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Une place libre au Panthéon

En 1875 la frégate la » Vénus « croise dans les eaux du Golfe de Guinée pour arraisonner les transports d’esclaves vers l’Amérique. Au nom de la République, la marine française poursuit les trafiquants jusqu’ au fond de la jungle. On en profite pour mener quelques explorations en remontant les fleuves en chaloupes motorisées. Pas très loin de là, Stanley rode. Surnommé « Boula matari », « le briseur de pierres » par les bantous, il forge un immense empire pour son mécène, Léopold II, roi des Belges.

L’aventure coloniale française n’a pas bonne presse. Elle a été émaillée de trop d’excès et vécue avec un peu trop d’arrogance par nos aïeuls. Elle s’est aussi mal terminée en Asie et en Afrique du Nord. Mais, contrairement aux autres Empires, le britannique, le hollandais ou le portugais nous n’avons cessé de nous investir dans ces nations dont nous avions tracé les frontières. L’engagement français au Mali et en Centrafrique a un parfum de « ne me quitte pas ». L’épisode du Ruanda nous colle à la peau comme une tunique de Nessus. La Grande Bretagne se soucie t elle des 200 lycéennes du Nigéria ? La troisième République, avec Jules Ferry, nous avait donné bonne conscience. Un peu comme ces soldats de l’an II qui s’habillaient en combattants de la liberté pour mettre l’Europe à sac. Dans les années 1880, clairement, tout le monde s’accordait pour considérer que nous ne faisions que notre devoir en apportant la civilisation là où nous estimions qu’elle manquait. L’esclavage et la traite n’étaient ils pas abolis ? L’administration coloniale ne maintenait elle pas la paix entre les tribus ennemies ? N’éduquions nous pas ?

La » Vénus » était là pour montrer que rien de ce qui touchait à la liberté ne laissait la France indifférente. Un de mes amis gabonais, roi dans son village, se vantait encore voici peu de descendre d’une dynastie de marchands d’esclaves qui faisaient la navette entre la brousse et la côte pour capturer, convoyer et vendre la « marchandise » aux capitaines véreux qui les transféraient en Amérique. La « Vénus » était commandée par un jeune officier qui croyait en sa mission. Naturalisé français depuis peu, il avait choisi de fuir la Vénétie alors sous le joug autrichien pour gagner la Patrie des Droits de l’Homme et servir.

Et c’est ainsi que Pierre Savorgnan de Brazza, en poursuivant les trafiquant jusque au fond de la jungle gagna, pour la France, en quelques années, presque seul, un empire en Afrique Centrale. Immigré de fraiche date, plein de foi dans sa mission civilisatrice, il mérita la confiance des rois locaux sans tirer un seul coup de fusil contre un homme, ce qui ne l’empêchait pas d’être un excellent chasseur. Son arme absolue était le drapeau tricolore qu’il semait partout. « Celui qui me touche est libre » cette devise faisait forte impression, car elle permettait aux esclaves de se libérer miraculeusement leurs maitres. Il suffisait de toucher le tricolore qui justifiait la mission que lui avait assigné son inventeur Lafayette lui aussi apôtre de la liberté.

Passons sur les péripéties d’une courte vie qui a vu ses illusions fondre sous le joug de la politique hexagonale. Recru de fatigues et de maladies, Brazza meurt à 53 ans en 1905 pendant une escale à Dakar. D’emblée le gouvernement le destine au Panthéon. N’a-t-il pas tous les titres pour y établir sa dernière demeure ? Il laisse une femme, descendante des Lafayette et quatre enfants. Celle-ci, effondrée par le deuil qui la touche, accuse l’administration coloniale de l’avoir fait empoisonné. Sa dernière mission en Afrique a été très difficile. Il avait été chargé par le gouvernement de faire un rapport sur la maltraitance des Africains par les sociétés de commerce avec la complicité de l’administration coloniale. Le rapport était tellement accablant qu’il n’a été publié qu’en …2014.

Bref, Mme Brazza dit non au Panthéon. Après des obsèques nationales, la dépouille de Brazza se retrouve donc au cimetière d’Alger où il avait vécu les dernières années de sa vie.

