Vénézuela : quand le chavisme se met en danger

On assiste en ce moment à un tournant dans l'histoire récente du Vénézuela : les évènements qui ont suivi l'élection présidentielle du 14 avril dernier placent le pouvoir en situation délicate et le pays dans le chaos le plus total.
Pour rappel, les résultats officiels ont donné pour vainqueur le candidat du PSUV Nicolas Maduro, désigné par le défunt leader Hugo Chavez comme son successeur, face au candidat de l'opposition libérale Henrique Capriles, par 50,6% des voix, soit 225 000 voix d'avance sur son adversaire.
Des résultats que l'on s'est empressé de contester du coté de Capriles, en dénonçant des irrégularités et en demandant un nouveau recomptage des voix, d'abord accepté par Maduro puis refusé par le Conseil National Électoral. Ce même CNE finit par céder sous la pression en proposant un recomptage partiel qui ne satisfait toujours pas le camp d'Henrique Capriles.
Le chaos s'installe donc dans le pays de Bolivar et des manifestations ont lieu dans les jours qui suivirent l'élection, faisant 9 morts et des dizaines de blessés.
La situation au Vénézuela est loin d'être anecdotique et dénote une crise au sein du chavisme que le décès de son leader n'a fait que mettre au goût du jour. La décision de Chávez de désigner son vice-président Nicolas Maduro comme son successeur a conduit le parti socialiste à nommer ce dernier Président intérimaire, alors que ce poste revenait constitutionnellement à une autre forte tête du chavisme, le président de l'assemblée Diosdado Cabello. Ceci peut être interprété comme un désaveu pour celui qui avait déja assuré l'intérim lors du coup d'Etat avorté d'avril 2002, et qui, avec Maduro, furent les deux principaux compagnons d'Hugo Chavez, avec lequel ils formèrent le Mouvement Cinquième République (MVR) qui deviendra ensuite le PSUV (Parti Socialiste Unifié du Vénézuela) après sa fusion avec d'autres partis de gauche. En réalité, Cabello, en plus de faire partie d'une aile moins "socialiste" du chavisme, a perdu du crédit auprès de Chávez depuis son échec en 2008 aux élections régionales, perdant ainsi son poste de gouverneur de l'Etat de Miranda au profit de...Henrique Capriles. Hugo Chávez a donc préferé trouver un autre leader et son choix ne pouvait se porter que sur l'autre figure du chavisme, Nicolas Maduro.
Seulement, Maduro, ex-chauffeur de métro et syndicaliste d'inspiration maoïste, est décrié dans son propre camp et, malgré des postes de président de l'assemblée et de ministre des affaires étrangères, il n'occupe des fonctions de haut rang politique que depuis 2005, et ne dispose donc clairement pas de l'expérience nécessaire pour succéder à une telle figure politique que Hugo Chavez. Mais le chavisme dispose-t-il réellement de leaders capables de succéder au Comandante ? La désignation de Nicolas Maduro semble davantage révéler un choix par défaut qu'autre chose, car l'ex-dirigeant vénézuelien avait pris le soin de placer ses hommes de confiance aux postes clés du parti, sans que la compétence soit forcément le critère principal. Qui d'autre pouvait donc assurer sa succession si ce n'est ses proches collaborateurs Maduro et Cabello, son gendre et nouveau vice-président Jorge Arreaza, ou alors, quitte à privilégier les hommes de confiance, son frère Adan, gouverneur de l'état de Barinas depuis 2008 ?
Résultat : on sent aujourd'hui un manque criant d'expérience et/ou de compétence du coté du clan Maduro, et la gestion de la protestation montre clairement que le gouvernement est dépassé par les évènements. En choisissant de répondre par l'affrontement médiatique et la violence verbale, comme le montre la réaction surréaliste et totalement incontrôlée de la ministre des Affaires pénitentiaires Iris Varela s'adressant à Henrique Capriles, le gouvernement révèle à la fois sa fragilité mais aussi son manque de maîtrise face aux évènements. Il s'agit tout simplement d'un aveu de faiblesse et de crainte de la part d'un gouvernement qui ne réussit pas à garder la sérénité nécessaire dans ce genre de situation, et qui joue ainsi le jeu de l'opposition.
Car il s'agit bien là d'une stratégie assez classique dont use le clan Capriles. Ce dernier a d'ailleurs fait appel au maître en la matière pour gérer sa campagne : Juan José Rendón Delgado alias JJ Rendón, consultant et stratège politique des plus réputés en Amérique Latine, qui a notamment géré la campagne électorale victorieuse du colombien Juan Manuel Santos en 2010. Il n'en est donc pas à son premier fait d'armes, d'autant plus que comme il s'en vante lui-même, sur 27 campagnes auxquelles il a participé, 25 ont été victorieuses. Sa dernière défaite remonte aux élections présidentielles mexicaines de 2006, au cours desquelles il a offert ses services au candidat du PRD Andrés Manuel López Obrador, battu à 0,57% près par son rival conservateur Felipe Calderon. Il est à remarquer que cette année là déjà, Obrador avait vivement contesté les résultats officiels en demandant un recomptage total des voix, ce qui n'avait pas été accordé par les instances mexicaines car la législation ne le prévoyait pas. Après un recomptage partiel, l'élection de Felipe Calderon avait finit par être confirmée. Non seulement cette stratégie est donc des plus classiques, mais ce fameux JJ Rendón a donc l'habitude de prodiguer les mêmes conseils sur l'attitude à adopter en cas de défaite de son candidat.
Aujourd'hui, le gouvernement vénézuelien peut se targuer d'avoir de son coté l'avis de 173 observateurs internationaux de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), de l’Union interaméricaine des organismes électoraux (Uniore), du Marché commun du sud (Mercosur) et du Centre Carter, notamment. Ainsi, le chef de la mission de l'Unasur, Carlos Alvarez, a été témoin « d’un ample exercice de citoyenneté et de liberté du peuple vénézuélien », et a demandé que soient « respectés les résultats » émanant du CNE, « unique autorité compétente » en matière électorale. Le président de l'Uniore, Roberto Rosario, a lui salué « l'efficacité, la transparence et la sécurité » du processus électoral.
Maduro et le CNE ont également la loi de leur coté puisque le recomptage total des voix réclamé par Henrique Capriles est tout simplement illégal, la loi prévoyant seulement un recomptage partiel de 54% des voix.
Les successeurs du Comandante ont donc intérêt à faire preuve de plus de maîtrise s''ils veulent faire perdurer le chavisme, autrement celui-ci est voué au déclin. Car ayant enregistré son pire score depuis son accession au pouvoir, l'ex-MVR aujourd'hui PSUV devra probablement à l'avenir accepter de négocier avec l'opposition pour se maintenir au pouvoir car, au vu des évènements actuels, de nouvelles élections à court ou moyen terme ne sont pas à exclure.
par Lahcen Senhaji
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