Venezuela : qui a éteint la lumière ? L’affaire Derwick
Derwick associates, une entreprise microscopique, jeune et totalement inexpérimentée, fondée et administrée par de jeunes truands de très haut vol, et faisant travailler de grandes entreprises étasuniennes, avait été désignée, de façon sans doute crapuleuse, pour livrer la bagatelle de 11 centrales électriques (voire plus) au Venezuela, lesquelles centrales devaient être mises en service depuis des années à présent mais ne produisent toujours rien ou presque.
Venezuela : qui a éteint la lumière ?
L'affaire Derwick
J'ai découvert presque par hasard ce document explosif :
Cette plainte déposée devant la juridiction de New-York comporte de multiples révélations quant à une énorme affaire qui, bien qu'inconnue de nos concitoyens, a soulevé un tollé au Venezuela. Au-delà de l'ampleur de la magouille et des conséquences économiques, cette affaire revêt une très grande importance politique, car elle pourrait expliquer en grande partie pourquoi le Venezuela subit régulièrement des coupures de courant.
En résumé : Derwick associates, une entreprise microscopique, jeune et totalement inexpérimentée, fondée et administrée par de jeunes truands de très haut vol, faisant travailler de grandes entreprises étasuniennes, avait été désignée, de façon sans doute crapuleuse, pour livrer la bagatelle de 11 centrales électriques (voire plus) au Venezuela, lesquelles centrales devaient être mises en service depuis des années à présent mais ne produisent toujours rien ou presque.
Quatre de ces centrales avaient été commandées par PDVSA (entreprise nationale de pétrole, qu’on ne présente plus). La prise de contact sinon l’attribution serait passé par Nervis Villalobos, ex-Ministre de l’Énergie. Cinq centrales voire plus avaient été commandées à Derwich associates par CORPOELEC. Outre des rumeurs de corruption de cette entreprise, notamment sous le contrôle du frère de Hugo Chavez, Otto Reich désigne, dans cette affaire, Javier Andres Alvaro Pardi, fils de Javier Andres Alvaro Ochoa, ancien Ministre du développement électrique. Enfin, deux de ces centrales étaient destinées à Corporacion Venezolana de Guayana. D’après Otto Reich, le dossier serait passé par Rodolfo Sanz, Ministre des industries de matières premières et des mines.
Le plaignant fait état de surfacturations de plus 200%, pour 2.9 milliards de dollars.
Il parle d’années de retard. Aucun watt n'aurait été produit en 2013.
D’après lui, les capacités de production réelles sont de l’ordre de la moitié de la puissance affichée au contrat.
Il dénonce l’incompétence complète des accusés. Deux d’entre eux avaient 23 ans et 29 ans quand ils ont monté la boîte. Il parle de ressources totalement sans rapport avec des projets de cette taille.
D’après lui, il n’y a pas eu d’appel d’offre.
Il pointe le problème de la réputation des US… (et aussi le fait que la situation est très inconfortable pour certains membres du régime vénézuélien). Il faut dire que Derwich associates, qui n’allait évidemment pas concevoir, produire et installer les centrales eux-mêmes, ont tout sous-traité à des entreprises étasuniennes. C’est notamment le cas avec ProEnergy Services, basée dans le Missouri et exploitant d’une licence établie à New York. Voir ci-après.
Un détail particulièrement intéressant (pages 43 – 44) : les accusés ont été informés d’un rendez-vous entre Otto Reich et Eligio Cedeño, un représentant de Banco Venezolano, banque vénézuélienne notoirement anti-Chavez (et peut-être mouillé dans la tentative de coup d’État contre Chavez, mais c’est une autre histoire).
Le journal Forbes (et aussi, dans la foulée, le Huffington Post) auraient subi des pressions de la part de Derwich associates pour ne rien publier de ce qu’ils savaient à son sujet et au sujet de ces contrats.
Selon les termes du plaignant, “La conspiration des accusés a été conçue aux États-Unis, orchestrée depuis les États-Unis, et implique de manière prédominante des entreprises des États-Unis“. Pour commencer, d’après ce qu’ils écrivent eux-mêmes dans les documents officiels, Derwick Associates est une entreprise étasunienne. Côté conseil, on trouve notamment le groupe Volkov Law Group qui appartient au groupe d’entreprises Volkov Energy Consulting Group basé à Washington, D.C. Côté construction, les accusés s’appuient fortement sur plusieurs grandes entreprises basées aux USA, incluant General Electric, Pratt & Whitney et ProEnergy Services, pour la fourniture de matériels et de services requis pour la construction des centrales énergétiques. Enfin, toujours d’après Otto Reich, les accusés ont recours aux services de J.P. Morgan et de Davos Financial pour “rapatrier” leurs profits illicites (parlant de dynamique impérialiste, c’est à dire de corruption en haut lieu, voir page 52 et suiv., encore un curieux “fliquage “- plus étonnant que jamais – en amont, côté J.P. Morgan).
Je n'aborde pas les autres détails forts croustillants de cette affaire, je vous invite à lire le document.
Inutile de conclure, je crois. La prochaine fois qu’on vous fait le coup… Par exemple, le baratin ordinaire de celles et ceux dont l’ambition, toute théorique et rhétorique, est essentiellement de démontrer que le socialisme, ça ne marche pas, jamais — je dis ça, il n’est évidemment pas dans mes intentions de chercher à démontrer le contraire, bien plutôt de vous montrer que ce débat n’a pas grand chose à voir avec les véritables causes des réussites et des difficultés de ce pays, comme d’autres (Le socialisme dans un seul pays… vous diraient certains, passons).
