USA, Prise du Capitole (2) - L’Empire contre-attaque : vers une destitution de Trump ?
Depuis la prise du Capitole du 6 janvier 2021, les élites politiques américaines tentent de reprendre la main en menaçant de procéder à la destitution de Donald Trump. Il s'agit d'une tentative de coup d'État judiciaire dont on ne peut expliquer le caractère absurde, puisqu'il ne reste que 13 jours de mandat, qu'en comprenant sa motivation réelle : réprimer le peuple, dont les élites craignent qu'ils ne se révoltent contre elles.
Cet article est la suite du premier du nom "USA, Prise du Capitole - Une victoire pour Donald Trump", qui constitue désormais une série d'analyses personnelles sur ces événements extra-ordinaires de la journée d'hier. À chaque fois, je cherche, non pas à me prononcer "pour" ou "contre", mais à tirer les leçons politiques de ce qui se passe, bien au-delà des discours convenus et des analyses simplistes qui sont matraqués dans les médias.
N'oubliez pas de noter l'article et de le partager si vous le trouvez intéressant et pertinent. Il risque de ne pas vous laisser indifférents.
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La déferlante de réactions unanimes de la classe politique et médiatique mondiale depuis hier confirme mes analyses à chaud de la prise du Capitole par les sympathisants de Trump le 6 janvier 2021.
Un élément nouveau a fait son apparition ce matin : l’idée de procéder à la destitution du président encore en exercice, Donald Trump, accusé d’être responsable de l’insurrection de la veille, elle-même dénoncée comme un déluge de violence d’extrême-droite.
Pour nous qui voulons prendre du recul par rapport au matraquage univoque des commentaires journalistisques, il nous faut poser cette question à la fois simple et naïve, mais hautement politique : à quoi peut bien servir de destituer un président dont le mandat s’achève dans 13 jours ?
D’autant plus que Donald Trump a fini par accepter, ce 7 janvier et sur pression de la classe politique américaine, de transmettre le pouvoir à Joe Biden le 20 janvier prochain, tout comme Socrate bût en son temps la ciguë.
Pourquoi est-ce que ça n’est pas suffisant ?
Le problème de la prise du Capitole n’était-il pas d’être une tentative de coup d’État, un refus de respecter le résultat des urnes par Trump et ses supporters ?
Mais alors pourquoi destituer Trump qui annonce passer le pouvoir à Biden ?
S’il faut destituer celui qui va transmettre lui-même son pouvoir, c’est parce que l’enjeu est tout autre que celui qui est clamé dans les médias.
Il faut interpréter cette tentative de destitution comme une contre-attaque dans un rapport de force qui a été instauré par les supporters de Trump hier, rapport de force hautement politique pour la conquête du pouvoir, qui ne se joue plus dans le cadre limité de la procédure électorale de choix d’un président mais l’excède désormais, puisque d’un côté on a une entrée par la force dans le Capitole, et de l’autre une procédure judiciaire de destitution.
La classe politique américaine rend coup pour coup.
Elle répond par un coup d’État à ce qu’elle nomme elle-même un coup d’État.
La tentative de destituer celui qui va passer lui-même le pouvoir dans 13 jours est le véritable coup d’État de ce jour.
Comment va-t-elle donc choisir de se qualifier elle-même ?
D’un doux mot d’ordre qui s'élève depuis ce matin et au nom duquel on peut tout légitimer : « la défense de la démocratie ».
Dans mon précédent article de cette nuit, j’avais déjà comparé la prise du Capitole du 6 janvier de 2021 à l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle française le 21 avril 2002. Là aussi, la même unanimité dans la condamnation avait surgit d’un coup en se parant du nom commode de « front républicain ». La tentative de destitution de Trump est un « front républicain » mondial et mondialisé.
Et comme en 2002, la disproportion des réactions - allant désormais jusqu’à une tentative de coup d’État judiciaire - et leur caractère unanime a pour fonction de masquer l’événement réel en créant un événement sur l’événement, c’est-à-dire en noyant le poisson par un flot continu de commentaires. En 2002, l’événement était l’arrivée de Le Pen au second tour, mais il devint, par un tour de passe, l’union nationale appelée « front républicain ».
