Une leçon de Révolution
La liberté guidant le peuple, deux nations Arabes viennent de s'éveiller, livrant au monde une magnifique leçon de Révolution dont il conviendra pour chacun d'en extraire le substrat. La Tunisie tout d'abord, puis l’Égypte dans son sillage immédiat, viennent de bouter hors du pouvoir leur autocrate respectif au moyen d'une conviction sans faille et comme pétrie d'une intelligence révolutionnaire sans pareille. Cela, sous les yeux ébahis de plusieurs milliards de citoyens, auxquels il nous faut malheureusement retrancher une grande partie du peuple chinois [1]. Désormais, il plane sur la planète comme un délicieux parfum de jasmin qui pourrait envoûter bien d'autres peuples, qu'ils soient du nord ou du sud, de l'est ou de l'ouest. L'odeur de la liberté n'a pas de frontière et l'ivresse de la promesse d'une société nouvelle ne saurait être contenue par quelque nation ou intérêts qu'ils soient.

En Tunisie, un homme s'est immolé [2], la population s'est enflammée puis un dictateur s'en est allé [3]. Par contagion, en Égypte, le peuple a pris la rue, puis la place Tahrir, faisant céder le Raïs que l'on croyait vissé sur le socle du pouvoir tel un éternel sphinx. Le tout si promptement, qu'on a encore peine à le réaliser, alors que les dirigeants longtemps complaisants de nos vieilles démocraties ont eu le plus grand mal à faire entendre leur voix enrouée, si ce n'est pour crier gare au loup barbu. Aussi, l'argument fera long feu car ni la Tunisie, ni l’Égypte, ne ressemblent à l'Iran de 1979 [4] ; il n'y a dans ces histoires respectives ni unité de lieu, ni unité d'action. Certes, les frères musulmans apparaissent au pays des Pharaons comme la seule force disponible organisée, alors qu'aucune opposition constituée n'existe au pays du jasmin. Pour autant, il serait très étonnant que ces peuples qui viennent de briser les chaînes qui les maintenaient en état d'asservissement, laissent succéder à la kleptocratie étouffante, une théocratie moyenâgeuse.
L’épouvantail ainsi agité au balcon de nos danaïdes démocraties [5] est en réalité très peu effrayant, et il faut absolument accorder à celles et ceux qui viennent de démontrer avec force toute leur maturité exemplaire, la confiance que longtemps nous leur avons refuser en nous abritant derrières de fallacieux prétextes. Il faut nous rappeler les siècles qu'il nous aura fallu pour conquérir nos imparfaites libertés et bâtir des démocraties ô combien perfectibles encore. Il faut aussi ne pas oublier combien l'occident, il y a peu, inventait de féroces dictatures qui auront ensanglanté le siècle précédent. Aussi, profil bas il nous faut faire, et applaudir sans retenu aucune l'histoire qui vient de s'écrire à la face du monde. Et, comme le rappelle Mme Souhayr Bellhassem [6], c'est avant tout une jeunesse désespérée - 60% de moins de trente ans - qui s'est soulevée pour chasser les mauvais démons qui présidaient à sa destinée depuis un temps si long qu'il ressemblait à l'éternité. Mais rien ne dure à jamais, et c'est ce que viennent de nous dire les acteurs de ces deux révolutions spontanées, belles comme un printemps avant l'heure.
Maintenant, c'est demain que doivent construire ces deux peuples assoiffés de liberté, à la force de leurs jeunesses, au moyen de leurs talents, portés par ce chant infini des possibles qui résonne déjà. L'espoir ce n'est pas l’Europe. L'avenir, il n'est pas ailleurs. Les rives de Lampedusa ne dessinent aucun horizon prometteur[7], mais au contraire, elles tracent plutôt les contours de frustrations nouvelles qu'il faudra taire, et ravaler jusqu'à en crever.
Le futur c'est la conquête de l'égalité, qu'il faille l'arracher contre vents et marées, la dignité entre les dents ! Il est grand temps que cesse notre humiliation ! Voilà ce que viennent de nous crier tunisiens et égyptiens réunis dans un moment historique. Ils viennent de reprendre leur destinée en main, drapés dans une conscience irréprochable, splendide comme une juvénile candeur.
Un temps, la révolution française fut source d'inspiration pour nombre d'âmes opprimées, un temps la chute du mur de Berlin rayonna jusqu'aux dictatures alentours, et maintenant c'est l'odeur du jasmin tunisien qui peu à peu arrive aux narines des oppressés. Il faut bien le dire et l'écrire, une nouvelle leçon de Révolution vient d'être récité avec panache et brio par des peuples que personnes n'attendait. Le droit au soulèvement vient de s'enrichir considérablement, l'insoumission vient de gagner une bataille supplémentaire, il faut nous en réjouir et remercier sans retenue ses nouveaux héros.
[1] Chine : Pékin craint l'effet domino des événements égyptiens, France 24.
[2] Mohamed Bouazizi
[3] L'histoire secrète de la fuite de Ben Ali, Le Nouvel Observateur, 10 février 2011.
[4] Ramin Parham, Michel Taubmann, Histoire secrète de la révolution iranienne, Dénoël, 2009.
[5] Léo Ferré, La solitude.
[6] Présidente de la FIDH depuis 2007
[7] http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110213.OBS7942/un-millier-d-immigrants-tunisiens-debarquent-en-italie.html
Illustration : AFP/Patrick Baz
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