Un retour en arrière sur l’Afghanistan
Il y a environ 30 ans, j'avais interviewé pour "un petit journal local", un ami archéologue Jean Claude LIGER.
Il revenait du Pakistan, mais auparavant, avait travaillé dix années en Afghanistan.
Il a donc vécu les bouleversements de régime des années 70 dans ce pays, jusqu'à l'arrêt de sa mission.
Voici donc une petite analepse afghane...
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NOSMO : Pourquoi es-tu allé en Afghanistan ?
J-C L : J'y suis allé pour mon travail, en janvier 70, parce que j'avais été embauché par l'Archéologie Française. Puis en décembre 80, on m'a muté au Pakistan. Mon départ n' a rien à voir avec les évènements.
- Où travaillais-tu et que faisais-tu précisément en Afghanistan ?
J-C L : Les chantiers étaient tout au Nord du territoire, à la frontière soviétique, sur l'Amou-Daria.
Je faisais les plans et les dessins d'une ville grecque, construite à l'époque d'Alexandre le Grand.
- Tu allais aussi à Kaboul, je crois ?
J-C L : Ben, j'habitais à Kaboul... mais sur le terrain, on avait construit des baraquements assez confortables, avec des bureaux... c'était bien.
- Tu voyais une grande différence entre le Pakistan, que tu as connu aussi et l'Afghanistan donc ?
J-C L : Oh oui, rien à voir ! La différence fondamentale est que le premier a été colonisé, tandis que le second, NON ! Le Pakistan garde une administration de type britannique apportant encore aujourd'hui une certaine cohésion au pays. Il est à la fois beaucoup plus riche mais connaît aussi une énorme pauvreté dans ses bidonvilles. L'Afghanistan elle, est déchirée en provinces très disparates. Géographiquement enfermé, le pays a longtemps vécu en autarcie complète sur ses terres, sans que la population n'en souffre trop, avec une économie reposant essentiellement sur le textile.
- Et les matières premières ?
J-C L : Aujourd'hui, elles ne sont guère exploitées. Les soviétiques bien sûr, n'ignorent pas l'énorme potentiel minier de ce pays, très riche en fer notamment, mais les mines sont à plus de 3 000 m d'altitude...
-Bon, la première révolution a t-elle entraînée d'importantes modifications dans le pays ?
J-C L : Alors, le Roi Muhammad Zaher Shah ne gouvernait pas vraiment. C'était théoriquement une Monarchie Constitutionnelle. Les membres du parlement étaient nommés pour moitié par le Roi, l'autre moitié élue par le peuple...quand en 1973, son ancien premier ministre Daoud, fit un coup d'état. Bref, une banale révolution de palais. Non, les premiers ennuis viendront après... lorsque l'armée exigera des réformes concernant le régime des officiers puis des fonctionnaires. Daoud était membre de la famille du Roi, comme le veut les traditions. Et déjà en 62-63, il avait essayé de moderniser les structures du pays, en vain. Il démissionna. Son coup d'état, alors dix ans plus tard, surprit tout le monde. En pleine nuit, vers 3 h. j'entendis des hélicos, survoler la ville... Et au p'tit matin le cuistot nous affirma que l'on était passé en République, oui comme ça !
“ La monarchie, c'est fini, ils ont viré le Roi cette nuit !”
Bien sûr les militaires, rapidement occupèrent le poste vacant ,le Roi étant parti se faire soigner les yeux à Londres... Ah la, la ! Cet imbécile de Daoud, après avoir rapidement invoqué les grands principes de la nouvelle République, il se mit à promettre toutes sortes de choses impossibles dont ses fameuses entités ethno-géographiques, jamais réalisées. Trop coûteuses à mettre en place, Il appuya son pouvoir finalement sur une seule de ces minorités. La zizanie gagnant chaque jour du terrain, elle obligea l'armée à faire à son tour un coup d'état. Le colonel d'aviation Kader et commandant les MIG, bombarda le Palais Royal en 73, puis en 78 le Palais Présidentiel, tuant Daoud sur le coup. Donc ce Kader, après avoir dans un premier temps, porté au pouvoir Daoud, le tua, lui offrant disait-on une nouvelle promotion vers le paradis...
