Foutaises...
"Face a l’intervention française en Afrique : Combattre notre propre impérialisme
Lundi 7 octobre 2013
L’impérialisme français est en net déclin mais, comme
le montre son intervention militaire au Mali, il continue de jouer un
rôle majeur – et ô combien néfaste – sur le continent africain.
Malheureusement, la grande majorité de la « gauche de gauche »
française ne s’y oppose pas, ou de façon tout sauf conséquente…1
La politique militaire et africaine de l’Etat
français est celle d’une puissance impérialiste qui a perdu beaucoup
d’envergure, qui a dû abandonner bien des positions, et qui est
aujourd’hui menacée dans la principale zone d’influence qui lui reste.
Une menace qui provient de l’instabilité nourrie dans le cadre de son
règne : crises de nombreux Etats clients, décompositions sociales
accélérées par les politiques néolibérales, montée des radicalismes
religieux… Mais aussi des ambitions présentes d’autres impérialismes
« classiques » (Etats-Unis, Canada…) et de nouvelles « puissances
émergentes » (ou émergées) : Chine, Inde, Afrique du Sud…
Outre les liens tissés depuis des décennies avec les
élites locales dans ses anciennes colonies d’Afrique, Paris peut encore
user et abuser de trois atouts maîtres :
- Le franc CFA qui, bien qu’arrimé à l’euro, demeure sous la tutelle de la Banque de France.
- Sa présence militaire permanente sur le continent
africain. Aucune autre puissance n’a dans cette région le réseau de
bases et la connaissance du terrain dont bénéficie Paris – aucune autre
ne peut (pour l’heure) intervenir aussi rapidement et décisivement.
- En France même, la marginalité des résistances à notre
impérialisme. Cette marginalisation de l’opposition anti-impérialiste
n’est pas nouvelle, facilitée qu’elle fut par le climat d’union
nationale en matière de politique africaine. Nous en avons eu de
nombreux exemples, parfois particulièrement terribles, comme en ce qui
concerne les complicités de l’Etat français dans le génocide des Tutsi
(et le massacre de Hutus progressistes) au Rwanda.
Nous en avons une fois encore l’illustration. Le
gouvernement accentue aujourd’hui son engagement militaire en Afrique,
où il conduit une guerre sous direction française (chose rare !). Il
prend une série de mesures pour préparer les interventions de demain… et
le tout passe comme un « non événement » – même semble-t-il pour une
grande partie de la gauche de la gauche.
.....
Impérialisme « humanitaire »
Cela fait maintenant longtemps – au moins depuis la crise
de désintégration de la Yougoslavie et l’Afghanistan – que nos
impérialismes occidentaux s’attaquent à des adversaires détestables
– qui parfois ont été leurs créatures (talibans). C’est à nouveau le cas
au Nord Mali vu l’influence et le pouvoir acquis par les
fondamentalistes religieux.
Nous ne nous sommes jamais rangés pour autant du côté des
impérialismes « démocratiques » (ni d’ailleurs de leurs opposants
dictatoriaux ou cléricaux fascisants). Parce que démocratiques, ils ne
le sont pas ; pas plus qu’ils ne sont efficaces sur le terrain du combat
contre les nationalismes xénophobes et les courants politico-religieux
d’extrême droite […] De l’Afghanistan à l’Irak, de la Libye au Mali, on en a sans fin l’illustration.
Confrontés à de tels conflits, nous avons toujours essayé de construire une réponse indépendante, progressiste […]
Dans la mesure où ils existent, les gains engrangés à l’occasion d’une
intervention « impérialiste humanitaire » sont éphémères – comme la
réduction de la pression fondamentaliste sur les femmes, véritable
dictature quotidienne. Voir en Afghanistan, par exemple, à quel point
les droits des Afghanes sont attaqués par le régime mis en place à
Kaboul par les Occidentaux et s’avèrent aujourd’hui négociables lors des
pourparlers avec les talibans. La realpolitik de puissance se préoccupe peu des droits, fussent-ils fondamentaux.