Perry Anderson, un intellectuel anglais d’extrême-gauche, et donc peu susceptible de complaisance avec le fascisme, avait identifié dans cet unanimisme le retour du pétainisme dans la résurgence du moment historique du vote des pleins pouvoirs du 10 juillet 1940 sous les applaudissements de la classe politique française réunie à l’Assemblée nationale. Dénonçant avec ironie l’hystérie de la campagne électorale de l’entre-deux tours de 2002, il voyait dans l’élection de Jacques Chirac à 82% une prétendue restauration de l’honneur de la France, salie par l’ennemi de circonstance qu’était Jean-Marie Le Pen. Dans les deux cas, il s’agissait pour les élites d’éviter une catastrophe par un sursaut patriotique factice destiné à consolider en réalité le pouvoir des élites en place. Or, comme le remarque Perry Anderson, l’histoire se répète en tournant de la tragédie à la farce : il n’y avait nul danger d’une victoire de Le Pen en 2002. La suite fut une victoire écrasante de Chirac aux élections législatives, dépouillant ainsi les électeurs de gauche qui avait appelé à voter pour lui au nom du front républicain d’une représentation conséquente à l’Assemblée nationale, et lui ainsi accordant des "pleins pouvoirs" qu’il n’aurait jamais pu espérer sans l’appel au « front républicain ». Le résultat fut donc la consolidation de la majorité sortante, des élites de droite et de gauche derrière un unique champion.
Perry Anderson utilise une expression française pour qualifier ce moment : ce fut une « journée des dupes ».
Et c’est exactement ce à quoi nous sommes en train d’assister.
En effet, la justification donnée au recours à la procédure de destitution de Donald Trump est la prétendue violence extrême qui aurait été celle des supporters de Donald Trump hier - tout comme, en 2002, il y avait un prétendu risque d'accès de l'extrême-droite à la présidence de la République.
Cet argument de la condamnation de la violence ne saurait tenir étant donné que l’unique mort de cette vraie-fausse insurrection armée est une supportrice de Donald Trump assassinée par la police, un fait sur lequel les médias n’insistent pas trop, parce qu’il vient gâcher le Grand Récit du péril fasciste.
Par ailleurs, notre cher président Emmanuel Macron, qui s’est fendu cette nuit d’une vidéo pour soutenir les élites américaines contre leur peuple au nom de "We believe in democraty" (rien n'est jamais trop gros), a sans doute oublié que la répression des Gilets Jaunes ordonnée par ses soins et exécutée par ses CRS a créé plus de blessés et de morts non seulement que la violence des Gilets Jaunes à laquelle elle était censée répondre, mais également, et de loin, que la violence des supporters de Donald Trump hier.
Par ailleurs, sur le plan des principes démocratiques, il faut nous attendre à un recul sans précédent des libertés politiques, notamment en France, avec la peur des Gilets Jaunes.
C’est le sens de la vidéo de Macron et de l’unanimité de la classe politique française : créer une union de caste pour se drigier vers un vote large de lois répressives antidémocratiques.
C’est au nom de cette démocratie dont ils prétendent se faire les défenseurs qu’ils voteront de nouvelles restrictions de liberté.
On pourrait résumer ainsi : « pour que le peuple ne vole pas la démocratie, volons-la lui de manière préventive ! »
C’est ainsi que nos démocraties reculent : non pas à cause des insurrections comme celles de la prise du Capitole ou des électeurs de Jean-Marie Le Pen, mais à cause de la réaction des élites à ces événements et leur volonté de reprendre le contrôle de la situation d’une main de fer.
Toute la comédie démocratique consiste à vous faire approuver ce recul de la démocratie par peur de prétendus fascistes à tête de vache.
Le péril pour la démocratie n’est donc peut-être pas là où on le croit.
Tout comme la violence - du côté des CRS de Macron en France, du côté des forces de sécurité du Capitole en Amérique.
L’unanimisme de la classe politique mondiale n’a donc pas pour cause un dégoût de la violence, mais de son usage, même modéré, par le peuple. Il s’agit d’éteindre à la racine toute possibilité de contagion d’un phénomène insurrectionnel.
Tout comme je l’avais affirmé cette nuit, c’est bien Trump qui est sorti gagnant de la prise du Capitole parce que ce fut une véritable démonstration de force et de détermination de ses soutiens. C’est uniquement parce qu’il a gagné cette bataille que les élites s’activent désormais pour le destituer.
L’enjeu pour la caste est de reprendre la main.
