Il y a quinze ans, débutait en Afrique un génocide qui a fait plus d’un million de victimes, qui s’en souvient aujourd’hui ?
Au Rwanda ont débuté, depuis une semaine, les cérémonies de commémoration du génocide, mis à part France Culture, aucun média en France n’en fait état.
Le
6 avril 1994, l’avion du président
rwandais Habyarimana est abattu peu avant son atterrissage à Kigali, ce
sera le point de départ d’une gigantesque tuerie.
Quelles en sont les raisons ? Y a-t-il des responsabilités extérieures à ces massacres ? Pourquoi ces événements sont-il passés sous silence ?
Le Rwanda compte trois groupes ethniques, les Hutu venus de l’ouest, cultivateurs, ethnie majoritaire : 85% de la population avant la guerre civile, « guerriers » éleveurs Tutsi venus du Nord qui ont longtemps dominé le pays, enfin, Twa dont les ancêtres pygmées ont probablement été les premiers habitants du pays sont l’ethnie la plus minoritaire.
Avant la colonisation, il n’y avait qu’une seule ethnie, le peuple des Banyarwanda, partageant la même langue, la même religion, le même territoire et les mêmes coutumes.
Pourtant, avant la colonisation, Hutu, Tutsi et Twa parlaient la même langue, avaient les mêmes coutumes, la même religion et vivaient ensemble en bonne intelligence sur le même territoire, cette classification "ethnique" correspondait en fait à des groupes socio-professionnels, auxquels des fonctions politiques étaient associées mais dont les frontières étaient relativement perméables, les Rwandais, pouvant changer de groupe en fonction de certains événements qui entrainaient une décision royale, le roi lui-même, le Mwami, dont la dynastie royale était issue des éleveurs tutsi, perdant, selon l’un des derniers d’entre eux, sa qualité de Tutsi en arrivant sur le trône. .
C’est à la suite de travaux d’ethnologues européens tels qu’on pouvait les concevoir dans les années vingt et donc très contestables que sont distinguées sinon précisément « cataloguées » des critères ethniques dignes d’une petite boutique des horreurs : dimension du crâne, taille du squelette, faciès, dessin du nez et de la bouche, couleur de la peau, etc.
L’administration coloniale va en déduire et décréter que les Tutsi sont grands et minces et qu’ils ont la peau plutôt claire, sont aptes au raisonnement et au commandement, alors que les Hutu petits et trapus, ont la peau plus foncée, et sont résistants à la tâche.
Aucun document administratif n’omet de mentionner la catégorie ethnique de chaque individu et l’autorité coloniale va établir d’autres critères, les Tutsi, d’une race supérieure aux Hutu et aux Twa auront la préférence du colonisateur, et deviendront ses relais coloniaux.
L’administration va favoriser les Tutsi sur tous les plans, y compris l’accès aux études supérieures qui, à l’exception du séminaire, seront interdites aux Hutu et réservées aux Tutsi.
Mais à la fin des années cinquante, cette élite tutsi émet de légitimes revendications indépendantistes.
Du coup, l’administration belge va changer son fusil d’épaule et monter les Hutu contre les Tutsi. C’est la théorie de l’ origine étrangère des Tutsi : on prétend alors qu’ils seraient venus du nord, d’Ethiopie et les Hutu ne sont-ils pas exploités depuis toujours par les Tutsi ?
Alors vont se produire les premiers massacres de Tutsi de 1959 à 1962 après le renversement de la monarchie, la proclamation de la République et de l’indépendance. Des massacres se produiront dans les années qui suivront, au point que déjà on parlera d’extermination et de génocide sans que le sang rwandais ne noircisse outre mesure les colonnes des journaux occidentaux.
Lors des attaques d’octobre 90, de janvier-février 91, de mars 92 et de décembre 92-février 93, 2000 civils furent tués, l’ONU les jugera pourtant assez importants pour déployer un contingent de 2500 casques bleus au Rwanda en 1993.
6 avril 1994, le déclenchement des massacres.
Ce 6 avril 1994, le Falcon 50 offert par la France au Rwanda est abattu, à son bord, le président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira, tous deux Hutus, rentrant d’un sommet régional en Tanzanie sont tués, aucun rescapé parmi l’équipage français.
