Un an après la guerre, la scène politique israélienne et moyen-orientale
Il y a presque un an, Israël et le Hezbollah déposaient les armes, mettant un terme à plus d’un mois d’un conflit qui ne voyait pas se détacher, au final, de véritable vainqueur. L’effervescence qui a accompagné la publication, fin avril, des conclusions de la très attendue commission Winograd, témoigne que cet évènement est encore très présent dans les esprits de la société israélienne, comme dans ceux des divers observateurs de la politique régionale
La guerre de juillet /août 2006 entre Israël et le Hezbollah n’a pas seulement revêtu des caractères militaires aux yeux de la société israélienne. Elle a été le révélateur criant de la crise morale qui ronge depuis déjà plusieurs années la classe politique israélienne, une crise amplifiée par l’arrivée sur le devant de la scène d’Ehoud Olmert, ancien « second couteau » du Likoud propulsé Premier ministre après la tragique fin de carrière politique d’ Ariel Sharon en Janvier 2006. L’incompétence manifeste du gouvernement Olmert, et en premier lieu du ministre de la Défense Amir Peretz - syndicaliste de métier - à propos des questions militaires, a littéralement ulcéré une opinion publique israélienne traditionnellement exigeante sur ce sujet. Cette médiocrité, reconnue par tous dans la gestion des affaires, a renforcé le climat de désaffection aujourd’hui très prononcé de la population israélienne vis-à-vis de ses élus, régulièrement éclaboussés par des scandales de mœurs ou de corruption. La vingtaine de députés qui sont à l’heure actuelle inquiétés par la justice dans des affaires de corruption ou de trafic d’influence et l’absence totale de principes qui caractérise la classe politique actuelle ont entraîné la perte de confiance du public dans les partis existants. Un désaveu qui se manifeste de plus en plus clairement par des taux d’abstention records aux élections, et par le vote massif pour des nouveaux partis, notamment lors des dernières élections législatives en mars 2006.
La déconvenue militaire et le mécontentement social sont deux phénomènes très étroitement imbriqués, la Défense constituant depuis la création d’Israël un enjeu majeur et un sujet de fierté mais aussi et plus pragmatiquement le plus important budget du gouvernement... Une défection dans ce domaine est généralement « éliminatoire » pour les dirigeants, la dernière (et seule) déconvenue militaire de l’histoire d’Israël en 1973 lors de la guerre de Kippour ayant alors conduite à la démission du premier ministre d’alors Golda Meir. A l’époque, les conclusions d’une commission d’enquête chargée d’évaluer les responsabilités dans manquements de la direction politique et militaire de la guerre avaient poussées vers la sortie la « dame de fer » israélienne. En 2006, une telle commission, la commission Winograd, a été mise en place, malgré les réticences initiales d’Ehoud Olmert. Les conclusions de celle-ci, rendues publiques en avril 2007, ont, sans surprise, fait porter la responsabilité de la faillite de la guerre à certaines des plus hautes personnalités de l’Etat au premier rang desquelles Ehoud Olmert lui-même, mais aussi le ministre de la défense Amir Peretz, et le chef d’état major démissionnaire Dan Haloutz, provoquant un véritable tremblement de terre au sein de la classe politique israélienne. Si le premier ministre se refuse toujours à présenter sa démission, un nombre grandissant d’israéliens la réclame pourtant avec de plus en plus d’insistance comme en témoigne l’affluence lors de la grande manifestation organisée le 3 mai à Tel Aviv . Des membres du gouvernement Olmert n’ont pas hésité à réclamer son départ, si ce n’est même sa place à l’image de Mme Livni, la ministre des Affaires étrangères, qui s’est clairement déclarée intéressée par le poste de Premier ministre. Le parallèle, établi par beaucoup, entre la situation après la deuxième guerre du Liban et les lendemains d’octobre 1973 est tentant. Il