Y a-t-il un risque fasciste en Europe ?
Dans les années 1970 les attentats était perpétrés principalement par l’extrême-gauche italienne et allemande. Puis ce fut majoritairement le fait des palestiniens, suivis de l’extrémisme islamiste. Il y a eu aussi quelques agressions antisémites : des attaques contre des synagogues et des profanations de cimetières.
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Après Oslo
La tuerie d’Oslo a rappelé une autre dangerosité politique : le nationalisme extrémiste local. Suite aux actes d’Anders Behring Breivik des commentateurs comparent même notre période à celle qui a vu la montée du nazisme dans les années 1920-1940, soit à la croissance et la prise de pouvoir par des idéologies fascistes. Le risque fasciste est-il réel aujourd’hui ?
Il y a des points communs avec cette époque, mais davantage encore de différences, selon ce que j’ai pu apprendre de l’Histoire européenne.
Les points communs sont d’abord la crise économique et la paupérisation. Cela favorise l’adhésion à des projets politiques radicaux supposés apporter une forme de salut économique, social et moral. L’envie de punir ceux qu’on estime avoir été des profiteurs ajoute au manichéisme qui pointe dans notre époque.
Un autre point commun est la désignation d’une partie de la population comme partiellement ou totalement responsable de nos malheurs. A l’époque c’étaient les juifs. Aujourd’hui ils restent des cibles, mais se sont rajoutés les musulmans. On ne voit plus ce que les extra-nationaux apportent au pays mais seulement ce qu’ils prennent. Ce rétrécissement de la vision fait partie du processus de simplification excessive des problèmes d’un pays et de l’instauration d’un régime autoritaire supposé porter le salut.
Qu’en est-il des différences ?
Le fascisme s’est théorisé sur le fond des nationalismes très marqués à l’époque. La nation était un contrepoint aux trop nombreuses guerres qui avaient marqué l’Europe, faisant changer les souverainetés et l’appartenance de certains territoires. La nation était aussi portée par l’instauration des démocraties. Les citoyens n’appartenant plus à un seigneur, cette appartenance s’est identifiée à un territoire défini sur lequel ils avaient des droits et une forme de pouvoir politique porteur d’émancipation. Les nationalismes italiens et allemands promettaient aussi une émancipation et les régimes qu’ils ont produits prétendaient agir au nom du peuple - alors pourtant qu’ils le contraignaient.
Les nationalismes qui ont mené aux fascismes se sont aussi construits contre l’ennemi politique d’alors, le communisme, qui partage quelques similarités avec les fascismes : le parti unique, les camps, les pogroms anti-juifs, et une forme d’impérialisme dans ce qu’on en a vu en ex-URSS - soit un nationalisme élargi aux pays satellites qui se soumettaient à leur maître.
L’Europe était troublée par des décennies d’instabilité due à la transformation des anciennes monarchies en régimes plus démocratiques, et par la première guerre mondiale qui avait laissé d’intenses frustrations et des désirs de revanches en particulier en Allemagne. Exalter la nation et l’ordre militaire tout en stigmatisant un bouc émissaire supposément responsables de nos problèmes avait une forte résonance dans les populations.
Ces nationalismes de l’époque étaient imprégnés d’esprit de conquêtes territoriales : conquérir d’autres pays était promesse d’enrichissement. Il est donc foncièrement guerrier, la guerre permettant les conquêtes et stimulant momentanément l’économie. Actuellement les grands pays européens ont accepté leurs frontières et ne mettent plus en cause leurs limites territoriales. Le nationalisme qui se manifeste est davantage une réflexe de protection que de conquête. Les relations internationales, au moins en Europe de l’ouest, ne portent en germe aucun conflit de nature à déclencher une guerre.
Autre différence : à l’époque des débuts de Hitler, il y a eu une théorisation forte du fascisme. Le livre Mein Kampf prévoyait un état raciste et impérialiste et posait les bases politiques et culturelles du fascisme. Le futur régime a eu besoin de cette théorisation pour croître. Actuellement il n’existe rien de tel. Les « bibles » du passé, comme par exemple le petit livre rouge de Mao, ont trop vieilli pour s’adapter au monde actuel et inspirer un nouveau totalitarisme. Mais on ne doit pas penser que cela ne viendra pas. Le manifeste du tueur d’Oslo : « 2083, une déclaration d’indépendance européenne », dont je n’ai lu que des extraits, pourrait-il représenter ce document ? Ce n’est pas impossible. Il mélange des thèmes d’exclusion sociale, de stigmatisation de catégories de la population, et de ressassement de la perte identitaire. Mécanisme de repli faute d’une ouverture maîtrisée.
