Sur les traces d’une « élection d’amnésiques » : comprendre le retour au pouvoir du Partidul Social Democrat
En février dernier, des manifestations monstres ont éclaté en Roumanie, les plus importantes depuis la chute de Ceausescu1.
En cause, une loi visant à diminuer le niveau de sanctions pour des peines de corruption, passée le 31 janvier 2017, par le parti majoritaire, le Partidul Social Democrat (PSD).
Le parti a effectivement pris le risque d’adopter une telle législation car il compte de nombreux cadres impliqués dans des affaires. Et c’est même peu dire : le parti s’est fait évincer du pouvoir à la suite d’un soulèvement populaire pendant l’hiver 2015. Étonnamment d’ailleurs, après une année « d’intérim » occupée par un Premier Ministre « technocrate » et non partisan, Dacian Ciolos, le PSD a réussi à revenir aux affaires dès décembre 2016.
Ce mouvement spontané de février peut donc être l’occasion de nous permettre de comprendre les raisons de ce si surprenant (pour un œil étranger) retour au pouvoir d’un parti récemment décrédibilisé.
Après une brève étude, nous avons donc repéré deux types de causes pour expliquer ces « législatives amnésiques »2 :
Des raisons structurelles
o Un vivier électoral constitué d’une classe populaire et marginalisée
o Un parti qui profite de son héritage du parti communiste
Une conjoncture favorable au PSD
o Une décennie de précarisation massive de la population roumaine
o Le PSD comme représentation d’un « vrai » changement
Un héritage sociopolitique qui favorise le PSD
Un monde rural et marginalisé…
Bien qu’étant un État dynamique, la Roumanie reste un état largement rural. Près de la moitié de la population vit toujours hors des villes. Nombreux sont les Roumains citadins à avoir des liens familiaux dans le monde rural. Ce phénomène est d’ailleurs amplifié depuis une vingtaine d’années par un « exode urbain » qui a vu déjà deux millions de roumains retourner « à la campagne » à mesure que les grandes industries des villes fermaient leurs portes.
Or, c’est dans cette Roumanie rurale que le PSD trouve son vivier électoral le plus important, pour deux raisons. La première tient à un problème structurel de la campagne roumaine : son arriération technique. Si l’agriculture représente près de 29% de l’activité rurale, elle contribue pour seulement 8% au PIB du pays. En cause, une absence quasi-totale de modernisation des moyens de production, faute de moyens politiques. Marginalisée depuis la fin du soviétisme donc, l’agriculture demeure essentiellement une activité de survie pour les roumains.
En outre, la campagne est également peuplée en majorité de personnes âgées et de jeunes actifs précaires. Pour les premiers, la chute de l’URSS et l’entrée dans le monde capitaliste s’est avérée douloureuse : peu de modernisation, un état de service public miné (état des communications routières par exemple), et une inflation des coûts de la vie. Concernant les jeunes actifs, ceux-ci expriment cet exode urbain en cours depuis 20ans : la fermeture des grandes industries aux cœurs des villes a vu leur retour massif à leurs racines familiales. Enfin, le salaire moyen est très bas, et il existe une vraie difficulté à accéder à l’offre de la modernité3.
C’est donc une population structurellement marginalisée qui voit dans le PSD un espoir de protection face aux ravages de la mondialisation.
…qui cherche la protection d’un parti idéalisé.
Si le PSD bénéficie de cette image, c’est qu’il est perçu comme l’héritier du PC Roumain qui, malgré la dictature de Ceausescu, conserve une aura positive auprès de la population4. D’importants membres du parti de l’ancien leader communiste ont effectivement joué un rôle crucial lors de son renversement. Par suite, le PSD – un nouveau parti fondé sur les cendres du PC de Ceausescu – est resté bien vu dans la population.
Ainsi, le PSD peut compter sur sa bonne réputation auprès d’une population marginalisée, pour pérenniser son influence sur la scène politique nationale.
Toutefois, si ces éléments structurels peuvent nous faire comprendre comment le parti PSD réussit à pérenniser son influence, ils restent insuffisants pour expliquer les raisons de sa réélection, si tôt après de multiples scandales. Pour cela, il est nécessaire de s’intéresser au contexte conjoncturel au retour du parti au pouvoir.
Deux éléments doivent donc être pris en compte :
Le parti de droite libérale (PNL) est rejeté à cause de ses mandats antérieurs nourris aux lois d’austérité.
Dacian Ciolos, premier ministre « par intérim », n’est pas jugé assez courageux dans sa lutte contre la corruption. Il est en outre soutenu, et reconnu comme tel, par la droite libérale roumaine, représentée par le PNL (Partidul National Liberal).
Une dernière année politique propice au retour au pouvoir du PSD
Une droite ultralibérale rejetée par les roumains
Face au PSD, le Parti National Libéral fait effectivement pâle figure. D’idéologie libérale et chrétienne-démocrate, le parti est issu d’une « malheureuse » fusion entre l’ancien et éponyme PNL, avec le PDL, ce dernier ayant gouverné de 2009 à 20125.
Ainsi, le PDL souffre d’une très grande impopularité du fait de mesures d’austérité très dures prises lors de son mandat : dès 2009 et encouragé par le FMI et l’Union Européenne, le premier ministre d’alors – Emil Bloc- a décidé le limogeage de près de la moitié des fonctionnaires, la diminution de leurs salaires à hauteur de 25%, et la hausse de la TVA de 19 à 24% ; le tout dans un pays où le salaire moyen est de 350€. M. Bloc peut d’ailleurs s’enorgueillir d’avoir réalisé la cure d’austérité « la plus dure de l’Union Européenne »6.