Nous n’avons que fort peu de prise sur le présent […]
Notre responsabilité présente est donc de reconstruire, dans la durée,
une capacité de solidarité indépendante, progressiste. Cette solidarité
ne doit pas être seulement un acte « de principe », mais un engagement
concret. Par exemple, dans le cas de l’Afghanistan, le soutien à
l’organisation féministe progressiste Rawa : ou à la ville de Tuzla dans
le conflit yougoslave (cette ville « solidaire » vers où partaient les
« convois ouvriers ») ; ou à la gauche laïque (et pour une part
marxiste) de la résistance syrienne… […]
Tout mouvement progressiste au Mali n’est donc pas
seulement confronté à la question de la domination impérialiste et des
rapports de classes au Mali même, mais aussi au droit
d’autodétermination de peuples du nord qui ne sont pas présents au sud.
Les manœuvres constantes de la France au Nord ne simplifient pas les choses et brouillent à plaisir les enjeux4.
Ainsi, la représentativité du Mouvement national de libération de
l’Azawad pour les Touaregs est en question – sans parler des autres
peuples de la région. En traitant avec le MNLA de la façon dont Sarkozy
puis Hollande l’ont fait, ils l’ont rendu suspect d’ouvrir la porte à
l’ancienne puissance coloniale (en vue notamment de l’établissement
d’une base militaire…). Cependant, en permettant à l’armée malienne de
revenir dans une grande partie du Nord, grâce à l’opération Serval,
Paris se voit aussi accusé de complicité pour les exactions qu’elle y
commet, notamment à l’encontre de Touaregs5 […]
Du côté de la solidarité internationale, les priorités de
départ ne se recoupent pas automatiquement suivant les liens
antérieurement tissés et le point de vue initialement privilégié : le
Mali ou le Sahel. De plus, la situation des populations touarègues et
l’histoire de leurs mouvements diffèrent entre le Sahara occidental, le
Mali, le Niger…
Les deux « angles de vue » doivent être pris en compte,
mais cela ne simplifie pas la réponse à la question : qui soutenir et
comment ? Les peuples du Mali, certes, et du Sahel. Mais plus
concrètement ? Avons-nous une réponse à cette question ?
Nous avons – en revanche et malheureusement – beaucoup de
réponses à la question : qui combattre ? Les courants politico-religieux
d’extrême droite, le régime clientéliste malien, les politiques
néolibérales si destructrices et leurs promoteurs (FMI, Union
européenne…)… sans oublier, au grand jamais, notre propre impérialisme.
Impérialisme tout court
La politique du gouvernement français au Mali montre que l’impérialisme « humanitaire » reste un impérialisme tout court.
La situation de crise au Mali – nord et sud – risquait
d’avoir des effets déstabilisateurs pour Paris dans toute la région,
avec des répercussions immédiates au Sahel – en particulier au Niger
(avec ses mines d’uranium et l’implantation d’Areva) et en Algérie, mais
aussi ailleurs. Dès l’origine, les objectifs de l’intervention
française ne se limitaient donc pas à ce seul pays, comme l’ont confirmé
les récents débats au parlement : il fallait renforcer l’influence de
la France en Afrique.
Très classiquement, Paris n’a cessé de mentir, en
affirmant d’abord que la France ne devait pas intervenir au Mali,
simplement soutenir des forces africaines ; puis qu’elle ne devait que
les « instruire » sur le terrain et agir dans le cadre de l’Union
européenne. Quand l’opération Serval a été déclenchée, elle ne devait
être qu’aérienne et n’avait pour objectif avoué que de bloquer l’avancée
supposée des troupes islamistes sur Bamako ; puis de les repousser
jusqu’à la frontière entre le Nord et le Sud du Mali ; avant que la
« reconquête » du Nord entier ne soit annoncée. Les forces françaises
devaient céder la place aux Africains… mais le récent vote du parlement
montre qu’elles sont bien là pour rester.