Il devint ministre de la défense, sous le premier gouvernement de Taraki. Enfin, après un séjour en prison... il se retrouvera de nouveau libre à l'arrivée de Babrak. On nage en plein moyen âge !
- Et quelle est l'évolution de la population entre ces deux coups d'état ?
J-C L : Une nouvelle classe sociale voit le jour. Faite de fonctionnaires et aussi d'officiers d'appareils. Curieusement elle se divisa en deux clans : le Khalq et le Parcham, dont les leaders respectifs étaient Taraki et Babrak. Le premier s'appuya surtout sur les paysans, tandis que le second fut soutenu par les fonctionnaires des villes.
Taraki, le malheureux, connut une fin épouvantable ! Au cours d'un conseil des ministres, en 78, ils se sont tous entretués. Sous les yeux des conseillers soviétiques, dont l'ambassadeur à ce que l'on peut savoir... Blessé, il fut d'abord emmené à l'hôpital où des hommes de main d'Amin vinrent finir le travail. Là, c'est du grand western ! Ils flinguèrent du même coup le chirurgien mais ratèrent l'infirmière. La révolution de 73, quant à elle, n'avait rien donné. La meilleure illustration pour en témoigner, je l'ai eu sur le chantier même. Les afghans du coin avaient eux compris que le “Nouveau Roi” ben, il s'appelait Monseigneur République. C'était son nom ! La République, ils en avaient jamais entendu parler.
- Que changea la révolution de 78 ?
J-C L : Elle fut largement bien accueillie. Disons dans le premier mois. Les gens en avaient vraiment marre de Daoud, qui avait promis tout un tas de trucs. Pour la première fois, des minorités furent représentées au sein du gouvernement, les Hazaras chiites par exemple. Il y avait même une femme ministre. Dès le début, de très bonnes choses furent faites.
- A t-il fait une réforme agraire ?
J-C L : Alors là, ce fut le début de la fin. Une catastrophe ! Parce que ces gens étaient empêtrés de littérature marxiste. Quand tu lis ce genre d'ouvrages, on t'apprend qu'il faut donner la terre aux paysans. Effectivement, c'est ce qu'ils ont fait. Dans tout le pays, la terre appartenait à de grands propriétaires. La plupart des paysans étant métayers. Le drame vient qu'en Orient, plus important encore que la terre, c'est l'accès à l'eau ! L'idée était généreuse selon ces mêmes ouvrages, mais ils ne disaient pas que les riches propriétaires conserveraient selon leurs droits, la parcelle irriguée et que les non irriguables seraient pour les pauvres métayers. Tu vois le tableau !...
C'est tout de même triste cette connerie humaine !
-Faites pousser des pommes de terre !
- Ah mais pardon la terre c'est du caillou !
- Ça, c'est plus notre problème ! On a fait ce qui était écrit. Point barre.
Vous êtes paysans non ? - Nous, bureaucrates !
Complètement idiots, ils voulurent envoyer sans prendre le temps de réfléchir les enfants à l'école, sans considérer les oppositions des familles tribales. Tout finalement aura du être imposé.
Cela a donné des trucs marrants. La CGT était venue une fois à Kaboul... Pas si tôt arrivés, les gars nous crachent leur bréviaire : Reçus par le secrétaire général des travailleurs afghans - sont à l'époque pas plus de 20 000 âmes sur, je le rappelle 18 millions d'habitants - et sur ces 20 000 à peine 500 fraîchement syndiqués. Avec ça, ils te font tout un programme sur la condition ouvrière dans le pays. Mais faut arrêter de déconner ! Ces gens sont pauvres et malheureux pour beaucoup, mais cela ne suffit pas pour en faire une force prolétarienne... C'était invraisemblable !
