Une brèche dans le blocus de Gaza
La Ligue arabe a mis en garde la communauté internationale contre une catastrophe humanitaire sans précédent qui menace la Bande de Gaza après la suspension de l’aide de l’ONU en raison des restrictions imposées par Israël. Affamée, misérable, une population d’un million et demi de personnes entassées sur une bande de terre grande comme quatre fois l’île de Ré a repris faiblement espoir la semaine dernière après le débarquement de 46 militants d’organisations humanitaires partis de Chypre sur deux légers bateaux de croisière.
Bien qu’ils aient été soumis à des menaces d’Israël pendant toute la préparation du voyage et jusqu’à leur arrivée dans le port de Gaza le 23 août au soir, les militants ont finalement atteint leur objectif : montrer qu’une liaison maritime est possible malgré le blocus. Le gouvernement israélien a préféré éviter une confrontation. Dans un message diffusé deux heures avant leur arrivée, il a annoncé qu’il ne s’opposerait pas au passage des deux bateaux. Il a même affirmé qu’il adopterait la même attitude à l’égard de futurs voyages, encore, a-t-il dit, que la situation doive être examinée au cas par cas.
Comment le blocus a commencé
Les colonies juives de la Bande de Gaza ont été évacuées à partir de janvier 2005 et les derniers soldats israéliens ont quitté Gaza en septembre 2005, laissant le territoire sous le contrôle de l’Autorité palestinienne. En janvier 2006, le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes face au Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas. Celui-ci a choisi comme Premier ministre Ismaël Haniyeh, un membre du Hamas, et l’a chargé de former le nouveau gouvernement. En juin 2007, Mahmoud Abbas renvoie le Premier ministre et décrète l’état d’urgence. Le 19 septembre 2007, après plusieurs mois de violents affrontements avec le Fatah dans la Bande de Gaza, le Hamas prend le pouvoir. Le gouvernement israélien déclare aussitôt la Bande de Gaza « entité hostile ».
A cette date le blocus n’est pas encore total. La Bande de Gaza continue d’être approvisionnée en vivres et en carburant à travers sa frontière orientale. Au Sud, Gaza est séparée de l’Egypte par un mur que les Israéliens ont construit pendant l’occupation. Le 23 janvier 2008, le Hamas le démolit en grande partie, et de nombreux Palestiniens se précipitent pour passer de l’autre côté. Des policiers égyptiens se rassemblent pour leur faire barrage. Finalement ils cèdent, et 70 000 Gazaouis franchissent la frontière pour revenir au bout de quelques jours chargés de provisions. Mais cette éclaircie est de courte durée. Sous la pression d’Israël et des Etats-Unis, l’Egypte ferme à nouveau la frontière et reconstruit le mur. Néanmoins cette victoire augmente considérablement la popularité des dirigeants du Hamas chez les Palestiniens.
La tension monte à la frontière orientale en raison des tirs de roquettes du Hamas et des représailles de l’aviation israélienne. En février 2008, un Israélien est tué à Sdérot par une roquette. La riposte d’Israël est terrible : en une semaine, les raids israéliens font 90 victimes civiles. Le gouvernement israélien bloque l’arrivée des aides de l’ONU en vivres et en médicaments et réduit presque entièrement l’approvisionnement en carburant. La Bande de Gaza devient alors une prison où les détenus sont condamnés à mourir à petit feu.
La vie des habitants
La pénurie d’essence est la plus grave conséquence de ce blocus. Alors que Gaza a besoin de 850 000 litres de carburant par semaine, Israël n’autorise la livraison que de 70 000 litres. Sur le plan sanitaire, il en résulte que les ambulances ne peuvent plus circuler, que les médecins et les infirmières ne peuvent plus se rendre à leur travail et que les installations des hôpitaux sont à l’arrêt. Les camions de livraison ne sont plus en mesure de livrer les produits alimentaires aux marchés et aux boutiques. Il s’ensuit un déséquilibre alimentaire pour les civils, en particulier pour les enfants.
