Tunisie après la Révolution du Jasmin : que deviennent les femmes ?
Certaines se sont mise à porter le voile, d'autres se battent pour vivre à l'occidentale.....
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Mardi 13 août, c'était la journée officielle de la femme tunisienne. Comme chaque année, au pays du jasmin, on fête l'anniversaire du Code du Statut Personnel (CSP) voulu par Habib Bourguiba en1956 (divorce, interdiction de la polygamie, droit de vote, droit à l’avortement…).
Plus exactement, le CSP est un décret beylical du 13 août 1956, puisque Bourguiba n'était alors que Premier ministre. C'était 5 mois après l'indépendance de la Tunisie et avant le renversement du Bey et la promulgation de la République tunisienne.
Le Code de statut personnel adopté en 1956 a porté des avancées majeures pour la condition juridique des femmes mais, contrairement à une idée reçue, il n’est pas égalitaire.
Cette loi passée en force par Habib Bourguiba contre l’avis des milieux conservateurs, et fondée sur l’effort d’interprétation religieuse (" ijtihad") d’un théologien réfuté par l’université de la Zitouna, Tahar Haddad, remplace la répudiation unilatérale par le divorce judiciaire et abolit la polygamie (peu pratiquée de fait en Tunisie). Mais dans la sphère familiale, il maintient les inégalités liées à l’ordre patriarcale que Bourguiba n’entend pas abolir.
Dans un discours prononcé en 1962 où il rappelle clairement : "Il faut protéger la famille en préservant le privilège de l’homme d’en être le chef."
L’autorité paternelle, le choix du domicile par le mari, l’inégalité dans l’héritage sont maintenus, en dépit d’une de l’adhésion de la Tunisie à un traité de non discrimination (la CEDAW) sur lequel elle a formulé une réserve générale.
Mais le CSP a indubitablement contribué à l’émancipation de la femme tunisienne pourtant, depuis sa promulgation, il n’a eu de cesse d’être confronté au conservatisme de la société.
Les débats qui ont refait surface en 1987 à l’entrée au pouvoir de Ben Ali, puis aujourd’hui avec Rached Ghannouchi, et cela plus de 50 ans après sa promulgation, laissent penser que cette modernité amenée par Bourguiba n’est qu’une fuite en avant et que le CSP n’a jamais été complètement accepté par la société tunisienne, dont les mentalités ont du mal à évoluer.
Car même si Bourguiba s’est appuyé sur les textes religieux pour faire accepter le CSP, il a été imposé sans discussion, sans que les femmes aient eu à le réclamer, sans l’initiative d’un mouvement de revendications féministes. Bourguiba n’avait d’ailleurs pas hésité à arrêter ou destituer tous ceux qui avaient osé s’opposer à cette réforme radicale.
Bourguiba a donc bousculé la vie des tunisiennes mais a certainement beaucoup contribué à créer une société à deux vitesses et à creuser un clivage entre la femme émancipée d’aujourd’hui, qui a totalement adopté le CSP, et la femme évoluant dans un milieu ultraconservateur et rurale qui, de ce fait, stigmatise cette autre femme tunisienne en laquelle elle ne se reconnaît pas.
La Révolution du Jasmin, à laquelle les femmes tunisiennes ont participé activement aux côtés des hommes a mis fin à la dictature de Ben Ali et leurs a permis d’accéder à certaines libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association, etc. Et effectivement, elles ont depuis pu manifester dans les rues de Tunis pour témoigner de leur mécontentement, sans en être inquiétées outre mesure.
Un autre aspect de cette liberté nouvelle dont jouissent les femmes tunisiennes réside dans le port du voile. Au temps de Bourguiba et de Ben Ali celles qui portaient le voile s'attiraient des ennuis, d'ailleurs le premier avait qualifié le voile de femmes de"misérable chiffon".
Profitant de cette liberté certaines tunisiennes, de plus en plus nombreuses, se sont mises à porter le voile dans un souci d’être davantage en accord avec leurs croyances religieuses.