Qui sont les auteurs de l’attentat ? Ont-ils agi seuls ou avec un soutien étranger ?
Cet attentat sera l’élément déclencheur des massacres.
Sur les ondes de la Radio des Mille Collines, créée en avril 1993 , une phrase singulière, l’Akazu, est diffusée à plusieurs reprises durant plusieurs jours : "Abattez les grands arbres !" Ce ne sont pas les grands arbres qui seront abattus mais les opposants hutu au génocide, puis des milliers de Tutsi.
Le lendemain matin, le premier ministre, Madame Agathe Uwilingiyimana, hutu connue pour sa modération est assassinée. Dix para-commandos belges chargés de sa protection seront torturés et assassinés tandis que cinq casques bleus ghanéens sont épargnés.
L’homme fort du régime est désormais le colonel Bagosora qui assure la continuité du pouvoir tandis que la France, la Belgique et l’Italie entament l’évacuation de leurs ressortissants et ceux d’autres nationalités. Nous sommes le 8 avril 1994.
L’assassinat des casques bleus de l’escorte de Madame Agathe Uwilingiyimana entraine de la part de la Belgique le retrait de ses troupes, des 2500 soldats de la MINUAR (Mission des Nations Unies au Rwanda) , il n’en restera que 250 une semaine plus tard : désormais plus rien ne pourra empêcher le génocide.
Ces massacres avaient été prévus, organisés et planifiés : l’armée rwandaise ayant entraîné des milices à « l’art de la guerre », les autorités ayant distribué des armes à feu, une liste de personnes à éliminer ayant circulé, dès l’heure suivant la mort du président, des personnalités clé de l’opposition étaient éliminées par la Garde Présidentielle.
Les massacres durèrent jusqu’en juin 1994 et des milliers de personnes furent tuées parce qu’elles n’étaient pas de la « bonne race ». La cruauté des meurtriers était sans pitié, pas même les bébés ne furent épargnés et, bien souvent, les victimes étaient violées ou torturées avant de mourir.
La lourde question de la responsabilité, et celle de l’impunité des coupables, se pose encore aujourd’hui…
Instigateurs de ces horreurs, les autorités rwandaises en sont incontestablement les premiers responsables. Ils ont prémédité, organisé et géré tout ce qui s’est passé, et même incité à cette violence par l’intermédiaire de la radio et de la télévision qui leur servaient d’armes de propagande.
Un coup de sifflet donnait le coup d’envoi le matin à 9h : la « chasse » était ouverte.
Les attaques se déroulaient sous l’autorité des milices de 9h à 15h.
Jean-Pierre Chrétien (dir.) dans son livre "
Rwanda, les médias du génocide" (Karthala - 15 octobre 2002) indique que
entre 1990 et 1994, à côté d’une floraison de journaux rassemblant des démocrates hutu et tutsi, l’Etat rwandais a ouvertement encouragé un réseau de médias extrémistes faisant l’apologie de la haine et de l’intégrisme ethnique.
Cette étude fait apparaître, textes et images à l’appui, leurs grandes orientations : dénonciation d’un péril tutsi, division de la société rwandaise en races antagonistes, fantasme d’un pouvoir « bantou » homogène, refus viscéral des règles démocratiques, fascination de la violence conçue comme une solution finale.
Quant aux exécutants, il semble, d’après quelques témoignages, qu’ils aient agi comme hors d’eux-même. A.S. Le Mauff, envoyée au Rwanda en 2003 par Amnesty International, a rencontré des prisonniers et recueilli des témoignages qui lui furent délivrés avec beaucoup de distance.
L’un d’eux confie : « Trente deux familles étaient réunies dans une même pièce. Nous les avons toutes tuées à coups de grenades. Ceux qui restaient étaient achevés à la machette. Nous n’avons pas eu le temps de violer les femmes car tout s’est passé très rapidement, en 10 minutes à peine ».
Beaucoup n’ont pas de souvenirs précis et semblent, d’après ce qu’ils en disent, avoir agi machinalement, en obéissant aux ordres : « Je les respectais tellement que tuer m’était facile. » (d’après A.S. Le Mauff, article publié dans La Chronique d’Amnesty International de mars 2003).
