Russie-Occident : je t’écoute…moi non plus !
La succession rapide des événements intervenus ces derniers temps en Ukraine a visiblement pris de court les gouvernements occidentaux : référendum, signature de l’accord sur le rattachement de la Crimée à la Russie, officialisation de l’accord devant le parlement russe, etc. En moins d’une semaine, la crise de Kiev a tourné en l’avantage de Moscou qui, sous couvert du respect de la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes, semble avoir fini par trouver la « bonne » parade : action éclair, violence minime et mobilisation de personnes clés. Un Modus operandi signé Vladimir Poutine qui a mis le monde devant un fait accompli, et dont on devrait retenir au moins deux points.
Le premier, traduit la remarquable efficacité dont a fait preuve Vladimir Poutine. Il faut dire que Mister Poutine n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà eu l’occasion, en stoppant par un tour de passe-passe l’intervention des occidentaux en Syrie, d’étaler au grand jour ses talents de stratège visionnaire, obstiné et dissuasif.
Le deuxième, révèle une fois encore, le décalage entre la diplomatie étasunienne et européenne d’un côté, et la diplomatie russe de l’autre. Une incompréhension qui résulte pour beaucoup d’une lecture partielle des faits et de leur interprétation de manière superficielle voire erronée.
De fait, dans la logique poutinienne, l’intervention en Crimée est une réponse au soutien témoigné par l'Union européenne et les Etats-Unis au mouvement d'opposition à Kiev. Un soutien que la Russie considère comme une forme d’ingérence à un moment où elle se refuse à reconnaître le gouvernement provisoire ukrainien.
Cette réponse est d’autant plus justifiée qu’elle est alimentée par un sentiment partagé d’une menace à l’intégrité de la nation russe, laquelle se sent amoindrie par le déclin de son influence sur le Caucase et la montée de l’influence européenne à l’Ouest.
Car, si Vladimir Poutine semble afficher un certain détachement voire un certain dédain pour l’opinion internationale, il n’en est pas de même pour l’opinion russe. Détail important et non des moindres, Vladimir Poutine s’appuie sur une large part de l’opinion russe pour pseudo-légitimer ses agissements. Une opinion qui, rappelons le, éprouve encore une certaine nostalgie pour l’URSS, regrette son éclatement et dans certains cas conteste les indépendances des pays.
Ainsi, l’accroissement de la présence militaire russe en Crimée, ajouté à l’absence d’interlocuteur pour discuter de l’avenir de l’Ukraine avec Moscou, rendait la suite pour le moins prévisible. Le rattachement de à la Fédération de Russie n’était plus qu’une question de temps, une formalité.
Se pose alors une question : S’agit-il d’un simple acte isolé, un épiphénomène ? Ou marque-t-il le début d’une série de tentatives d’annexion territoriale par la Russie, une nouvelle pierre à une stratégie globale de reconquête des frontières de l’URSS ? Pire encore, faut-il y voir une menace pour les équilibres européens établis à la suite de la chute du Mur ?
Difficile de se prononcer…Si d’emblée, certains éléments semblent plaider en faveur de cette thèse (exemple de la Transnistrie où les séparatistes ont à leur tour exprimé leur volonté d’être rattachés à Moscou, alors même que la Moldavie vient de signer un accord d’association avec l’Union Européenne) celle-ci doit être relativisée au regard de certains facteurs dissuasifs ou de freins « naturels ». Ainsi, le fait que la Fédération de Russie soit elle-même composée de vingt et une républiques autonomes, pouvant elles aussi revendiquer leur indépendance ou leur rattachement à un autre Etat, constitue un frein à l’éventuelle tentation de démembrement de pays voisins.
Il est difficile d’imaginer que Vladimir Poutine fonce tête baissée dans cette voie sans prendre le risque d’inspirer les minorités nationales de la Fédération de Russie.
Autre facteur dissuasif, le coût des annexions. A moyen terme, l’arrimage de la Crimée à la Russie ne présente aucun intérêt sur le plan économique. La Russie devra débourser quelques dizaines de milliards de dollars pour la mise à niveau de son nouveau territoire conquis. Une autre opération de ce genre risque de peser très lourd sur son budget.
Par ailleurs, et contrairement à ce qu’on serait tenté de penser, l’action poutinienne s’inscrit dans une ligne directrice délibérée qui nécessite qu’au moins trois facteurs soient réunis : un facteur historique, un facteur ethno-linguistique et facteur conjoncturel. En d’autres termes, il faut d’abord que le pays visé ait appartenu par le passé à l’URSS ou à l’empire tsariste. Il faut ensuite, qu’il soit composé de minorités russes ou plus largement de russophones. Enfin, condition si ne qua non, il faut que le pays traverse une crise et atteigne un degré élevé de désaccord et de division de l’opinion. Dès lors, toute intervention de Moscou, pour venir en aide et protéger les minorités russes, parait de son point de vue légitime. Et cerise sur le gâteau, si la question est tranchée dans les urnes, il n'y a rien à redire !
Ce n’est certainement pas le boycott du prochain G8 à Sotchi qui fera changer d’avis à la Russie. Ni même la carte des sanctions économiques et de l’isolement qui s’avère tout aussi inopérante.
A ce titre, Moscou n’a toujours pas joué la carte des émergents. Ces fameux BRICS dont elle fait partie et jusque là restés à l’écart de la crise ukrainienne. En particulier la Chine qui avait déjà envoyé un signal fort en s’alignant sur la position russe contre une intervention militaire en Syrie.
Loin de produire l’effet escompté, les mesures prises par la diplomatie occidentale auront au moins servi à montrer son manque de préparation et d’anticipation. Une diplomatie qui pour combler ses lacunes s’est lancée dans un laborieux et inutile exercice d’improvisation où le durcissement de ton et la surenchère en matière de sanctions économiques font loi.
Ces mesures -basées essentiellement sur l’intimidation, le chantage et la menace- ne peuvent en aucun cas constituer une solution au problème. Elles risquent même d’opérer l’effet inverse et de faire glisser la crise vers quelque chose de plus grave.
Peut-être faudrait-il que les gouvernements occidentaux fassent un effort supplémentaire de réflexion… et finissent à leur tour par trouver la « bonne » parade !
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