Se faire aimer plutôt que faire peur
« Nous devons nous faire aimer, pas faire peur ». Cette expression est attribuée au mafioso Nino Rotolo, incapable de recruter pour Cosa Nostra, la mafia sicilienne, qui a déferlé la chronique italienne et internationale depuis Al Capone, un de ses « symboles » aux Etats-Unis, jusqu’à Don Bernardo Provenzano, arrêté le 11 avril 2006, après plus de quarante-cinq ans passés dans la clandestinité.
L’organisation criminelle, faut-il le rappeler, a tenu en otage plus de 5 millions de personnes : les Siciliens. La « Trinacria » peine d’ailleurs à rebondir et demeure ainsi l’une des régions les plus pauvres d’Italie.
Mais, aujourd’hui, Cosa Nostra n’est plus que l’ombre d’elle-même.
C’est l’assassinat du juge Giovanni Falcone, le 23 mai 1992, qui a permis aux services antimafia italiens de mettre la main sur l’organisation. Mais, qui aurait cru que Cosa Nostra allait cesser d’exister, ou du moins de nuire ?
Dans un « pizzino », ce message chiffré soigneusement plié en quatre et enrobé de scotch, Matteo Messina Denaro, l’un des prétendants au siège de parrain, écrit à Don Bernardo, aujourd’hui en prison : « Notre société a perdu sa force contractuelle ».
Pourtant, Cosa Nostra s’identifie à une doctrine plus religieuse que criminelle, laquelle doctrine doit assurer, en principe, la continuité de l’organisation, tant qu’il y a toujours des « croyants ».
Il y a déjà ce personnage du parrain qui exerce un paternalisme sur ses « sujets » plutôt qu’un pouvoir ou une autorité. Un paternalisme qui débute, d’ailleurs, à partir du baptême. Il y a également la récurrence du champ religieux. La tradition veut, par exemple, que les « pizzini » finissent par une bénédiction et l’invocation d’un « Dieu miséricordieux qui nous aide ».
Mais, qu’est-ce que Cosa Nostra, comparée aux nouvelles organisations qui, somme toute, se prétendent être l’émanation d’un Islam militant et offensif ?
Le champ lexical religieux est omniprésent dans les messages d’Al-Qaida et les sous-organisations qui s’y identifient. La hiérarchie y est également respectée. Mais, contrairement aux organisations mafieuses - dont Cosa Nostra -, Al-Qaida frappe un peu partout dans le monde, de New York à Djerba, en passant par Bagdad, pour arriver à Bali. D’où l’incapacité des services de sécurité du monde entier de localiser leurs « vis-à-vis » ou d’anticiper - un tant soit peu - leurs plans.
Contrairement à Cosa Nostra, également, les organisations telles qu’Al-Qaida ne sont pas à cours d’effectifs. Au contraire, elles bénéficient de la présence de « bailleurs de volontaires » un peu partout dans le monde. Des volontaires qui sont prêts à opérer n’importe où dans le monde.
Ce qui n’est pas le cas de Cosa Nostra, dont les branches s’identifient à des localités. On distingue, en effet, la branche du village de Corleone ou celle de la ville de Palerme.
A son apogée, l’organisation criminelle a œuvré de manière à assurer aux Siciliens une vie digne, en l’absence de l’Etat qui a accepté - à tort ou à raison - de démissionner de l’île. Les flux migratoires des Siciliens ont, donc, été assurés par Cosa Nostra. Logements et emplois ont été fournis aux prétendants à l’immigration, notamment en Amérique du Nord. Les banques et les établissements publics en Sicile se sont vus renforcés, également, par un personnel exclusivement sicilien, Cosa Nostra ayant toujours eu accès aux plus hautes sphères de l’Etat. Autant de « bienfaisance » qui demeure toutefois criminelle.
Mais, qu’offre-t-on, côté Al-Qaida et compagnie, à part les promesses de paradis ? De telles organisations peuvent-elles apporter quelque bien - même sur une base criminelle de « séduction » - aux bidonvilles de Casablanca ou d’Amman, où de telles organisations recrutent ?
Côté Cosa Nostra, on a toujours évité la confrontation avec l’Etat. D’ailleurs, c’est la série d’attentats, en 1992, qui a donné le coup de grâce à l’organisation, dont la « Coupole » - le Conseil des chefs - ne s’est pas tenue depuis 1993.
Chez Al-Qaida et Cie, la confrontation avec l’Etat devient sa raison d’être. Donc, on est loin, aujourd’hui, du « Nous devons nous faire aimer, pas faire peur » - s’apparentant à un Mea Culpa sicilien - côté Al-Qaida et Cie.
D’autant plus que les Etats arabo-musulmans sont loin d’assurer une alternative aux « volontaires ». Car, si la confrontation avec l’Etat a précipité l’effondrement de Cosa Nostra, il n’en est pas moins vrai que la consolidation de la démocratie en Italie a donné aux Siciliens une marge de manœuvre - quoique limitée - qui s’est manifestée, notamment, par le refus des nouvelles générations de se mettre au service du « parrain » et de renier son « autorité morale ».
C’est ainsi qu’on lit sur un « pizzino » de Matteo Messina Denaro : « Les remplaçants et les remplaçants des remplaçants ne sont pas à la hauteur ».
Est-on, donc, condamné, dans l’espace arabo-musulman, à connaître le même sort de la Sicile et des Siciliens ? Doit-on souffrir pendant des décennies pour comprendre que cette voie ne mène qu’au nihilisme ?
Aujourd’hui, on l’entendra assez souvent en Italie : la Sicile, c’est la risée du pays. Un constat qui doit inspirer les décideurs, dans l’espace arabo-musulman, ainsi que la société civile et autres instances religieuses, avant qu’il ne soit trop tard. C’est un grand menu qui devra commencer par une dose d’ouverture politique, une pincée de tolérance et un zeste de justice sociale. Le tout bien mélangé, on saura avoir notre portion de la « pizza » civilisationnelle qu’est devenue la communauté internationale.
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