Dans un pénitencier près de Nyamata, une bourgade rwandaise, Jean Hatzfeld , auteur de
"Une saison de machettes" (Seuil - août 2003)
a rencontré un groupe de tueurs. Des copains, sans contact avec le monde extérieur et déjà condamnés. Au fil des mois de discussions, ils ont montré l’envie de raconter ce "brouhaha" de l’extermination, de dire précisément l’indicible. Pour renouer avec les braves cultivateurs ou instituteurs qu’ils avaient été ? Au plus près du mal absolu, le génocide, qu’il soit juif, gitan ou tutsi, leurs récits et les réflexions de l’auteur apportent autant de questions que de réponses.
"... Au fond, un homme c’est comme un animal, tu le tranches sur la tête ou le cou, il s’abat de soi. Dans les premiers jours, celui qui avait abattu des poulets, et surtout des chèvres, se trouvait avantagé ; ça se comprend. Par la suite, tout le monde s’est accoutumé à cette nouvelle activité et a rattrapé son retard... Le boulot nous tirait les bras...
...Personne ne peut avouer l’entière vérité. Sauf à se damner aux yeux des autres. Et ça, c’est trop grave. Mais un petit nombre commencent à raconter des bouts terribles. C’est grand-chose... Les fauteurs savent plus que des souvenirs et des précisions élémentaires, ils ont des secrets dans l’âme..."
Des complicités occidentales ?
Le 11 Janvier 1994 le Lieutenant General
Roméo Dallaire (Commandant de la Force ONU au Rwanda) avertissait le Secretaire-Général, Major-General
Maurice Baril qu’il existait quatre caches d’armes importantes ainsi que des plans pour l’ extermination de Tutsis par les Hutus .
Dallaire décida immediatement de plans pour que les troupes de la MINUAR s’emparent de ces caches d’armes et avisa les Quartier-Généraux de l’ONU de ses intentions, pensant que ces actions faisaient partie de son mandat de mission . Le jour suivant le QG répondit par un cable précisant que ces actions sortaient du mandat donné par la Resolution 872 du Conseil de Sécurité.
Sans vouloir entrer dans la polémique, il faut dire que les circonstances sont troublantes, jusque dans l’enquête qui a suivi le crash du Falcon présidentiel :
selon des articles du Monde la boite noire du Flacon serait en fait un faux.
Cette boite noire apparaît pour la première fois sur la scène au moment où les troupes françaises engagées dans l’opération “Turquoise” se déploient au Rwanda, alors que le génocide continue.
Puis le 28 juin 1994, l’ancien gendarme de l’Elysée, Paul Barril, assure être entré en possession de la boîte noire du Falcon 50 du président Juvénal Habyarimana, abattu trois mois auparavant.
Elle aurait été transférée par la suite, au siège de l’ONU, à New York.
Le 10 mars 2004, le juge Bruguière prétend que les Nations unies font obstruction à l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994. La mise en accusation et les sous-entendus sont clairs : l’ONU aurait conservé par-devers elle une “pièce à conviction” essentielle.
Enfin la bande est écoutée : elle contient des extraits de conversation entre la tour de contrôle et un appareil sur le tarmac de Kigali, mais ne livre aucun élément.
On apprendra par la suite qu’il s’agissait d’un montage.
Le 31 mars 2004, un représentant officiel de Dassault ,constructeur de l’avion Falcon reconnaît que l’avion du président rwandais n’était pas équipé d’une boîte noire.
Le 1er juillet suivant, le rapport définitif d’enquête de l’ONU sur la boîte noire découverte à New York est versé à l’instruction. Il y est établi que juste après l’attentat, à 2 h 45, le 7 avril, la mission militaire française au Rwanda a reçu l’autorisation de Paris de procéder à une enquête sur le crash.
Il y est également établi que l’accès en est refusé à l’ONU jusqu’au 21 mai. Il est précisé que la boîte noire de New York a été trouvée par l’ONU le 27 mai 1994, abandonnée à proximité du crash. En conclusion, l’ONU confirme que la boîte noire n’est pas celle du Falcon.