Il est à noter que certains de ces thèmes se retrouvent à gauche comme à droite, tant dans les groupes l’extrême-gauche que d’extrême-droite, et aussi sous des formes moins tranchées : l’identité nationale et ses déclinaisons répressives (anti-roms par exemple) pour la droite ; le lobby sioniste ou la guerre contre les oligarchies et les riches pour la gauche, par exemple. En réalité ces thèmes ne sont pas nouveaux et sont en partie déjà prédigérés par des partis politiques en place. L’impact de ce document (2083) ne pourra à mon avis dépasser le cadre de groupuscules. Mais il apporte une pierre de plus à la contestation actuelle d’une certaine forme d’humanisme. Quelques mots à ce sujet.
L’apprivoisement du différent
L’humanisme fleur bleue du 20e siècle voudrait que l’on ouvre ses bras à l’autre (l’étranger, l’immigré, ou le différent originaire de nos pays) simplement parce qu’il est autre. Le culte de l’Autre donne bonne conscience et le sentiment d’aimer son prochain. Dans cette optique, questionner l’autre sur sa manière d’être est perçu comme un désaveu de sa présence. On voit comment les gauches européennes, en refusant de parler d’immigration par peur de passer pour « excluantes, ont laissé ce champs à d’autres groupes. Ce qui s’explique par la philosophie de refus de l’exclusion sociale et le principe de solidarité avec le plus faible. Mais pratiquée aveuglément cette philosophie ne répond pas à la situation actuelle.
Si l’on compare un pays à une maison, il est normal de demander à celui qui frappe à la porte de respecter nos coutumes. Cela se fait partout, dans tous les pays, et c’est un premier pas vers l’apprivoisement de la différence. Le respect que l’étranger témoigne à celui qui accueille facilite l’intégration et le partage. C’est regrettable de voir que ce discours basique a été laissé à l’abandon par les gauches, et qu’elles stigmatisent ceux qui le tiennent en les traitent de fascistes. Il y a un malaise avec l’immigration venant de certaines cultures, en particuliers certaines cultures religieuses. Nier ce malaise, ne pas en faire des sortes d’Etats Généraux de l’immigration et de l’altérité, c’est encourager les extrémismes.
Dans un récent billet Philippe Souaille rappelait que les européens sont à peu près tous les produits d’une forme de multiculturalisme depuis des millénaires. Historiquement, le fait de fixer des règles pour gérer le vivre ensemble de communautés différentes a déjà existé. L’adhésion aux lois de la République devrait-elle suffire ? Ces lois portent-elle les valeurs propices à désamorcer les contradictions et conflits entre les différentes origines communautaires ? Encore faudrait-il que cette adhésion soit manifeste. Le discours anti-blanc qui culpabilise les européens à cause de leurs colonisations passées n’est pas mieux que le racisme affiché par certains blancs. Il faut faire l’impasse sur ce passé. Tous nous avons étés oppresseurs et opprimés à un moment de l’Histoire. Tant que ces conflits perdureront le racisme et les extrêmes proliféreront. Il faudrait donc faire de l’immigration une sorte de Grande cause européenne, avec des débats auxquels participent toutes les forces des pays. Tout doit être mis sur la table si l’on veut espérer sortir de l’ornière actuelle.
Enfin, dernier point différent entre les années 1920-1940 et aujourd’hui : les populations d’alors croyaient aux idéologies dures et y cherchaient un espoir. Aujourd’hui les population européennes ont muri et savent qu’il n’y a pas de solution miracle. L’adhésion à un sauveur sera moins facile à provoquer. Mais que surgisse une personnalité hors du commun dans une crise qui s’aggraverait encore, on ne peut exclure qu’une bascule s’opère vers un nouveau fascisme. Pour l’éviter les « yaka » ne suffisent pas. Le débat de société doit aller plus loin, plus profond, sur le monde que nous souhaitons. Les positions contradictoires devraient passer du stade de clivages irréductibles à celui de complémentarité critique et d’approches multiples de la complexité du monde. N’oublions pas que le simplisme et la pensée noir/blanc sont parmi les germes du fascisme.
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