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Vers un délit humanitaire ?

Comment ne pas comprendre que la présence d’agents armés lors de ces opérations de sauvetage risquerait de déboucher sur un processus de militarisation qui ne ferait qu’ajouter un risque de conflits armés à la tragédie migratoire en Méditerranée ? Comment oublier que les ONG ont sauvé, à elles seules, plus de 40 % des migrants embarqués sur ces bateaux de fortune ?

Le gouvernement italien, avec la complicité de l’Union européenne, a décidé de soumettre les organisations non gouvernementales pénétrant sur ses eaux territoriales, dans le cadre des opérations de sauvetage de migrants, à un code de bonne conduite. Les interventions étant coordonnées par les garde-côtes transalpins, les organisations refusant de souscrire à ce code sont désormais exclues des futures opérations, ou du mois appelées à y jouer un rôle secondaire. L’une d’entre elles, battant pavillon allemand, a d’ailleurs vu son embarcation saisie par les autorités italiennes pour s’être aventurée en eaux siciliennes sans avoir préalablement adhéré à ce code de bonne conduite.

Parmi les clauses imposées aux ONG figure, notamment, l’obligation d’accueillir, lors des opérations de sauvetage, un agent armé sur leurs bateaux. Les deux raisons à cette résolution, invoquées par le gouvernement de M. Gentiloni, sont, d’une part, le besoin d’assurer la sécurité des opérations, et, de l’autre, la nécessité de lutter contre une complicité croissante entre les ONG et les réseaux de trafiquants. Il s’agit, dans les deux cas, de prétextes fallacieux visant, en réalité, à délivrer un message de fermeté à l’opinion publique italienne tout en désignant, dans le cadre d’une entreprise de diabolisation en acte depuis plusieurs mois, un ennemi responsable d’une vague migratoire orchestrée à dessein. Autrement dit : les ONG et les trafiquants, répondant à des motivations diverses, collaborent afin de faire débarquer en Italie le plus de migrants possible.

Au vu du contexte extrêmement tendu que connaît le pays, l’opinion publique n’est pas insensible à ce type d’argument coupablement anxiogène, voire criminogène. Or la situation de départ est relativement simple. Depuis plusieurs années, les mers italiennes sont submergées par des flots continus de migrants en provenance des côtes libyennes. Abandonnées à elles-mêmes par une Union européenne paralysée par une incapacité d’action consubstantielle à sa nature, ainsi que par les principaux états voisins recroquevillés sur leurs peurs et leurs égoïsmes, l’Italie, instable politiquement et économiquement, peine à gérer la situation migratoire. La répartition des primo-arrivants sur le territoire est défaillante. Les réseaux d’accueil, financés par l’état à hauteur d’un peu moins de quarante euros par migrant, sont gangrénés par la corruption, voire, pour certains, par le crime organisé. Les migrants, livrés à eux-mêmes, sont souvent exploités par des esclavagistes sans scrupules. Et je passe sur les questions de criminalité (viols, agressions, home-jacking, etc.) et de xénophobie (ratonnades, contre-agressions, etc.) dont chacun peut imaginer la recrudescence en pareille situation.

Survient, à ce stade, la conjonction de deux phénomènes politiques concomitants. L’utilisation cynique et criminelle de ce désastre par la Ligue du Nord, Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi donné une énième fois pour mort jusqu’il y a un an, et le Mouvement Cinq Etoiles de Beppe Grillo, victime lui aussi d’une dérive extrémisante sur le sujet. Résultat : le Parti démocrate de Matteo Renzi, battu au référendum constitutionnel de l’année dernière et largement défait lors des élections communales du mois dernier, décide, en prévision des scrutins à venir, de changer de position sur les sujets migratoires.

Car là réside l’unique horizon du lanterneau politique italien : les élections législatives de 2018. Le gouvernement de centre-gauche, de commun accord avec l’Union européenne, principale responsable de ce drame humanitaire, a opté pour une stratégie de criminalisation des ONG afin de flatter l’affect d’un électeur légitimement inquiet d’une situation hors de tout contrôle. Par quel moyen ? La création, de facto, d’un délit humanitaire (saisie des bateaux, etc.) et l’abandon d’un projet de loi visant à instituer, sous conditions, un droit du sol. Voilà donc les deux trouvailles du Parti démocrate et de son allié centriste pour venir à bout d’un phénomène historique, celui des migrations, dont la portée pour l’Italie est sans précédent.

Pourtant, cette fois encore, les choses paraissent relativement simples. Comment ne pas comprendre qu’en acceptant la présence d’agents en arme sur ses embarcations, une organisation comme Médecin sans frontières, par exemple, qui n’a pas ratifié le code de bonne conduite et dont la vocation est de sauver des vies humaines, renoncerait à ses principes fondateurs de neutralité et d’impartialité ? De même, comment ne pas comprendre que la présence d’agents armés lors de ces opérations de sauvetage risquerait de déboucher sur un processus de militarisation qui ne ferait qu’ajouter un risque de conflits armés à la tragédie migratoire en Méditerranée ? Comment oublier que les ONG ont sauvé, à elles seules, plus de 40 % des migrants embarqués sur ces bateaux de fortune ?

