Venezuela : La poupée qui dit oui, la poupée qui dit non
Tel un boxeur, Hugo Chávez met son titre en jeu dimanche prochain 15 février. Il lance un référendum qui concerne rien de moins que son avenir politique. Et celui du Venezuela.
L’enjeu consiste à amender l’actuelle constitution, qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux périodes. Sans cet amendement, Hugo Chávez devrait nécessairement laisser sa place à quelqu’un d’autre en 2012, à la fin de son actuel mandat. Trop limitatif à son goût. Aussi se lance-t-il une nouvelle fois dans l’arène pour poser aux Vénézuéliens une question simple : êtes-vous d’accord de ne plus limiter le nombre de mandats à deux et de permettre au président de se représenter aux élections autant de fois qu’il le juge utile ?
Il ne s’agit donc pas, comme le présentent les mal-intentionnés, de permettre à Hugo Chávez d’être président à vie, puisque, si l’amendement est accepté, il devra continuer à se présenter aux élections… et les gagner ! Cela dit, reconnaissons qu’en Amérique latine comme ailleurs (plus qu’ailleurs…), il existe un certain avantage à se trouver aux commandes au moment de se présenter à des élections (1). Mais l’emporter contre le pouvoir en place n’est pas impossible non plus, même dans le Venezuela de Chávez, comme l’a bien montré le référendum de 2007, gagné par l’opposition.
Denrée rare
Hugo Chávez veut se défaire de la limitation constitutionnelle des deux mandats. Pour quelle raison ? Parce qu’il a absolument besoin d’une denrée particulièrement rare en politique : le temps. En effet, il faut bien se rendre compte que le Venezuela se trouve au cœur d’un processus qui se veut révolutionnaire, dont l’objectif est de transformer radicalement les structures politiques, économiques et sociales du pays, rien de moins. Vaste programme qui touche à l’utopie (on peut discuter ad infinitum de la factibilité des révolutions), mais qui, en toute hypothèse, a besoin de beaucoup de TEMPS pour se réaliser. On ne transforme pas les tréfonds d’une société, on ne change pas l’humain (car au fond, c’est de cela qu’il s’agit) en cinq ans, en dix ans, en vingt ans. Chávez le sait : il veut donc du temps.
Et il le veut pour lui, pour sa personne. Car le processus en cours au Venezuela, contrairement à d’autres du genre, est extrêmement focalisé autour d’une personne, d’un leader : Chávez ! C’est comme si la révolution française avait commencé directement avec Napoléon… C’est d’ailleurs l’une des principales faiblesses de cette révolution bolivarienne : on ne sent pas, autour de Chávez, la présence d’une équipe, d’un collectif. C’est lui le leader, point c’est tout, et tout le monde l’accepte ainsi. Le PSUV (Partido Socialista Unificado de Venezuela), créé pour institutionnaliser quelque peu le processus en cours, reste politiquement effacé. Il n’est essentiellement qu’un appareil de transmission de directives venues du haut, c’est-à-dire du président. Aussi a-t-on parfois l’impression qu’en bon militaire, Chávez dirige son parti (ou même dirige son peuple, ce qui est plus grave !) comme on dirige une armée.
Nouveaux espaces démocratiques
Dans le contexte révolutionnaire qui est le sien, le Venezuela n’est déjà plus une démocratie comme les autres. À savoir une belle démocratie parlementaire toute propre dans laquelle les différents partis se trouvent dans une supposée égalité sur la case départ, prêts à jouer le jeu de l’ « alternance démocratique ». Ici, la « logique révolutionnaire » prévaut déjà sur la « logique démocratique ». Aussi ne faut-il pas s’étonner si les partisans d’une démocratie représentative de type occidental sentent que les dés sont en partie pipés : on se trouve déjà dans une logique qui n’est plus la leur, dans un autre système.
En contrepartie, dans ce système en devenir, la « logique révolutionnaire » a ouvert de nouveaux espaces démocratiques, qui ne sont pas ceux de la sacro-sainte alternance des partis au pouvoir. Ces nouveaux espaces, ce sont une multitude de formes d’expressions populaires, qu’elles soient institutionnalisées, comme les conseils communaux ; médiatiques, comme les radios ou les télévisions communautaires ; ou encore spontanées. Elles ne sont pas toujours, d’ailleurs, contrôlées par le parti ou le pouvoir, et c’est tant mieux. Plus que dans les structures, plus que dans le parti, c’est là que réside que la véritable force du processus, la vraie « révolution », la promesse d’avenir.