n’est par ailleurs pas dénué de tout fondement. Le mandat de Golda Meir, tout comme celui, jusqu’à présent, d’Ehud Olmert, avait été marqué par une instabilité politique et un manque de leadership qui avaient culminé lors de la guerre d’Octobre. Ce rapprochement entre deux époques fait néanmoins fi de la confiance absolue des israéliens d’alors en leurs dirigeants politiques en matière militaire suite à la victoire écrasante et aux conquêtes de 1967, une situation qui diffère grandement d’avec la situation actuelle. En 1973, la surprise avait été totale, et la claque reçue par Israël n’en avait été que plus cinglante. L’incapacité à prévoir la guerre avait expliqué, plus que le terrain militaire (sur lequel, la surprise passée, Israël avait fini par s’imposer), la chute de Golda Meir. En 2006, à la veille du conflit, l’Etat israélien et son armée ne respirent pas la sérénité, et ceci depuis déjà quelques années. Une deuxième Intifada jamais vraiment maîtrisée, un retrait du Liban, en 2000, puis de Gaza, en 2005, la queue entre les jambes, ont déjà lourdement entamé le crédit militaire d’Israël lorsque se profile le conflit de l’été 2006. Il ne convient cependant pas de minimiser la surprise qu’a constituée le déroulement de la guerre contre le Hezbollah. Le sentiment qui a prévalu dans l’opinion publique fut la stupéfaction face à la conduite de la guerre et à l’attitude des dirigeants politiques.
Comment l’Etat hébreu a-t-il pu en arriver là ? Il ne convient pas, soyons clairs, de présenter le conflit de l’été 2006 comme une défaite pour Tel Aviv. Ce ne fut pas le cas militairement parlant et d’ailleurs aucune puissance régionale n’est à l’heure actuelle capable de défaire l’armée israélienne dans un affrontement frontal. Mais au regard des objectifs initiaux de Tel Aviv, les conditions du cessez le feu négociées par Israël et confirmées par la résolution 1701 du conseil de sécurité des nations unies, et ce après un mois d’efforts intensifs de la part Tsahal, constituent un sérieux revers pour Israël. Si le territoire d’Israël n’a jamais véritablement été mis en grave danger, les deux objectifs proclamés de l’état hébreu, à savoir récupérer les soldats enlevés et affaiblir significativement le Hezbollah, n’ont, pour leur part, pas été remplis. Des objectifs qui semblaient pourtant raisonnables au début du conflit tant le déséquilibre des forces en présence paraissait flagrant. Pire, la déconvenue de Tsahal a donné un statut nouveau au Hezbollah et à son chef Hassan Nasrallah, dont la cote n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui et en qui la rue arabe, en mal de héros depuis la mort d’Arafat, voit le nouveau Nasser. Car ce qui est le plus inquiétant pour l’Etat israélien, c’est l’évolution de son image auprès des opinions publiques arabes et internationales. La réputation d’invincibilité de l’armée israélienne entachée, c’est le conflit Israélo-arabe dans sa globalité qui s’en est trouvé relancé. Le Hamas palestinien a acclamé la réussite du Hezbollah et déclare vouloir s’associer plus étroitement à la milice libanaise dans sa lutte contre Israël. La Syrie et l’Iran, de leur côté, se sont frottés les mains, tous satisfaits qu’ils étaient de voir le conseil de sécurité finalement rééquilibrer sa position en leur faveur lors des tractations en vue d’un cessez-le-feu. Les deux pays tuteurs du Hezbollah, qui ont été très largement associés à la réussite de leur protégé ont compris très tôt tout le parti qu’ils pouvaient tirer de la tournure inattendue des évènements. La Syrie a vue être éjectée l’armée israélienne d’un pays qu’elle considère encore comme son pré carré. L’Iran, de son côté, est ressorti grand vainqueur du conflit, sans même avoir eu à entrer officiellement en guerre contre Israël. Celui que la plupart des observateurs et des journalistes ont bien voulu voir - à plus ou moins bon escient - comme le grand instigateur de l’ombre, a su s’associer très opportunément à la