Vox et le retour de l’extrême-droite en Espagne
Le 28 avril se tiennent en Espagne des élections qui pourraient bien faire basculer un équilibre politique fragile.
36 millions d'électeurs auront la possibilité de décider si l'Espagne rejoindra l'Italie, la Hongrie et l'Autriche en donnant le pouvoir à un gouvernement d'extrême droite ou si leur pays restera, avec le Portugal, l'exception « socialiste » (comprendre socio-démocrate réformiste) en Europe. Même si Pedro Sanchez, Premier ministre et chef du Parti socialiste (PSOE), est en tête des sondages, il devra, s’il gagne, former une coalition avec d’autres partis pour former un gouvernement.
Or, si Podemos et le Parti national basque sont susceptibles de participer à la future coalition, il est peu probable que les deux principaux partis catalans indépendantistes (la Gauche républicaine catalane et le Parti européen catalan démocratique) soutiennent le PSOE aujourd’hui.
Bien que Pedro Sanchez ait adopté une approche plus conciliatrice de la question catalane afin de garantir le soutien politique des partis catalans à son gouvernement minoritaire, il a finalement rejeté les demandes de négociation sur l'autodétermination catalane, l'emprisonnement et le jugement de plusieurs dirigeants catalans qui dirigeaient le parti à l’époque du référendum non autorisé et de la déclaration unilatérale d'indépendance en 2017.
C'est d’ailleurs le refus des deux partis catalans de soutenir le projet de budget national qui a contraint en février le Premier Ministre espagnol à convoquer des élections anticipées dont l’issue reste incertaine : les derniers sondages indiquent qu'environ 28% des électeurs sont encore indécis.
Contrairement à la France et à l'Allemagne, où ce sont les « centristes libéraux » (comprendre la droite non identitaire) qui dirigent, l’Espagne présente un échiquier politique dans lequel ce courant a pratiquement disparu laissant en désarroi le ventre mou du corps électoral, les tièdes qui représentent sans doute la majeure partie de ces électeurs indécis.
Après l'arrivée en 2016 de « Podemos », parti de gauche, et de son homologue de la droite traditionnelle, « Ciudadanos » ("parti des citoyens"), la carte électorale espagnole a cessé d'être définie par la domination des deux grands partis que sont le PSOE de centre-gauche et le Parti Populaire de centre-droit ( PP). Puis soudain, lors des élections régionales andalouses en 2018, le succès inattendu de Vox, un parti raciste, homophobe et anti-immigration, a ébranlé le monde politique espagnol, ce qui a obligé la droite et la gauche à durcir leurs discours et à s'éloigner du centre.
Alors que la plupart des électeurs de gauche et de droite, fatigués par les propos mi-chèvre mi-chou de leurs candidats respectifs ont apprécié ces clarifications, cela a inquiété la partie modérée de l'électorat.
Vox jouera certainement un rôle majeur dans l'issue des élections du 28 avril. Après son succès électoral en Andalousie, le parti d'extrême droite est devenu partie intégrante de la coalition gouvernementale - aux côtés du PP et de Ciudadanos - dans cette région qui était acquise aux « socialiste » depuis plus de trente ans, et ces trois mêmes partis pourraient bien maintenant gagner les élections nationales. Selon les derniers sondages, 12,5% des voix iraient à Vox, 17,8% au PP et 19% à Ciudadanos. Au total, cela représenterait moins de sièges (156) que le nombre accordé par ces mêmes sondages au PSOE et à Podemos (162). Mais l’absence de soutien des partis catalan et basque pourrait empêcher la formation d’un gouvernement de gauche, auquel cas le mandat pourrait être transféré à droite, ce qui aboutirait à la participation de Vox au gouvernement.
Fondé en 2013 par Santiago Abascal, un ancien Protégé de Jose Maria Aznar, ex-dirigeant du PP, Vox a pris de l'ampleur au cours des dernières années. L'incertitude économique, les taux de chômage et d’immigration élevés ont inquiété de nombreux citoyens espagnols et ont ajouté à la ferveur nationaliste alimentée par la crise catalane et l’exhumation controversée des restes de Franco. Vox a capté cette inquiétude croissante en recourant à un pathos ultranationaliste dans le style « grand remplacement ». Ses dirigeants ont affirmé que l'identité culturelle, linguistique et religieuse de l'Espagne était menacée par "l'immigration musulmane". Javier Ortega Smith, le poulain d’Abascal a déclaré : "Notre ennemi commun, l’ennemi de l’Europe, l’ennemi du progrès, l’ennemi de la démocratie, l’ennemi de la famille, l’ennemi de la vie, l’ennemi du futur s'appelle l'invasion islamiste".
Vox veut abroger l'article 510.1 du code pénal, qui prévoit des peines de prison pour les personnes reconnues coupables d'incitation à la haine, mais aussi fermer les chaînes de télévision publiques régionales et construire un "mur infranchissable" dans les villes enclaves de Ceuta et Melilla sur la côte marocaine, considérées comme un sas à l’immigration.
Vox s'est aussi attaqué au mouvement féministe qui progresse en Espagne. Ces dernières années, les femmes espagnoles ont protesté contre la violence domestique et les inégalités salariales (les rémunérations horaires des femmes sont inférieurs de 14,9% à celles des hommes). Le parti considère le militantisme des mouvements féministes comme une menace allant à l'encontre des valeurs de la famille « hétéro normative », chrétienne et blanche de l’Espagne .
Indépendamment du résultat du vote du 28 avril, cette campagne électorale a donné à Abascal une occasion en or pour clamer que seul son parti met "los espanoles primero" (suivez mon regard…). Il a traité le PP et Ciudadanos de "modérés, doux et lâches" et Pedro Sanchez et Pablo Iglesias (représntant de Podemos), d’ "ennemis de l'Espagne".
La décision calamiteuse de la commission électorale espagnole d’exclure Vox des deux débats télévisés du début de la semaine sera sans-doute contre-productive et risque de donner au contraire un coup de pouce à ce mouvement.
Même si les partis traditionnels parviennent à attirer suffisamment d’électeurs parmi les 28% d'indécis et à maintenir un statu quo précaire, il semble clair que désormais, le monde politique espagnol devra s’accoutumer à la présence de cette extrême droite, nostalgique d’un passé cauchemardesque.
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