Sous le soleil de Louisiane
La Louisiane, c’est bien connu, est un Etat américain toujours en avance sur les autres. Preuve en est d’ailleurs que c’est par la Louisiane que Katrina a entamé son périple américain. L’histoire ci-dessous narrée se déroule dans cette région des Etats-Unis, elle fut déjà relayée par Le Monde il y a quelques mois, elle est reprise aujourd’hui, nouveaux éléments à l’appui, dans l’excellent TAZ (Tageszeitung), journal allemand dont le siège est à Berlin.
Jena High School, Louisiane. Comme son nom l’indique, cet établissement est une école. Dans la cour de l’école, il y a un arbre. Sous cet arbre, en été, il y a de l’ombre. Cette ombre n’est pas n’importe laquelle et elle n’appartient pas à n’importe qui. C’est une ombre séculaire, elle est une relique des temps passés, d’une époque sur le papier révolue. Cette ombre, elle appartient aux Blancs. Depuis la fondation de l’établissement, aucun Noir n’a eu le droit ni n’a osé s’installer sous cet arbre. Jusqu’à un beau jour de 2006 où trois jeunes Noirs un peu curieux s’enquièrent auprès du directeur de l’école des modalités pratiques relatives à un possible repos à l’ombre dudit végétal. Le directeur, bonhomme, répond simplement qu’ils sont libres de s’asseoir où bon leur semble. Ils fomentent alors un coup assez audacieux et s’installent sous les branchages. Le lendemain, trois cordes à nœud coulant sont suspendues à l’une des branches.
« Le message est simple, c’est signé Ku-Klux-Klan et signifie : sales Nègres, on aura votre peau », raconte Caseptla Bailey, la mère d’un des élèves, qui se rappelle encore les temps pas si anciens où les Noirs devaient lutter pour leurs droits (ils doivent toujours le faire aujourd’hui, mais moins officiellement). Le directeur décide d’expulser les élèves coupables, très facilement identifiés. Certaines autorités locales (la police, les conseils des professeurs et des élèves) le convainquent de ne rien en faire. Il renonce donc, sous la pression, annonce qu’il ne s’agissait que d’une blague de gamins qui ne mérite comme sanction qu’une simple expulsion toute aussi temporaire que symbolique de trois jours. Amen. Qu’il en soit ainsi.
Novembre 2006, une fête étudiante. Pour les Blancs. La star de football locale, un jeune Noir, Michal Bell, considérant peut-être que son statut spécial de star le protège, se rend à l’agape leucoderme. Il se fait aimablement tabasser avant d’avoir pu ne serait-ce que passer la porte.
Un jeune Blanc se fait arrêter. Il est simplement prié de s’excuser. Le ton est donné et ce dernier monte, le lendemain, lorsqu’un jeune Blanc impliqué dans la rixe de la veille menace avec un fusil ladite star de foot et deux de ses amis. Désarmé, le garçon s’enfuit, le groupe de jeunes Noirs également, mais ce sont ces derniers qui sont arrêtés, pour vol d’armes. Nomen est Omen.
La tension monte à tel point qu’une nouvelle altercation a lieu le lendemain dans la cafeteria de l’école. Provocations, doigts d’honneurs échangés, les événements restent flous, mais un jeune Blanc, Justin Barker, se retrouve au sol, perd conscience et doit être amené d’urgence à l’hôpital. Six Noirs sont interpellés. Ils sont accusés de tentative d’homicide. Les cautions sont fixées entre 70 000 et 138 000 dollars. Il est bon ici préciser que trois heures après l’agression, le jeune blanc est déjà sorti de l’hôpital et qu’il participera le soir même à un office religieux dans l’établissement scolaire.
Ce serait comique, si ce n’était pas aussi lamentable, mais l’avocat du jeune Blanc a présenté lors du procès qui s’est tenu en juin les chaussures de tennis de la star de foot comme des armes « pouvant entraîner la mort ». Devant le parterre de jurés (tous blancs), l’avocat de Justin Barker a appelé seize témoins, l’avocat commis d’office du jeune Noir aucun. Les cordes de pendu ne seront pas mentionnées, non plus l’agression de Michal Bell à la fête, les provocations et menaces des Blancs seront ignorées. Le 28 juin, Justin Barker est accusé de coups et blessures pouvant entraîner la mort. Avec préméditation. Il encourt jusqu’à 22 ans de prison. Il a 17 ans.
A la mi-juillet, la presse nationale s’étant emparée de l’affaire, le FBI fut dépêché sur place. L’enquête prend à présent une nouvelle tournure. Aux Etats-Unis, les mineurs ne sont pas censés être jugés en public. Les cordes à nœud sont enfin mentionnées, les traditions d’un autre (?) temps également. Le dénouement, sans mauvais jeu de mots, semble prendre un virage plus conforme à la Constitution (juridique) des Etats-Unis. Le procès du jeune Bell reprendra le 20 septembre. Celui des cinq autres accusés n’est pas encore commencé, aucune date n’a pour l’instant été fixée.
Preuve de la confusion et de la tension quasi religieuse des événements, on apprend au 1er août 2007 que l’arbre dans la cour de l’école a été abattu. L’image de l’arbre ne donnant pas de fruits, à la racine mauvaise et, de fait, coupé et jeté au feu, parabole de Jésus que l’on retrouve dans Saint Luc (3. 7-18), est reprise. Car la religion joue un rôle indéniable dans cette histoire. « On ne prie pas assez » fut une des causes invoquées par certains parents d’élèves et habitants de la bourgade. Il faut en outre préciser que l’arbre gênait pour la reconstruction d’un bâtiment incendié quelques mois auparavant (en rapport apparemment avec les faits). Joindre l’utile à l’utile. Et quand bien même, le problème descendait tout autant de l’arbre que les hommes d’Adam et Eve ; certains Etats du Sud des Etats-Unis sont toujours des foyers de haine raciale, même si la tendance est lentement à l’apaisement.
A une époque charnière de l’histoire des Etats-Unis, où pour la première fois un candidat noir a une petite chance de devenir président, ce genre de récits prouve que, chez certains cousins de l’Oncle Sam, on a encore quelques cordes à nœuds à son arc.
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