fortune de « sa » milice, le Hezbollah (fondé à la suite de la révolution islamique de 1979). Beaucoup ont abusé de cette filiation, pendant et après le conflit, pour justifier des raccourcis quelques peu simplificateurs négligeant le caractère fondamentalement libanais du conflit. Reste que les médias, ainsi que les opinions publiques, arabes comme occidentales, ont été prompts à croire et à répandre les bruits de couloirs, par ailleurs amplifiés par les accusations récurrentes d’Israël et des Etats-Unis à l’encontre de l’Iran. Reste également qu’il est indéniable que l’aide de l’Iran fut précieuse au Hezbollah pendant toute la durée du conflit. Les experts militaires ont été proprement sidérés par la qualité de l’arsenal qu’a déployé le Hezbollah. Du matériel iranien, russe et même américain de dernière génération qui fut, depuis le retrait israélien du Sud Liban en 2000, transmis au Hezbollah par Téhéran via son allié syrien. Une épreuve de force qui a non seulement impressionné la communauté internationale mais aussi placé l’Iran en position de force face à ses deux principaux adversaires, Israël et les Etats-Unis. L’Iran a habilement profité de cette « aubaine » et a rappelé qu’il fallait compter avec lui au Moyen-Orient et que son pouvoir de nuisance, au Liban mais aussi sur d’autres fronts éventuels (l’Irak ?) ne devait être négligé. Et de fait, l’administration Bush n’a semble-t-elle aucune envie de voir s’ouvrir un front sur la frontière iranienne, elle qui peine déjà, quatre ans après son arrivée à Bagdad, à maintenir un semblant de structure étatique et de cohésion sociale dans un pays au bord de la guerre civile. Le tout joué sur fond d’un dossier nucléaire iranien face auquel la communauté internationale peine à faire front commun a pleinement joué en faveur de la stratégie de la peur préconisée par le président M. Ahmadinejad et ses diplomates à Téhéran. La psychose est à l’ordre du jour ces derniers temps en Israël ou l’on voit d’un très mauvais œil la montée en puissance d’un Iran que tout le monde voit bientôt nucléaire. L’infléchissement récent de la politique américaine en direction du monde arabe - et notamment la Syrie - signale peut être que les Etats-Unis ont réalisés que la prise en compte de l’Iran comme interlocuteur au Moyen-Orient est en passe de devenir incontournable. Reste que l’administration Bush se refuse pourtant toujours à normaliser ses relations directes avec Téhéran, relations rompues depuis 1980... Sous l’influence des néoconservateurs, George W. Bush répugne encore à considérer le régime de M. Ahmadinejad - désigné en 2001 comme appartenant à « l’axe du mal » - comme un interlocuteur valable. Un an après donc, l’heure n’est pas à aux réjouissances en Israël et chez son allié américain. Et le parallèle avec 1973 apparaît désormais bien flatteur pour un état hébreu qui avait, à l’époque, finalement vu se renforcer sa réputation d’invincibilité au sortir de la guerre d’Octobre. Aujourd’hui, une dangereuse escalade couve au Proche-Orient et dans une grande partie du monde arabe, et le fossé qui semble se creuser de plus en plus entre l’Occident et le monde arabe est inquiétant. La communauté internationale, bien timorée dans ses condamnations de l’Iran, peine à concilier des intérêts divergents, se heurtant notamment à la montée en puissance, discrète mais de plus en plus palpable, d’une Russie qui ne cache plus ses ambitions régionales et qui agite habilement le spectre de son veto au conseil de sécurité des Nations Unies. L’impasse dans laquelle se trouve depuis plusieurs années le processus de paix israélo-palestinien, est en grande partie responsable de cette agitation grandissante dans la région. Les dirigeants israéliens, comme palestiniens, tardent pourtant à donner des signes tangibles d’une volonté de réconciliation. D’ailleurs, l’espoir auquel se raccrochent à l’heure actuelle la plupart des occidentaux n’est nullement une éventuelle relance du processus de