Au moment de déclencher l’opération Serval, la
manipulation grossière de l’information (Bamako allait tomber dans les
deux jours) a permis de faire taire les interrogations. L’affirmation
était particulièrement peu crédible : des mouvements touaregs et arabes,
peu nombreux et pas si bien armés que cela, auraient été à même
d’imposer en quelques jours leur propre théocratie au Sud Mali ! Elle
n’en a pas moins été acceptée comme véridique par bon nombre
d’organisations progressistes…
Puis un blackout radical a été imposé sur les
premières semaines de l’opération Serval, les chaînes de télévision en
étant réduites à passer en boucle des images de propagande fournies par
l’armée [...]
Tout récemment, Paris a interdit que des visas Schengen
soient accordés à des personnalités maliennes opposées à l’intervention
française, dont Aminata Traoré – une ancienne ministre de la Culture qui
a rappelé qu’elle défendait encore les idées qui lui avaient valu
d’être invitée à une université du PS… quand ce dernier était
l’opposition !
Dans le fond des objectifs poursuivis comme dans les méthodes utilisées, la Françafrique est toujours là6.
Nous sortons d’une période durant laquelle Paris a réduit son
dispositif militaire en Afrique : il y a aujourd’hui beaucoup moins de
bases qu’il y a vingt ans. Mais il est bien question maintenant d’un
nouveau redéploiement. L’intervention malienne en est l’illustration. Le
Livre blanc dernièrement remis à Hollande insiste sur
l’importance de l’Afrique ; or ce continent était négligé dans le
précédent. Le rapport récent du groupe « Sahel » au Sénat enfonce le
clou : « L’intervention au Mali a permis de prendre la pleine mesure
de l’intérêt des forces françaises prépositionnées et de l’erreur
d’appréciation qui consisterait à réduire notre dispositif en Afrique de
l’Ouest »7.
L’une des raisons qui expliquent la profondeur de la crise
économique de l’Union européenne, c’est son déclin international. Les
bourgeoisies européennes ont perdu beaucoup de « marchés », de zones
d’influence, et ne peuvent plus bénéficier comme auparavant des
surprofits liés à l’exploitation du « tiers-monde ». Elles se retournent
avec d’autant plus d’agressivité contre leurs propres salariats, mais
cherchent aussi comment stabiliser et reconquérir leur accès aux
surprofits postcoloniaux. La particularité de la bourgeoise française,
c’est qu’à cette fin elle peut utiliser son armée.
L’engagement français en Afrique de l’Ouest est assez
unique : quel autre impérialisme bénéficie-t-il en permanence d’une
telle liberté de présence et d’action militaires dans un tel ensemble de
pays étrangers ? Malheureusement, en France, la dénonciation de cet
état de fait n’a jamais été à la hauteur de l’enjeu solidaire, malgré le
travail d’information remarquable d’une association comme Survie. Nous
ne pouvons rester passifs à l’heure de l’intervention malienne et alors
que le gouvernement affiche sa volonté de renforcer à nouveau son
dispositif – en collaboration étroite avec les Etats-Unis qui, eux
aussi, annoncent leur « retour ».
Il faudrait de même s’attacher plus au rôle de l’Etat
français dans la crise haïtienne (non sans analogie avec sa politique
malienne, malgré des différences fondamentales) et les raisons pour
lesquelles il se montre si violent à l’encontre des mouvements
populaires en Guadeloupe et Martinique.
Nous sommes à un moment charnière. Sans garantie de succès
vu son affaiblissement, l’impérialisme français cherche à moderniser et
rationaliser ses moyens et ses ambitions. Il en appelle pour ce faire à
l’union nationale. C’est à nous de la briser et de faire entendre une
autre voix… Une autre voix qui ne se contente pas de dire que l’avenir
est incertain ; que la solution militaire est insuffisante, comme le
fait le PCF (tout le monde le sait, y compris l’Elysée) ; ou qu’il ne
faut en rien affaiblir notre armée nationale, comme le proclame
Mélenchon !
Il faut nommer un chat un chat et la « puissance »
française un impérialisme ; pour assumer nos responsabilités
anti-impérialistes.
Pierre Rousset
Texte complet ici :
http://www.npa2009.org/node/39047