Après trois ans de cure donc, les Roumains, exténués, sont sortis dans la rue pour demander le renversement du gouvernement Bloc et la tenue de nouvelles élections7. Après des semaines de manifestations, M. Bloc a accepté le verdict de la rue et a démissionné – à la grande surprise de l’UE et du FMI qui ont vanté ses résultats, regrettant seulement qu’il n’ait pas eu le temps de libéraliser les marchés de l’énergie et de la santé.
Après ça, il est clair que la fusion de l’ancien PDL avec le PNL – et même le choix de garder seulement le nom de PNL – n’ont pas fait oublier aux roumains quelles étaient les idées et les choix économiques des dirigeants du parti, et la défiance à leur encontre est toujours très importante.
Le mandat du « neutre » Ciolos vu comme trop proche des thèses libérales
Enfin, et dernier point, le cas Ciolos. Ancien fonctionnaire de l’Union Européenne, Dacian Ciolos est « plébiscité » par le peuple roumain lors de la destitution du PSD à l’hiver 2015 pour lutter drastiquement contre la corruption. Ainsi, suite à la destitution du gouvernement Ponta, un compromis a été trouvé entre le PSD et le PNL pour choisir Dacian Ciolos comme premier ministre d’une large coalition.
Cependant, si son travail porte ses fruits8, celui-ci est jugé trop lent et la politique économique qu’il prêche – la rigueur budgétaire– le dessert dans un état déjà marqué par les réformes néolibérales. En outre, il s’affiche lui-même comme proche du PNL par sa proximité avec le président roumain Klaus Ihoannis.
Et au sein du gouvernement, si le PNL se fait (trop ?) discret, les membres PSD s’avèrent très actifs. Ainsi, ils enchaînent les déclarations et les mesures contre la politique du premier ministre qu’ils dénoncent comme trop austère : quelques mois avant les élections, les députés du PSD ont par exemple adopté un projet de loi visant à augmenter de 15% les salaires dans la santé et l’éducation9.
En moins d’une année donc, le PSD a réussit à redorer son blason grâce à son ancrage local et son discours anti-austérité, auquel il a ajouté un soupçon de nationalisme et d’anti-européisme : face au technocrate et ancien fonctionnaire de l’UE Dacian Ciolos soutenu par le parti de la rigueur, le PSD s’affiche comme le grand protecteur des classes marginalisées.
Conclusion
En somme : dans une Roumanie clivée entre des centres urbains occidentalisés et des campagnes marginalisées, dans un contexte politique où « la droite » fait peur à une majorité de population souvent précaire, et – faut-il le dire – dans un État où la « loi du chef »10 est toujours prégnante, le PSD a pu faire oublier ses scandales et revenir au pouvoir.
Il est toutefois prévisible que la Roumanie vit la fin d’une époque : les manifestations du début Février 2017 ont montré le ras-le-bol de la population envers les vieilles pratiques. Démarrées dans les grandes villes, les mobilisations se sont rapidement – et pour la première fois – étendues aux campagnes, comme un appel symbolique à la fin des anciennes pratiques.
Pour le moment donc, le PSD continue à gouverner le pays mais le pouvoir est plus que jamais affaibli.
Liviu Dragnea, leader du PSD
1 http://www.linfo.re/monde/europe/711276-roumanie-les-plus-importantes-manifestations-depuis-la-chute-du-dictateur-nicolae-ceausescu
2 http://www.lalibre.be/actu/international/legislatives-en-roumanie-une-election-d-amnesiques-584b3d6acd70bb41f08e2777
3 https://www.courrierdesbalkans.fr/Catherine-Durandin-Roumanie-quelle-crise-pour-quels-futurs
4 Brièvement, des membres du PC d’alors ont participé au renversement du dictateur, voir l’histoire du PSD : https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_social-d%C3%A9mocrate_(Roumanie)
5 http://www.latribune.fr/actualites/economie/20120206trib000682031/l-austerite-fait-tomber-le-gouvernement-roumain.html
6 http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/01/17/en-roumanie-manifestations-contre-l-austerite-les-privatisations-et-le-gouvernement_1630798_3214.html
7 http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/01/17/en-roumanie-manifestations-contre-l-austerite-les-privatisations-et-le-gouvernement_1630798_3214.html
8 Par exemple, la loi sur la nomination des directeurs d’hôpitaux, voir analyse de Vincent Henry pour l’IRIS : http://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/03/Note-de-lIRIS-Roumanie-VH-mars-2017.pdf
9 http://www.rfi.fr/emission/20161211-nicolas-trifon-linguiste-roumanie-legislatives-analyse
10Terme souvent utilisé pour désigner le modèle de corruption en cours au sein de l’Union Soviétique : en ce que les postes politiques ( et donc économiques) étaient décernés arbitrairement, les membres du PC devenaient de véritables seigneurs locaux auprès de qui se pressait la population pour obtenir des faveurs (biens de consommation, accès prioritaires aux services publics, etc.), plutôt que de recourir aux procédures lentes de l’URSS. Pour aller plus loin, voir le « Néo-patrimonialisme ».
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