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Ukraine : Histoire d’une guerre (5)

LA PRESENCE AMERICAINE - 14 JUILLET 2014

Maidan

Les évènements du Maidan commencent le 21 novembre, le jour même où Ianoukovitch, alors président de l’Ukraine annonce son refus de signer avec l’Union Européenne[1].

Le 11 décembre, Victoria Nuland, assistante de John Kerry en charge des affaires eurasiatiques, rejoint les manifestants sur le Maidan pour les soutenir en distribuant symboliquement des petits pains[2]. Elle est accompagnée de Geoffrey Pyatt, l’ambassadeur américain à Kiev. Quelques jours plus tard, ce sont les sénateurs américains John Mac Cain (républicain) et Chris Murphy (démocrate) qui viennent faire des discours sur la tribune du Maidan en déclarant haut et fort devant les caméras : « Nous sommes avec vous ! L’Amérique est avec vous ! »[3].

Ce qu’il y a de remarquable dans ces ingérences est qu’elles sont manifestes, outrancières et menées devant les caméras. Il est difficile d’imaginer Medvedev ou un ministre allemand se rendant en Bretagne pour rencontrer les bonnets rouges en opposition à François Hollande et déclarer théâtralement aux manifestants devant les caméras du monde entier : « La Russie est avec vous ! » ou « L’Allemagne est avec vous ! », mais c’est pourtant exactement ce qui s’est passé en décembre 2013 et janvier 2014 à Kiev lorsque des membres du gouvernement ou du congrès américain sont allés soutenir ouvertement les opposants au pouvoir en place élu en 2010 et 2012. Les ont d’ailleurs rejoints diverses personnalités politiques européennes. Mac Cain, dans une interview réalisée à Kiev, se paie même l’audace, alors qu’il est sur place, de mettre en garde la Russie et lui demande de ne pas interférer dans les évènements[4].

 On peut aussi remarquer que, depuis les premiers jours, tout est au point pour la communication : une tribune a été installée avec le matériel de sonorisation, de caméras, d’interprêtes et de service d’ordre. Il est effectivement impensable que John MacCain ait pu se rendre sur le lieu de manifestations ultra-violentes sans une logistique destinée aux visites de représentants de gouvernements étrangers. Ceci est un élément de plus contredisant formellement le caractère spontané des émeutes ayant commencé dans les heures suivant l’annonce de la non signature des accords avec l’UE.

 

Les ONG

US-Ukraine foundation[5] est une O.N.G. américaine implantée à Kiev dont l’objet est de « Construire la paix et la prospérité à travers le partage de valeurs démocratiques ». On peut regarder sa page facebook[6], et se faire une idée de ses activités en survolant titres et photos. C’est lors d’une réunion le 13 décembre que Nuland, qui fait son troisième voyage à Kiev depuis cinq semaines, annonce que les Etats-Unis ont dépensé cinq milliards de dollars pour établir la démocratie en Ukraine ainsi que ses « aspirations européennes »[7].

Remarque 1 : Il existe de nombreuses ONG américaines destinées à influer sur la vie politique des pays où elles s’implantent[8], ce qu’elles font le plus souvent sous les vocables de droits de l’homme, défense des valeurs démocratiques, etc. Les plus célèbres sont l’USAID et surtout la N.E.D. à propos de laquelle, un ex-directeur de la CIA déclarait : « Il n'est pas nécessaire de faire appel à des méthodes clandestines. Nombre des programmes qui [...] étaient menés en sous main, peuvent désormais l'être au grand jour, et par voie de conséquence, sans controverse » [9] Voir à ce propos un article très intéressant dans le magazine « challenges » car il réfute assez maladroitement cette idée, et le fait à l’aide de déclarations ambigues[10].

Remarque 2 : D’après la qualité de l’image et le plan de prise de vue, la video dévoilant le discours de Nuland était de toute évidence d’usage privé ou tout au plus destinée à la communication interne, elle a été réalisée à l’occasion d’une réunion destinée à d’éventuels investisseurs.