J'écoutais Thierry Desjardin : “En arrivant à Kaboul, j'ai retrouvé l'odeur du sang ! ”
M'enfin, il a passé 48 h. à se saouler la gueule... Son article était déjà écrit...
On les avait accueillis en tant que sympathisants de gauche. Et pas dégonflés, arrivés de la veille, ils nous expliquaient ce qui se passait ici. On pouvait leur exprimer en détails toutes nos critiques envers la révolution en marche dans le pays, ils s'en foutaient. À partir du moment où les russes étaient là, la révolution était bonne et Amin, un vendu à l'impérialisme américain.
-Quelle fut la réaction des afghans face à l'arrivée plutôt rapide des russes ?
J-C L : La stupéfaction. Ce fut le jour de Noël. On dit à la radio française : “Hafizula Amin fêtait Noël en famille lorsque les chars entrèrent dans Kaboul.”
Depuis plusieurs jours on entendait la nuit et on voyait le jour de formidables zincs atterrir sur l'aéroport. Les russes ont fait vachement fort. Parce qu'Amin sentait que la situation militaire du pays allait lui échapper, il demanda de l'aide au grand voisin allié. Pour le coup, il a pas été déçu.
Je me souviens, je raccompagnai le soir venu la femme de ménage, quand soudain BOUM ! Une formidable explosion emporta dans les airs la centrale téléphonique. (Je sais pas pourquoi, quand ça pète, on s'en prend toujours en premier aux communications...) Puis ça tiraille de partout ! On a du faire demi-tour. Personne ne comprenait qui tirait et contre qui.
- Que devient aujourd'hui la résistance dans le pays ?
J-C L : Eh bien depuis 78, elle est toujours restée dispersée. Il y a trop de chefs de tribus. On voit là les qualités et les défauts d'une trop grande hétérogénéité entre fratries dans cet ensemble résistant. L'avantage cependant, c'est que ce morcellement empêche toute possibilité d'un combat efficace et décisif. Pas de stratégie complexe. Le seul objectif est le départ des soviétiques. Reste une fois que le but sera atteint, il est certain que les afghans recommenceront à se taper sur la gueule. Car la paix est cassée et pour longtemps encore. N'en déplaise à certains, tout n'allait pas bien non plus dans l'Afghanistan d'antan. Faire de l'antisoviétisme, pourquoi pas, mais pas au point de déformer des vérités historiques. Et je crains que compte tenu du nombre de jeunes chaque année endoctrinés, les russes finissent par casser la régénérescence des mouvements de résistance...
- Quel est le rôle de la religion dans cette guerre ?
J-C L : C'est pas du tout comme en Iran. Il n' y a pas de fanatisme, d'école déclarée. Justement parce qu'il n'y a pas de clergé. Les jeunes pour la plupart s'en foutent. À la campagne, tous les jeunes que je croisais disaient que la religion les empêchaient de vivre. À 25 ans, beaucoup de mecs n'ont pas encore connu une fille et s'ils n'ont pas de ronds ils ne pourront jamais en épouser une. Alors tu comprends... La religion... Le paradoxe, c'est attendant que les choses s'améliorent qu'elle ne devienne le seul refuge possible. Puisque rien d'autre ne marche. Ils ne veulent pas pour autant un Ayatollah mais regrettent que les pays voisins musulmans ne les aident pas plus. Tu sais C'est la vraie guerre là-bas. Quand un moudjahidin attrape un russe... il peut finir couper en deux ou dans le four à pain. Mais c'est pas beau non plus de voir un village entier bombardé par des hélicos. C'est effroyable !
- Enfin, que penses-tu de la situation au Balouchistan ?
J-C L : C'est la merde la plus totale ! parce que c'est une plaque tournante des marchands d'armes. C'est très dangereux. Les autorités pakistanaises sont constamment en alarme. Pendjabis, Sindhis, Belouchtes... Personne ne peut piffrer personne ! Avec la fuite de Zaher et le départ de Bhutto, toutes les oppositions se sont inversées. Tu ne sais plus qui est qui !
JC LIGER, responsable aujourd'hui de l'Association CORA.
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