Plus jamais comme avant
Car s’il y a un élément, un seul, qu’il faut sauver du chavisme, c’est bien celui-là : l’empowerment des bases populaires, dans les quartiers, dans les zones rurales, dans les usines,… Cette grande prise de conscience sociale de millions de personnes qui, avant Chávez, restaient soumises, et sans grand espoir de voir changer leur condition de soumises, en face d’un statu quo social et économique imperméable et inéluctable. Or, voilà que ce statu quo, après dix ans de chavisme, n’existe plus. La pyramide sociale a littéralement été secouée. C’est sans aucun doute l’actif historique le plus important du processus bolivarien. Il peut faire espérer que, avec Chávez ou sans Chávez, le Venezuela ne sera plus jamais comme avant.
Bien sûr, ce grand chambardement fait grincer des dents, au Venezuela comme à Washington. Comme dans tout mouvement social radical, un certain nombre de puissants ont perdu des privilèges, des facilités, des commodités… Ils n’ont pas dit leur dernier mot. On se trouve ici clairement au cœur d’une lutte qui –appelons-la par son nom– est une vraie lutte des classes. L’opposition au chavisme reste puissante et bénéficie d’appuis non négligeables. Idéologiquement, elle essaime dans de nombreuses strates de la population, y compris parmi les moins favorisées. Mais malheureusement pour elle, et heureusement pour Chávez, elle manque de consistance politique. Elle ne possède ni leader affirmé ni programme cohérent.
Cri passionnel
En réalité, l’opposition ne sait pas comment prendre le taureau Chávez par les cornes. C’est ainsi que dans les actuelles circonstances du référendum, elle se contente de dire No es no [non, c’est non], pour rappeler que lors du référendum de décembre 2007, portant cette fois-là sur un changement substantiel de la constitution, le non l’avait emporté. Message de portée limitée, donc, face à un Chávez qui, lui, a une vision pour le pays (et quelle vision !). Divisée, s’étendant de l’extrême-droite la plus rance à certaine gauche intellectuelle en passant par toutes les variétés de bourgeoisies et petites bourgeoisies, l’opposition a toutes les difficultés du monde à aller plus loin que se réunir autour d’un simple cri passionnel « Non à Chávez ! ». Un peu court quand même…
Cela dit, les chavistes jouent également sur le registre des passions. Leur thème préféré pour le référendum : que perdrons-nous si notre président n’est plus là en 2012 ? Et d’égrener la liste des acquis sociaux (réels, pour la plupart) qui pourraient être perdus. Toutefois, en centrant tout sur le personnage Chávez, présenté comme le leader nécessaire, elle met également en évidence ce qui fait sa faiblesse : elle semble indiquer qu’il ne peut y avoir de chavisme sans Chávez. En définitive, ce serait l’attachement des masses à Chávez, voire leur amour pour Chávez, qui déciderait de l’avenir du processus. Un peu court aussi pour un processus qui se déclare révolutionnaire.
Oui ou non ?
Alors, oui ou non à Chávez le 15 février ? Les pronostics sont ouverts. Mais les camps sont formés depuis longtemps et il ne risque pas, cette fois, d’y avoir beaucoup de transfuges. Dans cette bataille, chacun s’adresse avant tout à ces troupes afin de les mobiliser face à cette nouvelle échéance référendaire. Car le vrai test, ce sera la participation électorale, la mobilisation des uns et des autres.
Étant donné l’enjeu, on peut d’ores et déjà assurer que la participation sera élevée. On peut également assurer qu’à l’issue du scrutin, le pays restera profondément divisé, presque fifty-fifty. Mais une chose est certaine : on ne peut pas assurer qui va l’emporter !
Dans ce référendum qui mobilise les passions plus que les raisons, dans ce face à face plus irrationnel que rationnel, comme presque tout ce qui touche à Chávez, il y aura en définitive des millions de poupées d’un bord qui diront oui et des millions de poupées d’un autre bord qui diront non. Il restera alors à compter les poupées de chaque camp… Et de ce résultat dépendra en grande partie l’avenir politique du Venezuela.
(1) C’est la raison essentielle pour laquelle a été instaurée dans de nombreux pays, y compris aux États-Unis, la limitation du nombre de mandats présidentiels. Remarquons quand même que cette limitation n’existe pas dans le régime semi-présidentiel français, ni dans la plupart des pays ayant un régime parlementaire, où les premiers ministres peuvent se succéder à eux-mêmes autant de fois qu’ils remportent les élections.
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