Et cette main, elle est facile à reprendre : d’abord, l’élection de Joe Biden a été certifiée par le Congrès et il est le président élu disposant par ailleurs du Sénat et de la Chambre des représentants ; ensuite, les médias sont hostiles sans discontinuer à Trump depuis 2016, ils ont le monopole de la parole publique et en usent comme d’un quatrième pouvoir ; enfin, les apparatchiks du parti républicain ont toujours été hostiles à Trump et ne se sont rangés de son côté que tant qu’il était président, c’est-à-dire tant qu’il y avait des postes à prendre, entre son élection en 2016 et sa défaite en 2020.
Cette dernière trahison des républicains, qui n’ont pas vu venir Trump en 2016, qui pour certains se sont même prononcés contre lui à l’époque en déclarant voter pour Hillary Clinton, est une condition nécessaire pour qu’aboutisse la procédure de destitution contre Donald Trump. Les rumeurs relayées par les médias indiquent que des ministres même du gouvernement de Trump pencheraient en faveur de sa destitution. Qu’est-ce que c’est, si ce n’est le baiser de Judas ?
La tentative de destitution de Trump ce 7 janvier est la tentative désespérée de masquer sa victoire du 6 janvier 2021.
Les réactions à mon affirmation de cette nuit selon laquelle Trump est le grand gagnant de cette prise du Capitole se sont heurtées à l’incompréhension, qui pourrait se retrouver confortée par la destitution potentielle de Trump.
L’idée naïve est la suivante : un président destitué ne peut pas être victorieux.
C’est là l’erreur, née d’un rapport superficiel à la politique et à l’histoire.
Les exemples ne manquent pas où des hommes, soit emprisonnés, soit abandonnés par leurs semblables, soit carrément tués, ont pourtant été retenus par l’histoire comme des vainqueurs, parce que malgré leur mise à mort, réelle ou symbolique, ce sont leurs idées qui ont fini par s’imposer.
L’archétype de cette manière paradoxale de triompher est la cruxifixion du Christ qui, trahi par les siens, fut livré, jugé et exécuté. La thèse qui fonde le christianisme est que sa mort, la mort de cet innocent, accomplit le salut du genre humain par le rachat de ses péchés. Sans avoir besoin de souscrire à cette thèse hautement religieuse, une simple observation peut relever le fait que, malgré son exécution publique, 2000 ans plus tard, le christianisme est la religion la plus répandue au monde et que l’empire romain s’est effondré.
Le Christ n'est-il donc pas sorti victorieux de son rapport de force avec Ponce Pilate ? Sa mort n'aura été que l'accélérateur de sa victoire, et s'il était resté en vie, peut-être n'aurions-nous jamais entendu parler de lui.
Affirmer que la prise du Capitole est un triomphe pour Donald Trump n’est donc pas incompatible avec sa potentielle destitution, ou le fait qu’il soit mis prochainement en prison.
Pourquoi ?
Parce que sa victoire n’est pas électorale, elle ne s’est pas non plus jouée dans la rue par la prise du pouvoir que les supporters de Trump n’ont jamais visée, sinon les débordements auraient eu une toute autre ampleur.
La victoire de Trump est politique - ce pour quoi elle n’est pas électorale, ce que nous avons tant de mal à comprendre puisque nous avons réduit la vie démocratique à la procédure de l'élection.
Cette victoire, c'est que désormais toutes les élites politiques occidentales craignent que les peuples ne se soulèvent contre elles.
Cette crainte les hante.
Le Manifeste du parti communiste de Karl Marx et de Friedrich Engels commence par ces mots : « un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme ».
Aujourd’hui, un spectre hante l’Amérique : c’est celui du trumpisme.
Et plus généralement en Occident, celui du populisme.
La tentative de coup d’État contre Trump est une tentative de faire disparaître ce spectre.
Mais le propre des spectres est d’être insaissisables…
*
Toutes les insurrections armées de l'histoire ont été suivies par une période de Réaction violente, passant par la répression physique et judiciaire des insurgés, afin, non pas seulement de rétablir l'ordre compris comme statu quo, mais d'obtenir la soumission de ceux qui se sont rebellés la veille.
C’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui.
Et cela passe d'abord par la manipulation médiatique qui impose une compréhesion biaisée des événements.
L’empire, donc, contre-attaque… mais il a en face de lui une masse aussi nombreuse et insaisissable qu’un spectre : le peuple.
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