasard ou de plans éventuels de plus longue date. Le résistant mort à Cuba le 23 février 2010 dans l’affirmation de sa liberté, laisse une trace indélébile dans l’agenda du gouvernement Cubain. Ce mort rassemble en lui toutes les victimes passées du pouvoir castriste. La force d’un homme réside en partie dans la mémoire de ceux qui partagèrent son calvaire ou chemin de croix. Mais reprenons le sens de l’Histoire au stade qui est le sien, ces jours-ci.
En Libye, l’heure est pareillement à la liberté, dans un combat plus encore sacrificiel. Il n’est pas exclu que nous nous trouvions face au cas le plus extrême, ne pouvant que se clore dans la mort du tyran. Les engagement annoncés par le Colonel Kadhafi en 2008 ouvrant à la réintégration de la Libye dans la communauté internationale, notamment par la modification du code pénal Libyen (s’opposer aux choix du Pouvoir est un délit de première gravité) et l’abolition de la peine de mort, cet engagement n’a pas été tenu. Le Colonel aura laissé passer son rendez vous avec l’Histoire. La misère massive de l’Est du pays n’est pas sans se nourrir de l’aspiration équivalente à la liberté. L’incendie est le même que dans les autres pays nord-africains et moyen orientaux. La dimension sociale (emploi, logement, inégalité et privilèges de Cour…) est prédominante dans cet enchaînement « révolutionnaire ». Il s’agit de révolte de la faim, celle de liberté autant que de nourriture. Souhaitons qu’elles soient celle de la fin, de la corruption internationale, de la primauté de la finance sur l’Homme, et du renoncement du politique au sens le plus noble.
Ce n’est pas un hasard si le conflit Libyen a éclaté à Benghazi. Là aussi, la mort de certains Justes aura nourri le courage héroïque actuel. Certaines morts donnent la vie à d’autres. L’exécution d’opposants dans la prison d’Abou Salim en 1996 (une artillerie tirait déjà à bout portant) faisant plus de mille prisonniers politiques, reste dans la mémoire du peuple Libyen et participa à son soulèvement. La liste des exactions de Kadhafi (ayant reçu tous nos présidents ou presque) serait longue. Elle nourrit la rébellion présente. La démence d’un vieux dictateur devrait trouver face à elle, la force immense de la raison et du cœur. Le régime de Kadhafi aura toujours tenté d’étouffer ce passif d’Abou Salim, allant jusqu’à proposer une indemnisation aux proches des victimes. La question de l’oligarchie de privilèges, du scandale de la Pauvreté, se mêle inévitablement à celle de la Justice. Quand le peuple réclame la liberté, l’exigence de justice est toujours conjointe. Dans notre pays aussi, le peuple la perçoit comme appliquée à deux vitesses ou non possiblement libre en totalité.
Après les premières protestations émises par l’Union européenne, la Libye menaçait ces jours derniers de cesser toute collaboration sur le front de l’immigration. Pour les dictateurs, les êtres humains ne sont jamais que des stocks parmi d‘autres, voire, des armes de dissuasion ou de négociation. Des dictateurs aux terroristes, il n’y a qu’un pas. Quoi qu’il en soit, l’Humain est au centre de tous ces conflits. De l’immigration à la pauvreté, tout condamne une certaine gouvernance inégalitaire et inéquitable. Cela nous concerne, là aussi.
Même si tous ces pays gardent leur spécificité, leur Histoire, cette « révolution en domino » n’est donc pas sans parler pour nous même. Bien entendu, les choses se situent dans un degrés et type d’évolution de société, tout à fait différent. Nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur les répercussions possibles de ces révolutions que certains citoyens vivent par procuration devant leur télévision, notamment les 10 millions de nos concitoyen survivant au seuil de pauvreté, les 25 % (jusque 50 % dans certains quartiers) des moins de 26 ans exclus de l’emploi et donc du logement, toute cette France humiliée de la révolte sourde. Voir tous ces dictateurs longtemps perçus comme indétrônables tomber les uns après les autres, cela ne peut que redonner au peuple la conscience de sa légitimité et de son pouvoir. Nous aurions tort d’envisager l’avenir comme échappant à l’impact de ces images historiques dont nos médias s’abreuvent logiquement. Qu’importe que nous ne puissions avoir encore qu’une idée peu claire et imprécise sur l’origine complexe de ce tournant de l’Histoire dans le berceau de notre civilisation, autant que dans celui de l’or noir. Ces peuples se révolteront bientôt contre ceux qui ont pactisé avec leurs tortionnaires. Les USA sortiront très affaiblis de ce bouleversement dans l’hypothèse de l’embrasement de l’Arabie Saoudite, ou très renforcés à contrario, hypothèse la plus probable ou voulue. D’aucuns ne seront pas sans soupçonner quelques interventions secrètes des USA, avant ou pendant ces événements.
Pour ce qui nous concerne, les Européens, gardons que nos peuples en sortiront renouvelés dans leur rôle et globalement renforcés. Puissent nos démocraties et Institutions y trouver matière à renaissance. Nous aurons sans doute à vivre une « révolution » intérieure, psychologique et culturelle, bien sûr. Sauf à courir le risque de graves menaces.
Guillaume Boucard
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