Un retour de mon copain de Caracas :
L’affaire Derwick est un merdier total. C’est de la corruption très éhonté qui mêle toute la classe politique vénézuelienne, chaviste ou pas. On les appelle les bolichicos. Il y a un blog (éteint), qui en parle pas mal : https://settysoutham.wordpress.com/tag/derwick-associates/
Joli melange avec pas mal de “chavistes” s’ayant sucré sans pudeur. Côté opposition, Henry Ramos Allup, le président de l’Assemblée Nationale, est marié à Diana D’Agostino, soeur de Francisdo D’Agostino, qui est un associé de Derwick.
Voir aussi ce blog, qui publie une très grande quantité d'informations et de données relatives à l'affaire : http://cryptome.org/2015/06/ve-us-corruption.htm
Dans un registre proche, voir aussi : http://www.tdg.ch/economie/Le-Venezuela-la-nouvelle-epine-des-banques-suisses/story/12885480?utm_medium=twitter&utm_source=twitterfeed
Après avoir lu ce document, ou du moins mon résumé, il est sans doute également très instructif de voir le portrait que le Réseau Voltaire fait du plaignant, Otto Reich. Résumé : "Pour imposer son ordre en Amérique latine, George W. Bush a fait appel à un spécialiste inflexible de la contre-révolution, Otto Reich. Malgré les protestations de tous les États latino-américains et du Sénat, il en a fait son émissaire spécial dans le continent. L’homme a un passé chargé : planificateur de déstabilisations, concepteur de propagande, protecteur de terroristes et organisateur de coups d’État. En outre, joignant l’utile à l’agréable, il promeut les intérêts de ses clients personnels comme Bacardi et Lockheed." ) En un mot, parlant d’impérialisme “US”, il n’est assurément pas un enfant de chœur lui-même… mais c’est sans doute pour cela qu’il est si bien renseigné. Du reste, si, comme il semble, Otto Reich “balance tout” (je n’ose pas imaginer ce qu’il a préféré ne pas ajouter…), c’est que sa petite entreprise a lui a été gravement salie par les grands bandits qu’il dénonce.
Si la propagande peut parfois recourir à des mensonges et des trucages éhontés (1), relayés sinon orchestrés par des réseaux informels de péripatéticiens idéologues journalistes (2) et préparant le public à des invasions de plus en plus franches opérations de sauvetage humanitaire et autres coups d'État fermes ou larvés campagnes de restauration de la démocratie (3), sa meilleure arme, surtout lorsque les dossiers sont bien gros et trop évidemment scandaleux, et plus encore lorsque la papatte de l'empire est trop directement perceptible, consiste évidemment à n'en point parler du tout.
L'affaire dont je vous ai parlé ici était assurément destinée à subir un tel traitement par la loi du silence, vu qu'elle combine ces caractéristiques. D'abord, le montant de l'escroquerie et ses conséquences sont colossaux. Ensuite, loin d'être passée totalement sous le tapis dans le pays qui en est victime, le Venezuela, l'affaire y a conduit à un vaste scandale, touchant des responsables de tous bords, auxquels on a déjà attribué un sobriquet : les Bolichicos. Enfin, elle implique directement et profondément des entreprises étasuniennes, et elle a même déjà été portée, donc, devant la justice à New-York.
Ainsi, même si de hauts responsables vénézuéliens supposément "bolivariens" ("socialistes") sont vraisemblablement mouillés (des figures de "l'opposition" aussi), il serait difficile de nous en parler (sans parler de nous la jouer sur le mode de la grosse ficelle idéologique) : il sauterait vite aux yeux que l'impérialisme "étasunien" est une fois encore "à la manette" - avec les guillemets, disons, car la formule pourrait sembler très inappropriée à ceux qui ne comprennent pas ce qu'est l'impérialisme.
(1) J'avais fait quelques décryptages ici.
Au sujet des rayons vides dans les magasins, qui a fait s'agiter quelques uns par ici comme ailleurs, il me parait douteux, lorsqu'il n'y a soi-disant qu'à ce baisser pour trouver des exemples réels, qu'il soit nécessaire d'en fabriquer de toutes pièces... Voir par exemple :
http://vivavenezuela.over-blog.com/2016/04/venezuela-la-photo-des-rayons-vides-etait-truquee.html
http://www.gizmodo.co.uk/2015/06/5-more-viral-photos-that-are-totally-fake/
http://www.voltairenet.org/article182249.html
Forme plus subtile de trucage d'images, on trouve aussi, ça et là, des images, parfois des vidéos, montrant de longues files d'attente... qui n'ont rien à voir avec des magasins, et où personne n'a d'ailleurs l'air impatient ou préoccupé. Ne parlons pas d'histoires, racontées même sur Agoravox, de gens mangeant les chiens errants à Caracas (il n'y en a pas plus qu'à Paris, de chiens errants)... ou de la fabuleuse histoire d'un gouvernement qui, pourtant incapable de payer ses propres billets à l'entreprise qui les fabrique, arrive à pourvoir chaque supérette et chaque revendeur de rue en lecteur d'empruntes digitales, géniale solution pour contingenter la bouffe (il y a des gens qui croient que tout est à ce point administré là-bas)...
(2) On ne s'étonnera donc pas qu'elle n'ait jamais été effleurée par la fine équipe, parsemée, au hasard, chez Associated Press, Bloomberg, au Wall Street Journal, chez Reuters, au Washington Post & co... ou parmi d'autres possibles agents surveillant voire trafiquant sous couverture, pour ne pas parler de relais plus lointains, et encore moins d'un de ces journalistes maison (je parle pour la France), agent retourné, ex-LCR, révolutionnaire meurtrier devenu pourvendeur de Chavisme au journal Le Monde (une fois n'est pas coutume : merci à l'agent Santerre).
(3) Voir par exemple, au sujet du cas brésilien récent.
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