USA : Obama, la force tranquille ? (1/2)
Depuis le 3 juin 2008, Barack Obama a officiellement la majorité absolue du nombre des délégués démocrates nécessaire à sa désignation comme candidat à l’élection présidentielle américaine du 4 novembre 2008. Et maintenant, que va-t-il se passer ? Première partie.
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La bataille fut longue (cinq mois), incertaine et douloureuse (notamment pour John Edwards), mais, depuis mars, Barack Obama avait de bonnes chances de devenir le candidat démocrate.
Candidat officiel
C’est désormais réalisé depuis le 3 juin 2008, date des deux dernières primaires, aux couleurs contrastées (échec au Dakota du Sud, victoire au Montana), mais, surtout, date à laquelle une cinquantaine de super-délégués ont enfin pris position en faveur d’Obama.
Fait historique que d’avoir un candidat métis présidentiable d’un grand parti gouvernemental aux États-Unis ? Pas plus que d’avoir eu, avec Ségolène Royal, une femme candidate présidentiable d’un grand parti gouvernemental en France. Le fait de dire "historique" signifie une singularité alors qu’Obama a répété à de nombreuses reprises que sa démarche n’était pas communautariste.
Barack Obama, dont la campagne va être entre autres axée sur le fait que John MacCain ne serait qu’un continuateur de la politique de George W. Bush (ce qui nécessitera beaucoup d’arguments) a reçu les félicitations… du même George W. Bush, courtoisie à laquelle le président américain s’était prêté également lors de la victoire de John MacCain sur ses concurrents républicains.
Condoleezza Rice a trouvé, elle, que les États-Unis étaient « un pays extraordinaire » pour avoir un candidat sérieux de couleur à l’élection présidentielle. Chez beaucoup de monde, "métis" signifie forcément "noir", mais, alors, comment décrire la famille maternelle d’Obama ?
Rice qui pourrait, elle aussi (malgré ses dénégations), s’impliquer dans la campagne présidentielle en étant candidate à la vice-présidence derrière John MacCain (sans doute le "ticket" le plus offensif que pourrait concevoir John MacCain).
Quelques statistiques sur ces éprouvantes primaires
Le décompte au 5 juin 2008 à 10 heures est le suivant :
Nombre minimal requis de délégués : 2 118.
Barack Obama : 2 181,5 dont 415 super-délégués.
Hillary Clinton : 1 921,5 dont 282 super-délégués.
Super-délégués encore indécis : 126.
Délégués de John Edwards encore indécis : 21.
(Les "demi-délégués" proviennent du fait que certains délégués, comme ceux du Michigan et de Floride, n’auront qu’une demi-voix à la Convention nationale démocrate de Denver).
En nombre de voix populaires, le décompte se fait ainsi :
Barack Obama : 17 535 458 voix (soit 48,1%).
Hillary Clinton : 17 493 836 voix (soit 48,0%).
41 622 voix ont donc séparé les deux rivaux, se traduisant, en nombre de délégués élus, par une différence de 127 sur un total de 3 434 (soit 3,7 % d’écart).
En prenant aussi en compte les caucus (dans l’Iowa, le Nevada, l’État de Washington et le Maine), qui n’ont pas fait appel aux votes populaires, et les États du Michigan (où il n’y avait même pas de bulletin de vote au nom d’Obama) et de Floride, les estimations sont très divergentes et vont d’un écart de 151 844 voix en faveur d’Obama à un écart de 286 687 voix en faveur d’Hillary Clinton (en fonction de différentes hypothèses).
Pour le détail État par État, voir ici.
Un combat électoral étonnant
Hillary Clinton doit digérer un échec bien réel et très inattendu encore en début janvier 2008 : capable de rassembler militants et financements, dans le clan qui contrôlait le Parti démocrate depuis près d’une vingtaine d’années, forte de son expérience de sénatrice depuis huit ans et, surtout, d’épouse du président Bill Clinton auprès de qui elle s’était occupé des affaires de santé, la candidate malheureuse avait toutes les clés pour gagner largement, sans inquiétude, d’autant plus que son vote impardonnable en faveur de la guerre en Irak ne lui a jamais vraiment été reproché.
Face à elle, un sénateur qui n’avait que trois ans d’expérience nationale au Sénat américain (alors que John Fitzgerald Kennedy avait exercé déjà quatorze ans au Congrès américain avant d’être élu président). Obama qui n’aurait que son charisme comme seul atout, mais qui a montré qu’il avait aussi une stabilité dans ses prises de position, une diplomatie à rude épreuve (pour éviter d’être qualifié de girouette) et une minutieuse efficacité dans le travail sur le terrain (électoral et militant) qui lui a permis de collecter beaucoup plus d’argent qu’Hillary Clinton.
