Vénézuela : Révolution bolivarienne, demi échec ou demi réussite ?
Je vis depuis bientôt 2 ans au fin fond du Venezuela, dans un petit village de pêcheurs et d’agriculteurs. Étant arrivé dans le pays avec un léger apriori positif de sa politique, je vous fait part de mes découvertes, bonnes comme mauvaises de la révolution bolivarienne vue de l’intérieur.
Mon point de vue est forcément limité, car je suis loin des grandes agglomérations et je n’ai qu’une vision réduite de l’avant Chavez. Pour évoquer la révolution bolivarienne, j’ai choisi d’évoquer 3 points (éducation, insécurité et économie), j’aurai pu évoquer la politique intérieure ou internationale, l’industrialisation du pays, les infrastructures... mais il fallait bien faire un choix.
Éducation
Depuis plusieurs années, le gouvernement socialiste au pouvoir a mis en place des écoles publiques dans chaque village du pays, des collèges et des lycées sont accessibles à tous et des systèmes de ramassage scolaire sont en place et donnent une chance à chaque enfant (même dans les zones rurales reculées) d’avoir une éducation et de savoir lire et écrire s’il quitte tôt le système scolaire, et même de poursuivre des études secondaires s’il le souhaite. La scolarisation en école primaire est obligatoire. Ceci représente une réelle avancée et un bienfait du chavisme, même les adultes en profitent par le biais de missions d’alphabétisations ; de très nombreux adultes sont analphabètes dans les zones rurales, mais leur nombre tend à diminuer.
En revanche le contenu et le niveau de cette éducation nationale prête à discussion :
Créer autant d’écoles en si peu de temps pose un problème évident, la formation et le niveau des enseignants, qui est très variable d’une école à l’autre et d’une région à une autre. Le niveau des cours de science est assez élevé, mais le reste... Il est courant que des professeurs d’anglais aient appris la langue dans des livres et soient incapables d’avoir eux même une conversation dans cette langue, et qu’ils n’aient aucune idée de la prononciation exacte des mots. J’ai vu des bacheliers qui après 6 ans de cours d’anglais étaient incapables de conjuguer le verbe « être » au présent... Le contenu des cours de philosophie a été remplacé en 2004 par le frère du président (alors ministre de l’éducation) par des cours de doctrine socialiste et nationaliste. En histoire-géographie le pays occupe une place très (trop) importante dans l’enseignement jusqu’au bac, les élèves n’ont que très peu de connaissance du monde et de son histoire. On se retrouve donc avec un système scolaire à plusieurs vitesses, entre les établissements privés de qualité et l’école publique.
Insécurité
LE gros point noir de la politique (ou de l’inaction) du gouvernement, en 10 ans de pouvoir, le nombre de crimes ne cesse d’augmenter chaque année. Les armes à feu sont en vente libre, les permis de port ne sont que rarement contrôlés.
Il est estimé (pas de chiffres officiels) que presque 90.000 personnes ont été assassinées dans le pays depuis 10 ans selon différentes ONG. Même si la grande majorité des meurtres sont des règlements de compte ou des vols ayant mal tournés, le chiffre a de quoi être inquiétant.
Depuis sa victoire au dernier Référendum, le président Chavez a enfin accepté de répondre aux questions touchant l’insécurité, et s’est engagé à s’occuper de ce problème (qu’il avait jusqu’à lors nié).
Un des gros soucis du pays est sa police, il n’y a pas de police nationale, seules la police municipale et la Guardia Civile (proche de la gendarmerie) assurent la sécurité du pays. La police est corrompue, tout ou presque peut toujours « s’arranger » contre quelques Bolivars (monnaie locale), de la conduite sans papier, à la possession d’arme ou de drogue (même dans des quantités importantes).
L’autre grand problème de la police, est qu’elle est nommée par le gouvernement local (Alcadia), c’est à dire qu’à chaque élection « municipale », si l’opposition passe, les forces de l’ordre sont remplacées du jour au lendemain, et les policiers en place se doivent d’être reconnaissants envers leurs employeurs, et sont priés de fermer les yeux quand on le leur demande.
Économie, agriculture et inflation
Il est impossible de dissocier ces 3 points. En Janvier 2008, le gouvernement lance une nouvelle monnaie, le Bolivar Fort (BsF) qui remplace le Bolivar (VEB), 1 BsF = 1000 VEB.
Cette nouvelle monnaie a deux objectifs officiels, limiter la contrefaçon avec des billets mieux protégés et surtout donner plus de force et de crédibilité internationale à la monnaie du pays. Mais, comme pour le passage à l’euro en France, cela a un effet désastreux sur l’inflation qui n’avait pas besoin de ça (30% selon le ministère de l’économie en 2008 contre 20% en 2007).
L’agriculture vénézuelienne est très en retard sur tous ses pays voisins, et le pays importe plus de 60% de sa nourriture, un comble pour un pays ou les espaces verts ne manquent pas et où tout pousse, mais il est vrai qu’il est plus facile d’acheter des tomates, des oignons, de la viande et du riz à ses pays voisins et de les échanger contre des pétrodollars... jusqu’au jour où la crise mondiale arrive... en quelques mois le baril de brut passe de 150$ à 35$. Cette crise, qui aux dires du président ne devait pas inquiéter les vénézueliens a favorisé l’inflation des produits d’alimentation de base, et même les prix régulés par l’état ne sont plus respectés dans le pays et les MERCAL (enseigne de magasin d’état à prix réduits) ne sont pas toujours approvisionnés. Cette crise peut avoir des répercussions favorables sur l’agriculture du pays, les agriculteurs et le gouvernement tentent dorénavant de sortir de la monoculture du mais et de certaines racines (ignames, okumo,...), afin que le pays puisse être auto suffisant. En espérant qu’il ne soit pas trop tard.
Le gouvernement a lancé en 2006 un grand plan agricole pour que le pays devienne auto suffisant, mais une fois de plus, l’argent a été débloqué sans aucun contrôle, de nombreux propriétaires terriens des états Amazonas et Apure ont profité de ces crédits gouvernementaux, mais n’ont pas planté la moindre graine...
Le deuxième gros problème de l’agriculture vénézuelienne est la transformation, comment se peut il que le 2e producteur de cacao du monde (derrière le Cameroun) ne produise aucun chocolat (les seuls produits sont le faits de petits artisans, et les quantités sont dérisoires). Toute la production des fèves de cacao est envoyée en Europe ou en Amérique du nord afin d’y être transformée puis une partie est renvoyée au Venezuela et est vendue avec l’appellation « chocolat Suisse » à un prix prohibitif.
Le problème du cacao n’est qu’un exemple, le poisson et certains fruits et légumes subissent aussi ce genre de traitement.
Il est aujourd’hui impossible de mesurer l’impact réel qu’aura le président Chavez sur l’histoire de son pays, mais il est déjà possible d’affirmer plusieurs choses : Ses politiques d’alphabétisation et de santé sont des réelles réussites malgré certains défauts. En revanche, le tout-financement par les pétrodollars et les aides publiques démesurées rencontrent leurs limites avec la crise, ce qui pourrait à moyen terme se retourner contre lui.
Jusqu’à présent sa politique économique, de sécurité intérieure et agricole sont de cuisants échecs reconnus même par ses plus fidèles partisans. Il lui reste 3 ans pour inverser la tendance avant de briguer un 3e mandat consécutif.
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