USA 2008 : Sarah Palin, polémiques et piège à démocrates
Depuis quelques jours, la candidature de John MacCain reprend du poil de la bête dans les sondages. Un essai d’explication.
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Je l’ai déjà écrit ici, je suis favorable à l’élection de Barack Obama, non parce que je crois naïvement qu’il changerait la face du monde (il resterait porteur des seuls intérêts des États-Unis), mais parce que son élection serait l’occasion d’une remise à plat des relations entre l’Europe et les États-Unis (une occasion à saisir selon Hubert Védrine).
Incertitude de l’issue finale
Cela dit, entre le souhaitable et le probable, il y a un pas que beaucoup peuvent franchir. À une cinquantaine de jours de l’élection américaine, il est aujourd’hui bien prétentieux et bien imprudent de donner un pronostic pertinent.
Le passage des deux Conventions, démocrate puis républicaine, ces deux dernières semaines, a quand même clarifié la situation.
D’un côté, un ticket finalement plus classique qu’on ne le croit avec le vieux routier de la politique Joe Biden en colistier de Barack Obama.
De l’autre côté, la surprise du chef, John MacCain s’offre la charmante (mais inconnue) gouverneur de l’Alaska, Sarah Palin, pétillante et tout ce qu’il faut pour séduire une certaine Amérique, celle qui avait choisie George W. Bush en 2000.
Le piège de la diversion
Et il faut bien dire que la mécanique a bien fonctionné. Laquelle ? Mais celle que Nicolas Sarkozy a su déjà utiliser en France, pardi !
La mécanique de la diversion. Nicolas Sarkozy a su faire parler de ses relations affectives, avec Cécilia au début, puis Carla Bruni ensuite, sujets qui mettent en haleine voire en émoi le petit monde médiatique alors que se déroulent sous nos yeux de profondes réformes dont on parle peu (réforme des institutions, modernisation de l’économie, réforme des retraites, de la Sécurité sociale, rétention de sûreté, etc.).
Tout comme Rachida Dati évoque sa vie privée compliquée au lieu de parler de la réforme de la carte judiciaire ou de sa politique pénale.
Mais revenons aux États-Unis. Parler de la vie privée des hommes politiques n’est pas nouveau dans ce pays. Cela a perdu un homme comme Gary Hart susceptible de succéder à Ronald Reagan en 1988, et a failli perdre le président Bill Clinton.
Un bilan désastreux
Ce qui est intéressant à noter, c’est que, depuis plusieurs mois déjà, il n’y a plus à argumenter sur le bilan désastreux des deux mandats de George W. Bush. Tous les journalistes américains sont unanimes et même George W. Bush s’est fait très discret pour soutenir le candidat républicain.
Le bilan désastreux, c’est d’abord la guerre en Irak, mais aussi en Afghanistan. Le nombre de soldats américains morts est nettement supérieur au nombre des victimes des attentats du 11-Septembre 2001… dont on fête aujourd’hui le septième anniversaire. Chaque mois a son lot d’attentats suicides en Irak et la démocratie et le calme sont loin d’être acquis dans ce pays.
Mais c’est aussi une situation intérieure du pays catastrophique. Un chômage qui galope, des banques qui ferment les unes après les autres, une créance de plus en plus élevée auprès d’établissements financiers chinois et cette crise des subprimes qui poursuit son travail de sape.
Sans parler de la responsabilité immense des États-Unis dans l’absence de règles internationales contraignantes en matière d’environnement et d’énergie.
Une argumentation en or pour Obama
Face à cet état de fait, le candidat Barack Obama n’avait qu’un seul argument à faire valoir et qui lui vaudrait, dans tous les cas, la victoire. Identifier la candidature de John MacCain à la présidence de George W. Bush. En disant grosso modo : si vous votez MacCain, vous votez pour douze ans de George W. Bush.
Mais dans le brouhaha actuel, qu’y a-t-il ? On en a eu quelques échantillons la semaine dernière en France, mais c’est encore plus flagrant dans les médias américains : on ne parle plus que de Sarah Palin.
La pimpante Sarah Palin
Sarah Palin, 44 ans, ancienne maire et jeune gouverneur d’un État moins peuplé que la Meurthe-et-Moselle (depuis 2006). Sa vie est sans doute un roman et prête à tous les commentaires, favorables ou négatifs.
Politiquement proche des anti-avortement, favorable au port d’armes, contre toute approche environnementale de la société, Sarah Palin a prouvé son indépendance d’esprit (et son audace ou courage) vis-à-vis de l’élite américaine, de l’etablishment de Washington, avec le côté un peu chauvin de la paysanne fière de sa région et indifférente du reste du pays.
Elle n’apparaît guère hyper-futée (mais est-ce qu’on le demande aux candidats ? l’ancien vice-président de George Bush père, Dan Quayle, ne semblait pas montrer une intelligence démesurée non plus)) et, encore récemment, elle ne savait même pas ce qu’était la fonction de vice-président des États-Unis d’Amérique !