Une analogie pourrait être faite avec Woodrow Wilson qui, en 1912, était aussi inconnu qu’Obama dans le paysage politique national.
Obama a finalement réussi à dépasser tranquillement les nombreux démocrates ambitieux qui voulaient assurer de la relève de Bill Clinton, à savoir John Edwards, Howard Dean ou encore John Kerry.
Analogie avec 1976
Certains journalistes américains ont comparé ces primaires démocrates aux primaires du Parti républicain en 1976.
À l’époque, le président sortant, Gerald Ford, qui n’avait encore jamais été élu car le président Richard Nixon et son vice-président Spiro Agnew élus en 1972 avaient démissionné pour cause de Watergate, était confronté à sa première campagne présidentielle qui très rude pendant des primaires où il affrontait Ronald Reagan.
Ce dernier finalement battu aux primaires avait refusé d’aider Gerald Ford pendant la campagne contre Jimmy Carter en participant activement à la campagne, et Carter gagna d’une courte manche (50,5 % contre 48,4 %), notamment dans les États fiefs de… Ronald Reagan. Gerald Ford aida par la suite Ronald Reagan à se faire élire en 1980.
Et maintenant ?
Ce précédent montre à l’évidence ce que Barack Obama doit absolument éviter : qu’Hillary Clinton, vaincue, s’enferme dans un mutisme jusqu’à la fin de la campagne contre John MacCain, dans le but d’envisager sa nouvelle candidature en 2012.
L’intérêt personnel d’Hillary Clinton pourrait tabler en effet sur un échec d’Obama en 2008 pour mieux assurer la relève dans l’élection suivante. Un peu la méthode de Jacques Chirac qui, en 1981, favorisa l’échec de Valéry Giscard d’Estaing afin de devenir le seul leader de l’opposition (la stratégie a mis quand même quatorze ans à réussir !).
Hillary Clinton n’est toutefois pas Jacques Chirac, et l’intérêt du Parti démocrate surpasse l’intérêt d’un de ses membres (contrairement aux partis de gouvernement en France).
C’est pourquoi, dès le 3 juin 2008 à Saint-Paul dans le Minnesota, Barack Obama n’a pas hésité à envoyer des fleurs à son ex-concurrente : « La sénatrice Clinton a fait l’histoire dans cette campagne. (…) Notre parti et notre pays sont meilleurs grâce à elle, et je suis un meilleur candidat pour avoir eu l’honneur de faire campagne contre Hillary Rodham Clinton », afin de conclure en appelant à la réunification des démocrates : « Commençons à travailler ensemble. (…) Unissons-nous dans un effort commun pour dessiner une nouvelle route pour l’Amérique. ».
Son mentor, David Axelrod, responsable de la stratégie, évoque aussi les grandes qualités d’Hillary Clinton : « Il est évident que c’est une personne incroyable. Nous le savions déjà ».
Que va faire Hillary Clinton ?
Hillary Clinton a refusé de reconnaître tout de suite sa défaite face à Obama. Sans doute par amour-propre, puisque, depuis quelques jours, il n’y a plus aucun doute.
Son désistement officiel et son soutien à Obama auront lieu le 7 juin 2008 à Washington où elle va remercier tous ses partisans.
Elle a surtout déclaré qu’elle va prendre un peu de temps et de recul : « La campagne a été longue, et je ne prendrai aucune décision ce soir ».
Cela ne l’a pas empêchée de se livrer à quelques jeux d’hypothèses et, en particulier, celle d’être sur le "ticket" d’Obama comme candidate à la vice-présidence. Bill Clinton, son époux ex-président, le lui aurait d’ailleurs susurré depuis quelques semaines.
En meeting à New York, le 3 juin 2008, Hillary Clinton a donc confirmé qu’elle était d’accord pour épauler Barack Obama si cela était nécessaire pour gagner en novembre : « Je suis déterminée à unir notre parti pour que nous puissions avancer plus fermement et je suis plus prête que jamais à décrocher la Maison-Blanche en novembre ».
Pour l’instant, Obama ne lui a fait aucune offre, mais ce serait sans doute la solution la plus efficace pour raccommoder un parti en proie aux profondes divisions entre supporters d’Obama et supporters de Clinton. Au risque de casser son message du changement en incluant dans son équipe la représentante d’un gouvernement vieux de… quinze ans (1993).
Les plus suspicieux pourraient aussi remarquer que devenir la vice-présidente d’un candidat dont on a envisagé à deux reprises (en mars 2008 et le 23 mai 2008) son éventuel assassinat pourrait être un moyen de revenir à la Maison-Blanche dans d’autres conditions qu’électoralement.
Seconde partie sur le choix du candidat à la vice-présidence et les premiers discours.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (5 juin 2008)
Pour aller plus loin :
Pourquoi Obama ?
Annonce de la victoire d’Obama aux primaires (3 juin 2008).
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