D’après l’analyse due la britanique Linda Melvern, des documents recemment revélés des archives de Mitterrand montreraint que l’invasion du FPR (Front patriotique rwandais) était considérée comme une agression d’un pays Francophone par un voisin Anglophone.
Ces documents poseraient la théorie que le FPR faisait partie d’un “complot Anglophone”, impliquant le Président d’Ouganda, afin de créer une “Tutsi-land” de langue anglaise et accroitre l’influence Anglophone.
D’après cette analyse, la stratégie de la France aurait été d’éviter une victoire militaire du FPR. Ce plan aurait été imaginé apr un réseau secret de militaires de haut rang, de politiciens, de diplomates et d’hommes d’affaires. Au centre se serait trouvé le Président François Mitterrand mais il aurait été caché aussi bien au parlement qu’à la presse.
Cependant, le colonel Jacques Hogard, ancien commandant du groupement sud de l’opération Turquoise au Rwanda (22 juin-22 août 1994) développe une thèse complétement opposée (revue DIPLOMATIE n°37 / Mars – Avril 2009).
Le Rwanda, pays francophone et ancienne colonie belge, s’est rapproché de la France sous la présidence du Général de Gaulle, en la personne de son premier président Grégoire Kayibanda. Mais c’est seulement en 1975, sous Valéry Giscard d’Estaing, qu’est signé un accord de coopération militaire entre Paris et Kigali.
Ainsi c’est au titre de cet accord de coopération militaire que des éléments réduits de l’armée française se trouvaient au Rwanda en octobre 1990, lorsque la rébellion tutsie, le FPR, formée en Ouganda sous la tutelle de l’armée de ce pays, a lancé une offensive contre le Rwanda.
Le président rwandais Juvénal Habyarimana, constatant qu’il était attaqué militairement par des éléments armés provenant d’un pays voisin et se trouvant en difficulté, demanda l’intervention de la France. Le président Mitterrand décida alors de dépêcher deux ou trois compagnies de parachutistes.
Cette intervention va durer un peu plus de trois ans, jusqu’en octobre 1993, permettant d’assurer le maintien d’un minimum de paix et la stabilité dans le pays. Elle prend fin au lendemain des accords d’Arusha, signés en août 1993,
En décembre 1993, aux termes des accords d’Arusha, les dernières troupes françaises se retirent du Rwanda et laissent la place à la MINUAR (Mission des Nations unies au Rwanda), d’un effectif de 2800 hommes fournis par des pays comme la Belgique, le Ghana ou le Bengladesh.
Il ne reste alors que 17 coopérants militaires, qui portent l’uniforme rwandais et servent comme assistants techniques. Ils n’ont pas de mission de combat, mais des missions de formation et d’instruction technique.
En conclusion, je doute qu’on arrive bientot à connaitre tous les tenants et les aboutissants de ce génocide, mais il ne fait pas de doute qu’il a été causé indirectement par la lutte que se livrent les grandes puissances occidentales pour le contrôle de l’Afrique et de ses richesses.
La réconciliation nationale
La Présidence Rwandaise , prend la décision, en janvier 2003 de libérer les Hutus par dizaines de milliers, en vue de procès en réconciliation. C’est dès lors la question du pardon et plus simplement de la coexistence dans un même lieu, des bourreaux et des victimes, hantés par leurs mémoires mais poussés par la nécessité de continuer à vivre, malgré tout.
Aujourd’hui, le pays semble l’un des plus sûrs et des plus stables du continent africain. Les auteurs du génocide ont été jugés, la plupart ont déjà effectué leurs peines et ils ont été réinsérés dans la société comme des citoyens à part entière.
Quant aux victimes, elles ont appris à taire leur douleur.
Pour souder cette société déchirée, les autorités l’ont mobilisée autour d’une vision commune : faire du Rwanda un pays moderne d’ici 2020. Les premiers résultats sont déjà tangibles dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la protection de l’environnement.
Le Rwanda, où beaucoup de responsables masculins ont péri ou ont été exécutés, est aussi champion du monde de la parité avec 58% de femmes à l’Assemblée Nationale et des femmes à la tête des principaux corps et services de l’Etat : la justice, la police, le contrôle des finances…