 

Conversation Nuland Pyatt

Le 6 février, Nuland rencontre officiellement les trois leaders du Maidan et pose longuement en photo à leurs côtés après la réunion. Elle rencontre également le gouvernement de Ianoukovitch dans l’objectif d’élaborer un plan de sortie de crise et de satisfaire les « aspirations démocratiques du peuple ukrainien ainsi que son désir d’intégration européenne »[11]. C’est quelques jours avant son arrivée à Kiev que sa fameuse conversation téléphonique avec l’ambassadeur d’Ukraine est dévoilée[12]. Le point le plus important de cet appel a malheureusement été occulté par le fameux « F - - - the EU ! »[13]. C’est l’anecdote sur laquelle se sont précipités les médias (avec déclarations scandalisées des dirigeants européens, réactions, etc.) et qui a fait oublier l’essentiel. En effet, on apprend dans cet échange téléphonique que les Etats-Unis choisissent Iatseniouk comme premier ministre mais jugent préférable de ne pas inclure Klitschko[14] ni Tyanibok « et ses gars » au gouvernement. Et c’est effectivement ce qui se passera. Finalement, aucun plan de sortie de crise ne sera présenté à l’issue des réunions de Nuland avec toutes les parties, mais les rencontres entre Nuland et les trois leaders auront pu avoir lieu officiellement. Nuland sera durement interpelée par le congrès sur le soutien politique et financier accordé aux manifestants pour renverser le président[15]. Nuland a depuis disparu des écrans.

Curieusement, Pyatt parle de Iatseniouk et de Klitchko mais, concernant Tyanibok, il ajoute « et ses gars » ou « et ses hommes ». Ses hommes sont précisément ses militants du parti d’extrême-droite Svoboda, les hommes de Pravyi Sektor, « ceux qui ne sont pas des mères de famille avec des fleurs » comme le dira le sénateur Rohrabacher lors de l’audition de Nuland par le congrès[16]. Ceux-là sont des ultra-violents que l’on voit lyncher des policiers, tirer à balles réelles et mettre le feu à des Berkut[17]. Il est certain que sans « ses hommes », il n’y aurait jamais eu de renversement du régime, ni même de manifestations d’importance suffisante pour que l’on en parle.

 

Après le renversement du régime

Le 4 mars, la visite de John Kerry à Kiev ne donne pas seulement lieu à un magnifique film de propagande[18], c’est aussi l’occasion de rencontrer et soutenir le gouvernement de transition, et bien sûr de lancer encore un nouveau message d’avertissement à la Russie, depuis Kiev, le lendemain de la déclaration d’Obama jugeant la Russie « du mauvais côté de l’histoire ». Kerry promet en outre à Kiev un prêt d’un milliard par le FMI, dont une équipe arrive le jour même dans la capitale[19].

 

Le 14 avril, la Maison Blanche reconnait a posteriori que John Brennan, directeur de la CIA, s’est rendu à Kiev durant le week-end[20], ce qui met d’ailleurs en colère le chef de la diplomatie russe[21]. Les justifications données sont une visite de routine. Or, c’est à ce moment qu’est lancée la première « opération anti-terroriste » qui s’interrompt le temps de signer l’accord de Genève (le 17 avril) pour reprendre le 22 avril.

 

Le 10 mai, c’est la révélation de la présence des mercenaires américains de Blackwater (ou Akademi) qui est faite par le journal allemand Bild am sonntag[22], après celle de la présence à Kiev d’agents du FBI et de la CIA la semaine précédente. Les mercenaires sont appelés à apporter un soutien technique aux forces de l’opération anti-terroriste qui peine à donner des résultats. La dépêche AFP est peu relayée par la presse, mais le journal Marianne rappelle que Bush en son temps avait externalisé le « sale travail » de la guerre en Irak en « privatisant la guerre »[23]. (Cela dit, on ignore tout du commanditaire des mercenaires sur place.) On trouve sur le site de dedefensa une analyse assez intéressante de ces deux révélations d’un journal à grand tirage ayant reçu ses informations des services secrets allemands[24].

Le 14 mai, le fils de Joe Biden est nommé à la direction de Burisma, la plus grande compagnie gazière privée ukrainienne[25]. Cette information pouvait faire sourire à cette date mais le 7 juillet Time en donnait une autre lecture, celle d’un lobbying auprès du congrès et recrutant dans l’entourage de Kerry et Biden[26]. Et c’est le 4 juillet que le parlement ukrainien ouvre le capital des entreprises nationales aux investisseurs étrangers. Le texte avait été refusé après un vote le 3 juillet, mais Iatseniouk le représentait le lendemain avec un sévère avertissement adressé aux parlementaires : « Ceux qui ne votent pas cette loi jouent du côté de la Russie avec la construction du south stream »[27]. (Note : le south stream est un projet de gazoduc destiné à contourner l’Ukraine et alimenter l’Europe du sud.)