Le raisonnement est donc vicié. Car il va de soi que si des organisations sont coupables de collusion avec des trafiquants, même si l’intention de départ était de sauver des vies humaines, elles doivent être poursuivies et sanctionnées. Mais est-il pour autant raisonnable d’alimenter un climat de suspicion généralisée qui débouchera sur un accroissement de la tension sociale ? Les flux sont inévitables. Comme l’est la nécessité d’organiser un accueil digne et équitablement réparti des migrants sur le territoire. Ce qui n’empêche évidemment pas l’analyse individuelle des demandes d’asile et, le cas échéant, l’éloignement du territoire. L’Italie ne peut accueillir tous les migrants. Mais sauver des vies humaines et traiter rigoureusement les demandes d’asile sont deux choses différentes.

De même, le Mouvement Cinq Etoiles et le Parti démocrate devaient-ils se dénaturer au point de ne plus vouloir accorder la nationalité d’un enfant né en Italie d’au moins un géniteur disposant d’un droit de séjour définitif, dans le seul but de récolter les fruits de leur droitisation lors du scrutin de 2018 ? La tactique doit-elle toujours primer sur la vision ? N’est-il pas évident qu’ajouter le mal-être identitaire à la pauvreté économique chez ces jeunes issus de l’immigration, présents qu’on le veuille ou non sur le territoire, risque de déboucher sur un cocktail explosif ? Au lieu d’amalgamer immigrés légaux et migrants fuyant clandestinement les côtés libyennes, ne vaut-il pas mieux penser une intégration réussie, inclusive, non laxiste, conforme aux idéaux de cette République italienne née sur les cendres du fascisme ? Le passé, pourtant, surtout en Italie, devrait être source d’enseignement : la faiblesse morale des institutions fut, il n’y a pas si longtemps encore, la principale porte d’accès des pires aventures politiques que connut le pays.

 


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12 réactions à cet article    


  • leypanou 15 août 2017 09:35

    Médecin sans frontières, par exemple, qui n’a pas ratifié le code de bonne conduite et dont la vocation est de sauver des vies humaines, renoncerait à ses principes fondateurs de neutralité et d’impartialité ?  : croyez-vous vraiment à ce que vous écrivez là ?
    Vous ne devez lire que -vous le choix, il y en a plein- par exemple le WaPo ou Le Monde.


    • zygzornifle zygzornifle 15 août 2017 09:58

      Merkel a appelé à l’immigration de masse pour remplir ses usines a 4€ de l’heure et ses maternités , quelle se démerde maintenant avec tout le souk qu’elle a crée .....


      • mac 15 août 2017 11:55

        Je me permets d’avoir un esprit critique sur pour ce que l’on appelle les ONG.
        Pourquoi le fait d’être non gouvernemental te donnerait une sorte de blanc seing ?
        Non gouvernemental ne veut-il pas dire en dehors des états ?
        Supprimer l’état n’est-il pas le rêve des mondialistes ?
        Certaines ONG ne sont-elles pas financées par des mécènes pas franchement recommandables ?

        En tout cas cet afflue de migrants n’a pas l’air de beaucoup déranger certains grands patrons qui ont parfois soutenu ardemment les interventions au moyen orient et en Libye qui ont mené au chaos migratoire que l’on connaît.

        Quand l’auteur évoque à demi-mot le fascisme pour tacler une décision légitime de tout état à protéger ces frontières, ne tombe-il pas dans la facilité ?



        • DanielD2 DanielD2 15 août 2017 14:00

          « Les flux sont inévitables »

          C’est faux.

          N’importe quel état peut les arrêter en étant un peu ferme. Voir ce qu’à fait l’Australie ou ce qu’est en train de faire l’Amérique. Il suffit de ne laisser aucun espoir aux clandestins et, ho miracle, ils ne viennent plus, ils ne sont pas cons, qui va payer un passeur des milliers de dollars si il est sûr d’être renvoyé chez lui ?

          Alors bien sûr il faut pouvoir supporter les pleurnicheries des gauchistes et des libéraux qui vont crier au retour du nazisme, mais qu’ils aillent se faire foutre, on sait tous que cette immigration est voulue, financée et organisée par le grand capital, suffit de voir le rôle d’un gars comme Soros là-dedans. 


          • mac 15 août 2017 14:28

            @DanielD2

            Entièrement d’accord, il n’y rien d’inévitable et on ne me fera pas croire que tout ceci est un hasard.
            Les puissances occidentales doivent faire en sorte que ces pauvres gens puissent vivre chez eux décemment et c’est parfois ce qu’ils faisaient très bien avant qu’on aille y semer la zizanie au nom des droits de l’homme. Ce n’est pas en faisant venir la moitié de l’Afrique en Europe que l’on va régler les problèmes.
            Les droits-de-l’hommistes sont trop souvent les idiots utiles des grandes puissances financières et du grand patronat.