Or le paradoxe de cette nouvelle ère, qui a débutée lorsque les islamistes d’Ennahda ont pris le pouvoir en janvier 2011, est que la liberté s'accompagne également d'un plus grand conservatisme qui se traduit par le port du voile ainsi que la décomplexion d'une parole religieuse que l'on pensait jusque-là étrangère à la Tunisie.
Pourtant celle-ci s’est introduite dans les foyers à l'époque du règne de Ben Ali, donc bien avant que les islamistes prennent le pouvoir, et cela via le petit écran, par lequel les chaînes satellitaires du Golfe ont diffusé ainsi un islam joli à regarder et à entendre. "Sous une dictature onn ne regarde pas les télévisions nationales, on regarde que les télévisions étrangères". Dans lesquelles on y retrouvait le même discours simpliste qui répétait indéfiniment : la femme doit rester au foyer, elle doit être voilée, elle doit obéir, accepter la polygamie, acceper la violence, voiler les petites filles....., un discours sur lequel des femmes, en majorité, ont bricolé une forme de pensée dite islamiste
Si avant la Révolution du Jasmin les femmes voilées étaient interpellées, actuellement la situation s'est inversée. A se promener seules, tête nue, à l'air trop progressistes, trop occidentales, les femmes font l'objet de remarques insultantes de la part d'extrémistes religieux.
L’arrivée d’Ennahdha au pouvoir a renversé la donne et l’on se retrouve aujourd’hui dans la situation où la femme "émancipée" ne subit plus ses droits, mais doit sortir dans la rue pour les réclamer.
La société tunisienne que l'on croyait sorti d'un certain conservatisme religieux grâce à Bourguiba, exprime actuellement une régression des mentalités. La parole se libérant, on voit de plus en plus des prédicateurs s’érigeant en détenteurs de la Vérité religieuse, des imams dans les mosquées discourant dans l’impunité totale, des médias, de porte parole de partis politiques, de policiers, de milices et même de simples citoyens qui donnent libre cours à leur machisme enfin "libéré".
Actuellement la société tunisienne est en ébullition, certains tunisiens justifient et légitiment même les violences exercées sur les femmes en raison d'une phase démocratique en marche, de la crise économique, du relâchement sécuritaire, d'une liberté d'expression nouvellement reconquise et mal encadrée, de la légitimité de la majorité électorale etc, etc....
Mais il faut se dire qu'une démocratie libérale installée par une révolution, plus ou moins violente, s'ancre dans un pays que petit à petit. En France il a fallu un siècle pour cela, il faut se rappelet qu'après 1789, il y a eu en 1792 la Terreur, puis l'Empire Napoléonien, puis la Restauration monarchique, puis le Second Empire. Autant de régime dictatoriaux avant que naisse la Troisième République !
Au 21ème siècle avec internet et le téléphone portable gageons que la démocratie libérale s'installerra beaucoup plus rapidement en Tunisie. Espérons qu'en une dizaine d'année elle se sera intégrée dans la société tunisienne qui a inauguré le printemps arabe.
Remémorons-nous tout ce chemin parcouru par la société tunisienne en partant de l'an zéro, chute de Ben Ali et l'élection du 23 octobre 2011 qui a donné le pouvoir à Ennahdha bien mieux organisé et plus riche que les petits partis modernistes, en visionnant le reportage ci-dessous, un peu long mais tellement intéressant.
Faisons confiance à ces femmes tunisiennes actives, investies, idéalistes mais réalistes qui se battent pour conserver et améliorer la condition de la femme. Pour autant, leur première lutte est celle de la démocratie, un long chemin dont il faut écrire la partition puisqu’il ne suffit pas de suivre à la lettre celui parcouru par les démocraties occidentales, mais y inclure la spécificité traditionnelle encore bien présente dans la société tunisienne.
Ne sentez-vous pas ce vent, persistant, de fraicheur, de modernité et de volontarisme qu'elles insufflent dans leur pays ces courageuses femmes tunisiennes ?
Article du JDD à lire : Tunisie : femmes contre femmes
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