Les chars israéliens tirent sur des camps de réfugiés. Les services d’ambulances entendent des appels à la radio, mais ils ne peuvent pas leur venir en aide car les routes sont bloquées. Un homme vivant à l’est du camp de réfugiés de Jabaliya a appelé pour demander une ambulance alors que sa femme était sur le point d’accoucher. L’animateur de radio lui a demandé où il se trouvait, et s’il y avait des chars israéliens. « Je ne peux pas regarder par la fenêtre, sinon ils vont me tirer dessus. » Les services d’urgence restent branchés sur la radio, ne serait-ce que pour aller récupérer les corps des victimes. Lors d’une récente mission, dit un secouriste bénévole, « un tank israélien nous a tiré dessus. Deux balles dans les roues. »
Des centaines de maisons se trouvent en contrebas de bassins d’eaux usées retenus par des murs de terre. Il existe un projet de 80 millions d’euros financé par des donateurs internationaux pour la construction d’un système de traitement des eaux usées au nord de Gaza, mais les entrepreneurs ne peuvent pas se déplacer. Le principal problème est le manque de carburant et l’absence de matériaux de construction. Les bassins sont si grands que si les digues cèdent, une vague d’excréments submergera une zone habitée par des milliers de personnes. « Essayez donc de construire un réseau d’égouts pendant une guerre » a dit un ingénieur palestinien.
Pour approvisionner Gaza en essence, le Hamas aurait posé récemment une canalisation à travers l’un des nombreux tunnels creusés sous la frontière égyptienne afin de faire passer des armes, des munitions et du matériel. Leur nombre est évalué à 200. De nombreux Palestiniens ont été blessés ou tués dans l’effondrement de galeries. Le Hamas accuse l’Egypte de chercher à les faire sauter ou à les inonder.
La traversée du Liberty et du Free Gaza
Je vais résumer ici mes deux articles précédents. Il y a quelques mois, deux Américains, Paul Larudee et Greta Berlin, ont lancé un mouvement intitulé « Free Gaza » qui rassemble une soixantaine personnes de dix-sept nationalités différentes. Le but est de pousser la communauté internationale à ne plus soutenir l’occupation de la Palestine par Israël. Plusieurs de ses membres ont déjà participé à des missions humanitaires en Palestine. Certains y sont interdits de séjour par Israël. Ayant constaté qu’ils ne pouvaient entrer dans la Bande de Gaza ni par la route ni par les airs, ils ont décidé d’essayer d’y entrer par la mer. Pour cela, ils ont acheté deux bateaux de pêche et les ont transformés pour l’expédition. Ils les ont baptisés Liberty et Free Gaza. Partis de Crète, ils ont d’abord accosté le 20 août à Larnaca, au sud de Chypre. Ils ont ensuite mis le cap sur Gaza pour une traversée de trente heures. Parmi les quarante-six passagers, on notait la journaliste Lauren Booth, belle-sœur de Tony Blair. Heureuse coïncidence, car il est actuellement le représentant du Quartette pour le Proche-Orient. Elle a dit en partant que « ce serait plutôt à Tony de faire le boulot ».
Le ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, avait ordonné de « prendre les mesures adéquates pour empêcher ces trublions de nuire » et le quartier général de la marine israélienne avait annoncé que les navires de guerre patrouillant le long de la Bande de Gaza réagiraient activement si les bateaux ne répondaient pas à leurs sommations. Pendant toute la traversée, les télécommunications ont été brouillées et les Israéliens ont poursuivi leurs déclarations menaçantes. Mais, deux heures avant l’arrivée, ils ont fait savoir que la marine ne s’opposerait pas au passage des deux bateaux. Des centaines de Palestiniens et de journalistes s’étaient rassemblés dans le port de Gaza City pour les accueillir. La scène est passée à la télévision dans de nombreux pays. Le lendemain, le gouvernement israélien a manifesté son dépit. Une source politique autorisée à Jérusalem a dit : « Ce sont des provocateurs professionnels, et nous n’avons pas voulu les aider. Plutôt que d’obséder toute la presse internationale, ils n’ont presque pas eu de couverture médiatique parce qu’il n’y a pas eu de confrontation. »
Le Free Gaza et le Liberty sont repartis quatre jours plus tard sans être inquiétés et sont arrivés au port de Larnaca le vendredi soir. C’était la fin d’un voyage historique qui a permis pour la première fois à des Palestiniens de revenir librement dans leur pays et de le quitter librement. Richard Falk, le rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme, a adressé un message de soutien aux quarante-six membres de l’expédition dans lequel il a déclaré que « la question est de vérifier si le courage et la détermination peuvent éveiller la conscience de l’humanité à une tragédie actuelle. »
Jeff Halper, un membre de l’expédition qui a la double nationalité américaine et israélienne, et qui dirige le comité contre les démolitions de maisons palestiniennes, n’a pas fait le voyage de retour. Il a été arrêté mardi par la police israélienne alors qu’il quittait Gaza par la route pour rejoindre sa famille. Il est resté en prison vingt-quatre heures. Il s’attend à être mis en jugement, car la loi interdit aux citoyens israéliens d’avoir des contacts avec des membres du Hamas.