Cent un ans plus tard, le Congo, qui n’avait pas débaptisé sa capitale et gardait un grand souvenir du héros, propose aux descendants de Brazza de rapatrier son corps dans « sa » ville et de lui construire un mausolée comme au « père de la Patrie ». Un accord est signé, le mausolée construit aux frais de l’État Congolais et Brazza transféré en majesté, entouré de ses lointains descendants, de hauts responsables français et du peuple congolais. Plusieurs années après, des descendants italiens de l’explorateur s’avisent que l’accord de transfert n’a pas été respecté. Le monument de Brazzaville avait coûté si cher qu’il n’avait pas été possible d’ériger une autre statue dans le village de M’Bé où le traité franco-congolais de 1880 avait été signé. Le lycée Savorgnan de Brazza n’était pas non plus dans un très bon état. Procès à Paris. Le Congo gagne. Appel à Paris .Le Congo perd, condamné à rendre les cendres à la famille. Pas de chance posthume pour Brazza : Panthéon raté, mausolée interdit.

Voila une cause à laquelle personne ne s’intéresse, car personne ne se souvient de Brazza. L’homme fait partie de cette mince élite de français qui ont laissé un nom hors des frontières nationales, et on été oubliés à l’intérieur (parmi eux Auguste Comte, Villebois-Mareuil, de la Salle, du Pont de Nemours et quelques autres). Elle est pourtant lourde de symboles et plus importante qu’elle n’en n’a l’air. Que se penserait-on si un petit neveu de Marie Curie demandait son transfert en Pologne ? Il y a des personnalités qui appartiennent à l’histoire et sur lesquelles personne n’a plus de droits. On les appelle les « Grands Hommes ». Brazza en fait partie. Quelle preuve plus éclatantes que le souvenir laissé dans son pays d’adoption, un siècle près sa mort, après toutes la péripétie de la colonisation, de la décolonisation, puis de l’auto flagellation française ! Quelle gloire plus grande pour un pays humaniste que de voir un de ses héros révéré dans le pays même qu’il a conquis pacifiquement ? Tant de bien au milieu de tant de mal ! Brazza est une gloire de la France d’aujourd’hui. Il est le symbole de l’immigré qui sert la République, du Français fils des Lumières, de l’humaniste anti colonialiste, du défenseur de la justice et des défavorisés. Il est, au bord du Congo, le symbole de tout ce que la France a fait de bon en Afrique et qui lui vaut, encore aujourd’hui le respect des Congolais.

Chers cousins empressés que je ne connais pas, laissez Brazza à sa légende dans sa ville, au milieu ses siens ! Que ferait-il dans un caveau romain anonyme, loin de ceux qu’il a aimé et qui ont été son destin ? Quand un enfant congolais passe devant le mausolée, il sait qui est là. Il voit une page de son histoire. Devenu grand, il comprendra pourquoi la France et le Congo ont des liens de sang. Que lui dira-t-on demain lorsqu’il passera devant un tombeau vide ? Et que pensera-t-il de ceux qui ont fait enlever le grand homme par la force d’une justice sans âme ?

Christian Mégrelis

Citoyen d’honneur du Congo


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3 réactions à cet article    


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 16 juin 2014 11:49

    Bel hommage à un homme que la grandeur du monde a éclairé sur ses couleurs, du noir le plus profond au blanc le plus plat. Rendons lui son pays pour qu’il sauve le sien, l’honneur.


    • eric 16 juin 2014 19:00

      Christian ? Le père de Nicolas a Moscou ?


      • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 16 juin 2014 21:32

        @L’auteur.

        Très bon billet.

         « Il y a des personnalités qui appartiennent à l’histoire et sur lesquelles personne n’a plus de droits. On les appelle les « Grands Hommes ». Brazza en fait partie. Quelle preuve plus éclatantes que le souvenir laissé dans son pays d’adoption, un siècle près sa mort, après toutes la péripétie de la colonisation, de la décolonisation, puis de l’auto flagellation française ! Quelle gloire plus grande pour un pays humaniste que de voir un de ses héros révéré dans le pays même qu’il a conquis pacifiquement ? Tant de bien au milieu de tant de mal ! Brazza est une gloire de la France d’aujourd’hui. Il est le symbole de l’immigré qui sert la République, du Français fils des Lumières, de l’humaniste anti colonialiste, du défenseur de la justice et des défavorisés. Il est, au bord du Congo, le symbole de tout ce que la France a fait de bon en Afrique et qui lui vaut, encore aujourd’hui le respect des Congolais. »
        Je crains malheureusement que pour beaucoup d’immigrés en France, originaires d’Afrique, et je ne parle pas des Français eux-mêmes, les grandes gloires de l’histoire coloniale de la France, soient tout simplement ignorées sinon oubliées. Faites l’expérience autour de vous et demandez ce qu’évoquent les noms de Gouraud, Laperrine, Flatters, Garnier, Gallieni, Dierx, Eboué,Lyautey ou Marchand, dont la statue à Vincennes a été dynamitée dans les années 1970 par de sombres abrutis anticolonialistes.Vous serez édifié.

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