Vers plus de justice fiscale dans le monde ?
Face à la multiplication des récents scandales d'évasion fiscale déjà largement relayés par les médias ( Offshore Leaks, Panama Papers, Paradise Papers ) les journalistes du quotidien Le Monde (1) avec l'opération OpenLux révèlent les secrets du Grand-Duché du Luxembourg, paradis fiscal au sein de l'Union européenne, qui n'existe plus qu'au travers de son industrie financière. Ces investigations ont été permises grâce à une directive européenne votée en 2018 obligeant les Etats à créer des registres permettant d'identifier les propriétaires réels des sociétés offshore.
Quels enseignements peut-on en tirer ?
Les faits et les chiffres
Les flux financiers illicites transitant par les paradis fiscaux sont considérables et relèvent de failles intolérables à un moment où nous vivons une nouvelle crise économique mondiale engendrée par la Covid-19 et où les Etats nations manquent cruellement de ressources pour combattre les inégalités. Dans ce contexte difficile, l'ONG Tax Justice Network évalue à 427 milliards de dollars, soit 355 milliards d'euros le cout de l'évasion fiscale dans le monde. L'apport additionnel de cette enquête est d'avoir mis à jour pour la première fois la nécessaire régulation internationale de la fiscalité des personnes physiques habituées à se cacher derrière des sociétés écrans et autres montages juridiques sophistiqués, cascades de holding défiscalisées, trusts ou fondations. Sur les sommes que nous venons de citer, 182 millards de dollars résultent de l'action d'individus cachant biens et revenus non déclarés, hors de portée des applications nationales. De nombreuses familles fortunées françaises l'utilisent au travers de sociétés de patrimoine pouvant rester invisibles vis à vis de l’administration fiscale et créent des régimes fiscaux dérogatoires. Ce type d'investisseurs, depuis leurs comptes offshore, achètent des titres financiers qui accroissent les bulles... Il était grand temps que le débat s’élargisse à la gestion de fortune transfrontalière pour le compte de particuliers et soit mise au cœur du débat .
Qu'en est-il au sein de l'Union Européenne ?
Au moment où Bruxelles tente la voie d'une Europe puissance face à la compétition sino-américaine, il convient de rappeler une fois encore qu'il n'y aura pas d'équité fiscale sans une harmonisation des règles au sein des pays de l'UE. Au moment où Ursula von der Leyen souhaite adopter un plan de relance ambitieux pour que l'Europe retrouve sa place dans l'échiquier mondial, une solidarité européenne devrait émerger en surmontant la règle de l'unanimité des 27 pays qui octroie un droit de véto à n'importe quel Etat membre, obstacle à toute harmonisation fiscale. La fiscalité avantageuse de certains pays au regard de l'IS ( Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Chypre et Malte ) est contestée par les autres pays membres, mais pas remise en cause par les institutions. C'est ainsi que les Géants du numérique, au travers de leur activité dématérialisée, s'établissent physiquement dans ces territoires et créent une distorsion de concurrence envers les autres Etats.
A ce propos, Gabriel Zucman, interrogé par le quotidien Le Monde propose que certains pays dont « la France, l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie harmonisent leur taux d’impôt sur les sociétés, mais surtout prennent des mesures de compensation fiscale en direction des multinationales ». Rappelons à ce propos que le projet de la Commission européenne consistant à introduire une assiette commune consolidée pour l'IS ( ACCIS) qui remonte à l'année 2011 et représente un cadre fiscal sécurisé a été récemment repoussé à l'année 2026.
Enfin, un audit de la Cour des Comptes européenne réalisé en Janvier de cette année montre que la coopération fiscale internationale n'est pas assez efficace dans l'échange d'informations entre pays et pointe un montant de 190 milliards d'euros de pertes de recettes fiscales par an, somme non négligeable. La Cour souligne que la Commission n'a créé aucun indicateur de performance visant à mesurer l'efficacité de l'échange des informations fiscales et donne trois ans à l'institution pour remédier à ces dysfonctionnements.On peut se demander ici si la concurrence fiscale n'est pas un choix politique qui perdure au niveau des institutions de l'UE.
Qu'en est-il au niveau international ?
Nous avons déjà analysé les considérables avancées réalisées par le Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE sur la régulation de la fiscalité des entreprises internationales .
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-crise-de-la-covid-19-peut-elle-228504
A propos de la mise en place d'un impôt minimum mondial des multinationales, Pascal Saint Amans, son directeur interrogé par les enquêteurs du journal Le Monde indique que cela constituerait une avancée majeure en jouant « le rôle de filet de sécurité pour limiter la concurrence fiscale entre pays. » La victoire de Jo Biden, nouveau président des Etats Unis a relancé les négociations visant à « aboutir à un accord lors de la prochaine réunion des ministres des finances du G20, en Juillet, permettant à 100 milliards de dollars par an de rentrer dans les caisses des Etats ». Il ne reste plus qu'à parvenir à un accord politique. Une nouvelle fois, ce sont les services fiscaux de l'OCDE, des journalistes d'investigation, des ONG, OXFAM en France, quelques parlementaires, des représentants de la société civile qui contribuent à faire évoluer un système fiscal international obsolète et inéquitable, face à l'impuissance ou à l'absence de volonté des nations à le réformer, face aux économistes qui s'y sont très peu intéressés et à l'avidité sans limites de quelques-uns.
Pour aller plus loin signalons un court ouvrage clair et rigoureux décrivant l'ampleur du phénomène :
Les Paradis fiscaux, Christian Chavagneux – Ronen Palan, La Découverte
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