 

Sans compter les visites à Kiev de Biden des 21 avril et 20 juin, il faut bien constater une présence américaine effective aux niveaux politique, militaire et économique. L’Ukraine n’étant pas un pays riche ni doté de ressources prometteuses, on peut donc se demander pourquoi les Etats-Unis mettent tant d’ardeur à s’en saisir. 

On peut également s’interroger sur le fait que Nuland, lors de son voyage du 6 février destiné à préparer une sortie de crise, et après avoir rencontré longuement les leaders, n’avait en réalité proposé aucun plan. Et c’est peut-être à la suite de cette bizarrerie que les ministres européens ont tenté de jouer leur carte avec les accords du 21 février en passant outre la diplomatie américaine. Mais en connaissant les évènements qui ont suivi, on comprend parfaitement que Nuland n’avait aucun projet de règlement de crise, bien au contraire. Les accords du 21 février n’avaient donc de toute façon pas plus de chances d’aboutir que les autres. La diplomatie ne peut rien contre une volonté de guerre.

 



[3] https://www.youtube.com/watch?v=gOlUf-SU75g (on remarque Iatseniouk à droite de l’image et Turtchinov à gauche) puis, pour l’analyse : https://www.youtube.com/watch?v=pUp0aQZWF4U

[4] Voir notes précédentes

[6]Parcourir leurs articles, leurs photos https://www.facebook.com/usukraine

[12] Nuland finit par authentifier mais en précisant qu’il s’agissait d’une conversation privée qui n’a pu être enregistrée que par les services secrets russes.

[14] Klitschko a été placé maire de Kiev à titre de dédommagements, et Tianybok n’est pas non plus entré dans le gouvernement mais continue à diriger Svoboda, le parti d’extrême droite dont plusieurs ministres sont au gouvernement et surtout, qui gère dans ses rangs les nombreuses milices fachisantes et ultraviolentes de Pravyi Sektor, qui elles, se réclament ouvertement du nazisme.

[15] Deux vidéos, l’une extraite d’un reportage RT, https://www.youtube.com/watch?v=FIjEEFdnzkw l’autre plus complète sur l’intervention du sénateur Rohrabacher https://www.youtube.com/watch?v=6TpZa4OMFVk

[16] Voir note 14

 


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3 réactions à cet article    


  • Pepe de Bienvenida (alternatif) 22 juillet 2014 10:12

    Il paraît peu probable que le traitement plutôt orienté de cette guerre par nos médias soit étranger au fait qu’un gros bataillon de nos dirigeants, dont notre charismatique président, est passé par les Young Leaders. http://fr.wikipedia.org/wiki/French-American_Foundation
    N’entendez-vous pas d’ici les cries d’orfraie, si quelques-uns d’entre eux avaient choisi l’équivalent russe, qui n’existe pas avec cette ampleur à ma connaissance. A côté de la machine de propagande copieusement arrosée que constitue la Frenc-american Foundation, les associations jouant le même rôle côté russe font figure de dames patronnesses. (L’espionnage et le renseignement, c’est une autre histoire).


    • Michel Segal 22 juillet 2014 12:00

      Je ne connaissais pas cette association, merci de l’avoir signalée. 

      Il est certain que nos dirigeants font preuve de la plus grande sympathie pour Obama et de la plus grande défiance pour Poutine, nous sommes d’accord (et les journaux suivent). Mais pourquoi ? Il peut y avoir des raisons cachées, économiques ou non, mais je ne crois pas aux complots. J’ai une vision tolstoienne de l’histoire et je crois plus que Hollande suit Obama tout simplement parce que, comme le disait un commentateur, « Hollande est fier quand Obama lui met la main sur l’épaule ». Il y a peut-être tout simplement une fascination pour la richesse et la guerre, ce en quoi excelle Obama.

      • soi même 22 juillet 2014 12:25
        Histoire d’une guerre !

        visiblement vous ne connaissez pas le bon mot de Napoléon sur l’Histoire ;

        C’est une fable convenue !

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