Parmi les passagers des deux bateaux qui ont regagné Chypre, se trouvait un Palestinien de 12 ans, Saed Mosleh, avec son père. Ce jeune garçon a perdu une jambe il y a six mois dans l’explosion d’un obus tiré par un char israélien. Il aidait son père à arroser des arbres dans le nord de la Bande de Gaza lorsque le char a tiré dans leur direction. L’obus a exposé à 20 mètres et il a reçu un éclat dans la jambe. Il n’a pas pu être soigné immédiatement parce qu’aucune ambulance n’a pu se déplacer. La gangrène s’est déclarée, il est tombé dans le coma et il a fallu lui couper la jambe au-dessus du genou. Il est resté trois mois dans le coma. Il sera soigné dans une clinique de Chypre où on lui posera une jambe artificielle.
Ouverture de la frontière égyptienne
Dans un geste de bonne volonté à l’approche du Ramadan, l’Egypte a ouvert sa frontière avec Gaza le samedi 30 août pour autoriser le passage de plusieurs centaines de personnes. Le Hamas, qui contrôle soigneusement les entrées et les sorties, a organisé des transports en autocar à partir d’un point de rassemblement. De nombreux habitants de Gaza pourront ainsi se faire soigner dans des hôpitaux égyptiens. Le dirigeant de Gaza, Ismaël Haniyeh, dans une déclaration à la presse, a remercié Hosni Moubarak. De son côté, le Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, a également remercié le président égyptien en lui demandant de maintenir la frontière ouverte.
Cette ouverture n’est sans doute pas sans rapport avec l’action de Free Gaza, qui a laissé sur place des observateurs. A cette occasion, la presse internationale a mis en évidence la fermeture totale de la frontière égyptienne, au point que la Ligue arabe a fait une déclaration mettant en garde la communauté internationale, avec en premier lieu, évidemment, l’Egypte.
Free Gaza poursuit son action
Le 1er septembre vers midi, six observateurs des droits de l’homme qui accompagnaient des pêcheurs dans les eaux territoriales de Gaza ont lancé un appel transmis par des agences de presse en direction du ministère des Affaires étrangères d’Israël. Des navires de guerre israéliens tiraient sur les bateaux sur lesquels ils se trouvaient à côté de pêcheurs palestiniens qui faisaient leur travail. Personne n’a été blessé, mais les pêcheurs palestiniens ont dit que plusieurs de leurs camarades ont été tués précédemment dans les mêmes conditions.
Les accords d’Oslo autorisent les pêcheurs de Gaza à sortir jusqu’à 20 miles nautiques, mais la marine israélienne a réduit cette limite à 6 miles. Le but des observateurs de Free Gaza, deux Américains, un Danois, un Ecossais et un Grec, est d’enregistrer des preuves formelles du harcèlement et des attaques arbitraires dont les pêcheurs palestiniens font constamment l’objet par la marine israélienne. Ils ont fait savoir aux Israéliens qu’ils pourront être présents chaque jour sur n’importe quel bateau de pêche sans manifester leur présence.
Paul Larudee a déclaré que le Liberty et le Free Gaza retourneraient bientôt à Gaza, et il a exhorté les Nations unies, la Ligue arabe et la communauté internationale à organiser « des efforts similaires en faveur des droits de l’homme ».
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