          • mmbbb 20 août 2017 15:45

            @DanielD2 800 millions d’aide aux clandestins verses au titre des soins medicaux C est comme Free ils ont tous compris Quant a nous le con tribuable francais qui est vraiment tres con de se faire saigner continuera de payer Je respecte les ONG qui ne sont comptables de rien .


          • genrehumain 15 août 2017 17:47


            Grazie,

            . Eccellente articolo.


            • Esprit Critique 16 août 2017 10:50

              Ce n’est pas a quelques trou du cul, fussent-ils regroupés sous le titre de pseudo ONG, de décider de l’avenir de l’Europe !

              Si vous êtes en accord avec cet article a l’eau de rose, et si vous croyez que pour se suicider il est normale de choisir un Pizzeria pleine plutôt qu’n mur en béton, allumé une bougies blanche sur le rebord de votre fenêtre !


              • lisca lisca 16 août 2017 14:59

                @Esprit Critique
                A l’eau de rose ou à l’eau écarlate ?
                Pas si innocent, le Sancho Pança sur sa mule de Troie.
                " Le passé, pourtant, surtout en Italie, devrait être source d’enseignement : la faiblesse morale des institutions fut, il n’y a pas si longtemps encore, la principale porte d’accès des pires aventures politiques que connut le pays.« 
                Vu l’article et le conditionnement subi par les Européens à ne se référer qu’à la seconde guerre mondiale historiquement, et à se faire accabler de moraline culpabilisante, on suppose que par »pire" l’auteur vise Mussolini, qui cherchait la prospérité pour les italiens et attaqua dur (et avec succès) les mafias siciliennes.
                Lui disparu, les mafias siciliennes s’emparèrent à nouveau de la péninsule. Elles sont historiquement liées aux sarrasins.
                L’auteur (si c’est bien lui) adore sans doute voir les Italiennes violées par les armées coloniales, comme en 45 ou 44, le peuple italien réduit à la misère ensuite, et même à la prostitution. Bravo l’artiste, on reste dans la tradition post-45. E pericoloso sporghersi trop par la portière, cependant.

                Il neige [du colon] sur le Lac Majeur.
                Les oiseaux-lyres sont en pleurs.
                https://www.youtube.com/watch?v=5vSTf-ZNAxw


              • Mazdak Teherani Mazdak Teherani 16 août 2017 15:46

                Les ONG doivent pouvoir opérer librement pour sauver les réfugiés en Méditerranée.


                • Legestr glaz Ar zen 16 août 2017 16:18

                  Vous écrivez : « Au lieu d’amalgamer immigrés légaux et migrants fuyant clandestinement les côtés libyennes, ne vaut-il pas mieux penser une intégration réussie, inclusive, non laxiste, conforme aux idéaux de cette République italienne née sur les cendres du fascisme ». 


                  Alors, la question qui se pose est : combien de migrants accueillir ? 10.000 ?100.000 ? 1 million ? 

                  « De 1,7 millions en 2006, le nombre de pauvres en Italie est passé, selon les estimations de l’Istat, à 4,7 millions en 2016. Les familles vivant en situation de « pauvreté absolue » s’établit à plus de 1,6 million, soit 7,9% de la population ».


                  La seule solution, pour éviter des drames humains en Méditerranée, c’est d’assurer des navettes d’Airbus A380 de la Libye ou la Tunisie vers l’UE. Avec 4 rotations par jour, nous sommes susceptibles d’accueillir 3400 réfugiés par jour, 100.000 par mois et 1.2 millions par année. Et, avec un peu de bonne volonté, si l’on affecte à ce transport 5 avions, ce n’est pas moins de 6 millions de réfugiés que l’on peut aider par année. 

                  Pourquoi ne pas penser une intégration réussie, inclusive, non laxiste, conforme aux idéaux ? C’est une bonne question. L’Afrique c’est seulement 1,2 milliard d’être humains. Combien sont candidats à l’immigration et à une intégration réussie ? C’est aussi une bonne question. 


                  • Zolko Zolko 20 août 2017 23:28

                    Ce n’est pas un délit humanitaire, mais un délit de trafic illégal de personnes sans papiers valables. Depuis quelques mois/ans, certains bateaux font exclusivement la navette entre les ports Italiens et les côtes Libyennes, sans aucune autre route : ce n’est pas du sauvetage en mer, mais du transport organisé de milliers de personnes. On peut légitimement se demander qui paye et qui en profite.
                     
                    Et en quoi l’étiquette ONG permettrait-elle d’échapper à la supervision par les pouvoirs publics ? Ce qui est incroyable, c’est que le héros des gôchistes modernes est un spéculateur capitaliste pourri qui était leur ennemi il n’y a pas si longtemps.

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