paix mais la constitution d’un front diplomatique sunnite, essentiellement composé de la puissante Arabie Saoudite et de la Jordanie, qui s’inquiète de la montée en puissance de chiisme révolutionnaire emmené par l’Iran et qui met à l’heure actuelle tout son poids dans la balance pour contrecarrer les ambitions persanes. Cette polarisation encouragée par Washington ne laisse que peu d’espoir à un règlement pacifique à court terme des troubles qui secouent le Moyen-Orient. L’administration Bush poursuit pourtant obstinément son « effort global contre le terrorisme » au Moyen-orient. Elle aurait d’ailleurs bien du mal à justifier un revirement brutal de son attitude, elle qui a fait de cette doctrine le fondement de sa politique internationale depuis le 11-Septembre 2001, intervenant en Afghanistan puis en Irak pour « restaurer » la démocratie et dans une perspective de construction d’un « nouveau Moyen-Orient ». Bien peu de raisons de se réjouir donc, d’autant plus que les alliances nouées par Washington dans la région se trouvent être des convergences très circonstancielles, les pays alliés, (auxquels il faut ajouter le Pakistan) étant bien loin de partager les vues de l’administration Bush concernant l’approche géopolitique et idéologique globale de la région...
Un an après la campagne militaire de l’été 2006 au Liban, aucune avancée significative n’a donc été réalisée sur des dossiers pourtant primordiaux. Le désarmement du Hezbollah, renvoyé aux calendes grecques par un pouvoir libanais à court de moyen et d’autorité, est à ce titre tout à fait symbolique de l’impasse dans laquelle se trouvent les différents acteurs internationaux. A court terme - et bien que la proximité temporelle des faits permette difficilement de discerner les tendances durables de celles plus éphémères - il semblerait que les relations entre Israël et ses voisins les plus hostiles ne sont pas prêtes d’être normalisées. Il n’y a là rien d’étonnant, les périodes de stabilité entre Israël et ses voisins ayant toujours bien plus résultées de l’écrasante suprématie militaire israélienne que d’une acceptation mutuelle. Rien d’étonnant donc, à ce que l’échec militaire israélien ait ravivé des tensions entre Israël et des pays dont le but avoué, depuis la création de l’état hébreu, n’est autre que la destruction pure et simple de celui-ci. Il serait exagéré de présenter la situation actuelle comme découlant uniquement de la guerre de l’été 2006. Mais l’attitude affichée par Israël pendant le conflit fut particulièrement représentative de la ligne de conduite adoptée depuis quelques années par l’Etat hébreu. Israël a appliqué les mêmes principes dans un conflit extérieur que dans sa lutte quotidienne dans les territoires autonomes de Palestine. Le refus de négocier avec des organisations terroristes ou des pays « soutenant le terrorisme » a bloqué toute avancée diplomatique et a confirmé, faute d’une nette victoire israélienne, un statut quo stérile, comparable à l’impasse dans laquelle se trouvent les relations entre Israël et le Hamas. Suivant les théories de la nouvelle doctrine dite de « conflit à basse intensité », et dont principe premier est qu’il faut « graver dans la conscience » des populations qu’elles n’obtiendront rien par la violence, Israël a exercé une pression permanente sur les populations par des bombardements intensifs et un harcèlement psychologique. Même en faisant abstraction des implications éthiques qu’une telle stratégie suppose, le résultat sur le terrain fut loin d’être convaincant. Plus inquiétant, cette stratégie de refus du dialogue pratiqué par Israël - et dont, il faut le préciser, certains dirigeants arabes s’accommodent bien volontiers - ne laisse pas présager de règlement diplomatique à court terme et est entrain de faire le lit d’un islam radical qui voit d’un bon œil l’émergence d’une jeunesse arabe élevée dans la haine d’Israël et de l’Occident.
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