A Kangbashi, un million d’habitants ne s’installeront peut-être jamais. Les autorités chinoises ont choisi l’emplacement de cette ville nouvelle à l’ouest, dans la province de Mongolie intérieure. Selon les statistiques de 2005, 23 millions de personnes vivent dans cette région autonome grande comme deux fois la France (1,2 millions de km²). Les autochtones ne représentent plus que 17 % de la population totale : un sur six en moyenne. Après avoir promis à ses soutiens mongols une autonomie réelle, le pouvoir central a vidé cette notion de sa substance, en annexant purement et simplement la Mongolie intérieure en 1949 [Université de Laval].
La ville ancienne d’Ordos illustrait jusqu’il y a une dizaine d’années ce passé lointain. La ville nouvelle se situe à trente kilomètres. Kangbashi ne symbolise même pas la sinisation de l’ouest chinois. L’urbanisme de cette ville-cactus surgie au milieu de la steppe fait surtout penser à celui des villes du sud des Etats-Unis, au contact du Mexique. Les avenues sont larges et convergent en direction d’un centre orné de bâtiments monumentaux mélangeant le réalisme soviétique au kitsch d’un Brasilia sans Niemeyer. La bibliothèque informe et l’opéra, vague Colisée couleur chocolat, en constituent les deux morceaux de choix. Une statuaire figure les fiers guerriers mongols qui au début du XIIIème siècle ont déstabilisé l’Empire. Pékin justement entretient un rapport ambigu avec le souvenir de Gengis Khan : son mausolée a été aménagé dans la région (source).
Mais personne ou presque ne semble vouloir résider là. Alors qu’à Ordos, les rues grouillent d’activité, Kangbashi est vide. Quelques centaines d’habitants donnent pour l’instant le change, parmi lesquels les ouvriers des bâtiments en construction, ou ceux travaillant dans les différents chantiers d’aménagement ou d’extension de la ville. Un certain nombre de services municipaux fonctionnent d’ores et déjà, suscitant un peu d’animation à Kangbashi dans la journée.
« Kangbashi, monument à la prospérité chinoise, est devenu un symbole des ratés de sa planification. Il y a 5 ans, la municipalité d’Ordos, riche de charbon et d’acier, se lançait dans la construction de ce centre administratif. Objectifs : désengorger la vieille ville, contribuer à la croissance du PNB régional, et sans doute pour quelques fonctionnaires locaux, mettre la main sur les grasses enveloppes rouges inhérentes à tout projet immobilier d’envergure. Des milliards de RMB plus tard la ville est quasiment achevée, mais les habitants ne sont pas venus. Trop loin, trop cher » [voir ce post de chine.lemonde avec plusieurs photos].
L’auteur du blog ne mentionne pas l’entreprise de colonisation d’un territoire périphérique, mais s’interroge en revanche sur les implications obscures d’un tel projet conçu au milieu de nulle part. Evidemment les exemples de villes champignons existent ailleurs, comme à Valdeluz dans la grande périphérie de Madrid [Ne pas confondre casser une banque et construire une maison]. Le Turkménistan n’est pas loin. Il ne précise pas que le parti – après avoir freiné l’exode rural – annonce désormais vouloir l’encadrer [L’atelier du monde n’a pas d’annexes]. S’enrichir à l’écart du parti rapporte parfois beaucoup, mais s’avère beaucoup plus risqué. L’immobilier constitue la voie royale [source]. Jusqu’à un certain point [Figaro].
Ainsi, Huang Guangyu a subi les foudres de la justice de son pays. Il avait bâti sa fortune dans la hi-fi à prix cassés, monté une chaîne de magasins à succursales, et atteint la célébrité au début des années 2000. Il a en effet brièvement occupé la première place parmi les Chinois continentaux les plus riches [Les Echos]. Huit milliardaires chinois sur dix doivent leur position à l’immobilier [L’Express].
A Kingbashi, le prix des logements empêche de toutes façons les habitants de pouvoir devenir propriétaires (voir le journal de l’Asie du France 24, le dernier sujet) Geographedumonde a déjà relevé les effets pervers de la bulle immobilière chinoise, très perceptible dans les grandes métropoles de l’est. Le contrôle strict de l’activité bancaire et l’impossibilité de faire sortir de l’argent imposent aux Chinois les plus économes de faire des placements in situ. La bourse et l’immobilier ont donc été des investissements très répandus. Avec les risques afférents. « Dans les soixante-dix plus grandes villes chinoises, les prix de l’immobilier ont augmenté de 7,8 % entre décembre 2008 et décembre 2009, contre 5,7 % de novembre à novembre. Cette moyenne dissimule une croissance plus forte dans les deux villes de Shanghai et Pékin. » [Shanghai, sur un air de Dubaï].
Entre le printemps 2009 et le printemps 2010, les prix auraient doublé. L’augmentation serait de 13 % pour le seul mois d’avril 2010 [Nouvelle-Obs]. Chacun constatera l’emballement. Conscients du caractère sensible de la question, le pouvoir a dernièrement allumé des contre-feux, en légiférant sur les achats-placements (mise en place d’une taxation sur les achats d’un propriétaire non occupant) [Figaro]. Le feu provient toutefois en partie des plans de relance de la consommation intérieure qui se chiffrent en dizaines de milliards de yuans. Un bouleversement guette en Chine. Ce dernier ressemblera probablement à celui qui a secoué les Etats-Unis après 1929. C’est la thèse que l’on peut lire dans la Chronique de l’Agora.
En cas d’inquiétude boursière l’or sert de refuge pour les déçus de la pierre. Les Chinois applique l’adage à la lettre [source]. liquide, le métal précieux est cher à acquérir au plus haut des prix : c’est le cas en 2010, au pic de la demande. Lorsqu’en masse, les acquéreurs revendent leurs stocks, les prix s’affaissent. L’or reste alors sur les bras de ses détenteurs, en attendant que les industriels fassent leur office. La Chine est le premier producteur mondial depuis 2007 [source]. D’après le Quotidien du Peuple du 14 mai, l’or ne suffisant pas, les spéculateurs s’en prendraient à l’ail. Le Bureau National des Statistiques parle d’une multiplication par dix du prix de gros (+ 25 % en moyenne pour l’ensemble des légumes). Un vendeur évoque quant à lui un passage de 2 à 200 yuans pour un sac de 20 kg d’ail entre 2008 et 2010.
« ‘Spéculer sur l’immobilier ? Non, spéculer sur l’ail permet des profits supérieurs et plus rapides’, a dit mercredi un spéculateur se faisant appeler Zhang Lin au Southern Metropolitan Daily. Avec une mise de base de 500 000 Yuans, il a gagné plus de 2 millions de Yuans depuis l’année dernière. Il a dit que la plupart de ses amis voulaient désormais investir dans l’ail, l’argent qu’ils avaient préparé pour le marché immobilier, leur enthousiasme pour acheter des logements ayant été refroidi par les dernières mesures prises en Chine à l’égard du marché immobilier. […] ‘Les gros spéculateurs qui visent un marché y pénètrent soudainement et et en repartent tout aussi soudainement. Et ce sont les petits négociants qui paieront les pots cassés’. » L’ail fait tourner les têtes, y compris chez le boursicoteur français [source]. Mais après l’ail, ouille ! Les petits négociants mangeront leurs aulx. A Kingbashi, les propriétaires d’appartements inoccupés n’auront pas cette chance.
PS./ Dernier ‘papier’ de Geographedumonde sur la Chine : L’atelier du monde n’a pas d’annexes.
Incrustation : Ail chinois.