Elle a aussi une vie privée intéressante : six enfants, un bébé de 5 mois trisomique (dont elle aura bien du mal à s’occuper pendant ces deux prochains mois de campagne électorale), une fille de 17 ans enceinte depuis quelques mois, mais qui, heureusement, va se marier.
Si on fouille l’existence de cette belle jeune femme, on la retrouve en Miss beauté de son terroir et on peut admirer quelques photographies sur internet la représentant en train de pêcher un gros poisson ou de tuer à la carabine un ours.
Et puis, quelques autres polémiques, comme l’interrogation sur son éventuelle intervention dans le licenciement de son ex-beau-frère (qui avait divorcé de sa sœur), comme sa proximité des compagnies pétrolières, ou comme la vente d’un avion de fonction sur le site internet eBay.
J’ai sûrement oublié d’autres éléments, il existe des spécialistes pour fouiller ce genre de ragots.
Où est l’important ?
Il est sûr que l’élection d’un John MacCain de 72 ans et malade d’un cancer de la peau a de quoi faire peur si l’on imagine qu’en cas de décès c’est ce phénomène, Sarah Palin, qui prendrait la succession.
Mais, pourtant, l’importance de la personnalité d’une candidate à la vice-présidence des États-Unis ne doit pourtant pas être surestimée.
Buzz pour Palin
Or, c’est ce qu’il se passe actuellement aux États-Unis. Tout le monde en parle. Les pour, les contre, les inquiets, les optimistes. Les républicains contestent le choix de MacCain (bien d’autres colistiers auraient pu faire l’affaire ou auraient été électoralement plus efficaces), les démocrates s’en gaussent ou s’en émeuvent…
Ceux qui disent que les républicains se tirent une balle dans les pieds, ceux qui s’en frottent les mains, ceux qui approuvent les proximités néo-conservatrices de Sarah Palin, ceux qui les combattent, ceux qui, au contraire, pensent qu’elle est un bon atout dans le jeu de MacCain, etc.
Bref, tout le monde parle de Sarah Palin… et on en oublie de parler du bilan désastreux des deux derniers mandats républicains.
Dégringolade d’Obama
Conséquence directe : le ticket Obama/Biden est en chute libre dans les sondages et MacCain/Palin reprend honorablement la main qu’il avait perdue depuis fin mars 2008.
Que reproche-t-on au ticket démocrate ?
Pas le faux lapsus dont une traduction douteuse en français donnerait un sens erroné aux propos d’Obama sur sa prétendue (à tort) foi musulmane. Mais sûrement l’étonnante passivité du colistier Joe Biden (qui semble être un piètre débatteur) et le trop grand sang-froid de Barack Obama.
Car ce qui est reproché à Obama, c’est surtout de se contrôler beaucoup trop, d’être maître de ses nerfs, bref, d’être incapable de se mettre en colère (les colères de John MacCain sont parfois cataclysmiques, son épouse Cindy en a même fait parfois les frais, et le candidat républicain est souvent considéré comme une personnalité incontrôlable). Bref, de ne pas être assez humain.
On reproche à Obama de trop comprendre les idées de l’adversaire, d’être trop consensuel (mais les États-Unis n’auraient-ils pas besoin aujourd’hui d’une vision moins manichéenne et plus consensuelle ?), et surtout, de ne pas suffisamment attaquer les républicains. Bref, d’être trop intello… un peu comme Al Gore en 2000.
Refocalisation des enjeux
Mais sa bataille présidentielle n’est pas encore perdue. Les sondages ne sont qu’une indication globale, mais ne prédestinent pas une élection très complexe qui va se gagner par la victoire de quelques États-clés comme la Floride.
Ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’enjeu se trompent : les Américains sont par essence isolationnistes, et la voie dans laquelle ils ont été embarqués par George W. Bush est à l’opposé de ce sentiment. Bill Clinton avait recentré le débat national sur la politique économique et sociale contre un George Bush père obnubilé par le Proche-Orient. Barack Obama est en position de faire de même… car ce n’est pas John MacCain, qui s’avoue nul en économie, qui pourrait refocaliser sur des enjeux purement intérieurs.
Après tout, avec Sarah Palin, MacCain n’a-t-il pas placé l’élection présidentielle sous le signe du palindrome, comme celui-ci : Obama amabo (je vais aimer Obama) ?
Sylvain Rakotoarison (11 septembre 2008)
Pour aller plus loin :
Programme du candidat démocrate Barack Obama.
MacCain is running on the amnesia platform, but it’s Democrats who need to forget Sarah Palin (Arianna Huffington, 5 septembre 2008).
Sarah Palin : a Trojan moose concealing four more years of George Bush (Arianna Huffington, 9 septembre 2008).
Quelques raisons de s’inquiéter d’une présidence MacCain (Pat Philly, 9 avril 2008).
Sondages au jour le jour Obama versus MacCain (RealClearPolitics).
Documents joints à cet article
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