Yémen : Une Voix Dans Le Désert – Témoignage poignant sur la barbarie Saoudite
Par Vanessa Beeley
Source : https://thewallwillfall.wordpress.com/2015/07/11/yemen-une-voix-dans-le-desert/
Yémen : Une Voix Dans Le Désert
“Le peuple yéménite n’est pas un mauvais peuple, ce sont de bonnes personnes. Ils veulent être respectés, ils veulent que leur souveraineté soit respectée. Nous ne menons aucune guerre, une guerre a été déclarée contre nous. Notre conflit était interne et il aurait du être réglé en interne”
Hanan al-Harazi, sa mère et sa fille de 8 ans ont fui le Yémen 10 jours après que les premières bombes ont commencé à déchirer les paysages de son pays bien-aimé. La fille de Hanan avait commencé à présenter les premiers signes du SSPT (Symptômes de Stress Post-Traumatiques) et, pour sa santé mentale, la famille a décidé de se scinder en deux, laissant le mari de Hanan au Yémen avec sa famille et ses deux frères. Hanan nous apporte une émouvante et puissante perception des événements qui ont conduit à la dévastation actuelle du Yémen aux mains de leurs oppresseurs saoudiens et de leurs alliés impérialistes.
Vanessa Beeley : Quand avez-vous quitté le Yémen ?
Hanan al-Harazi : Je pense que nous étions encore au Yémen environ 10 jours après le début des bombardements, puis il y a eu une attaque à la roquette sur notre voisinage immédiat, très proche de l’endroit où nous vivions. Après cela, ma fille a développé une incontinence urinaire et une peur soudaine de tout bruit fort. Récemment, je l’ai cherché pendant plus d’une heure pour finalement la trouver cachée dans le placard parce qu’elle avait entendu un avion voler au-dessus du quartier. Il faudra des décennies pour effacer ce traumatisme de sa mémoire. Je ne peux même pas imaginer ce que les autres enfants encore au Yémen ont traversé après presque 103 jours de raids aériens continus. C’est dévastateur.
Vanessa : Quel âge a votre fille ?
Par Reham, 8 ans.
Hanan : Elle aura 9 ans en Août. J’ai l’habitude de travailler dans une école donc je sais que les enfants ne sont pas capables de s’exprimer avec les mots comme le font les adultes. Je lui ai donné un morceau de papier et je lui ai dit d’écrire ses sentiments. La première chose qu’elle a écrite était ce qu’elle ressentait. C’était un crève-cœur pour moi de lire la douleur et la souffrance dans ces mots de bébé. Quelques jours plus tard, elle refait la même chose, tout ce qu’elle peut dessiner ou peindre sont des avions bombardant son pays, de tristes images. Je sais que le soleil représente quelque chose de vraiment positif dans la vie d’un enfant mais quand vous avez un enfant représentant un soleil pleurant avec un visage triste, il faut vraiment envoyer un message puissant au monde.
Nous avons eu la chance d’avoir des passeports étrangers qui signifiaient que nous pouvions quitter le Yémen. Personne ne délivre de visas aux ressortissants yéménites, ce qui signifie 23 millions de personnes emprisonnées à l’intérieur d’un pays bombardé sans pitié et sans distinction, avec un mépris complet pour les vies civiles.
Vanessa : Il y a des rapports qui établissent que plus de 80% de la population endure aujourd’hui une crise humanitaire. Est-ce un chiffre réaliste ?
Hanan : Absolument ! Il se développe une crise humanitaire catastrophique au Yémen. Ma crainte est que si le blocus n’est pas levé, nous allons assister à quelque chose d’horrible à tout point de vue. Vous parlez d’une population dont près de 60% vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ils ne savent pas comment assurer leur prochain repas et encore, ça c’était quand leur monde était “ok” et pas encore en état de guerre. Je dois dire que les quelques personnes qui avaient un emploi l’ont perdu et les prix alimentaires ont flambé. La Capitale a peut être de meilleures installations que certaines régions périphériques mais même là, l’eau est maintenant contaminée et le coût de l’eau en bouteille a triplé. Je ne sais pas comment les gens font face.
La nourriture est toujours disponible dans les marchés mais les approvisionnements se font rares. Lorsque ces fournitures vont manquer, le Yémen va mourir de faim. Nous produisons très peu de nourriture au sein même du Yémen, la majorité des produits alimentaires est importée alors la circulation des marchandises est essentielle à notre survie. Le blocus fera en sorte que nous ne pourrons pas survivre. Il y a eu un petit flux d’aide par l’intermédiaire de certains groupes d’aides et des ONG mais il n’atteint les zones les plus durement touchées comme Aden, laissant des pans entiers du pays sans nourriture, sans eau ou installations médicales. Les effets cumulatifs seront épouvantables et la crise humanitaire va être dévastatrice.
Vanessa : Je suppose que l’Arabie Saoudite [comme l’a fait Israël dans la bande de Gaza] vise les infrastructures du Yémen afin de détruire la capacité civile de survivre à cet assaut.
Hanan : Oui absolument. Si vous regardez vers un passé récent, lors des événements de Amran et de Lahj, ils ont ciblé les marchés alimentaires et les marchés de bétail. Preuve supplémentaire de la détermination de la coalition à affamer le peuple du Yémen. Le bétail constitue une partie de notre production nationale minimale donc c’est une destruction délibérée de la capacité civile à survivre. Le film qui va sortir montre qu’ils ciblent des zones civiles, des écoles ont été touchées, des stades, des installations sportives, et ainsi de suite. Ils ont tout bombardé. Ils disent qu’ils ne ciblent que les centres militaires. Peut-être qu’au début, cela était vrai. Mais au cours des dernières semaines, nous avons vu des bombardements beaucoup plus aléatoires et intenses de sites civils.
Le mouvement Ansarullah est assez représentatif du tissu yéménite, de la société yéménite. Il ne porte pas de marques ou d’insignes pour se distinguer de la population locale, donc c’est au-delà du ridicule de dire qu’ils frappent seulement des cibles de Ansarullah dans une ville comme Sanaa, qui a une population de 3 millions de personnes. Le nombre de victimes civiles est beaucoup plus élevé que si les frappes atteignaient seulement les agents Ansarullah.
Vanessa : À votre avis existe-t-il une alternative pour résister à cette attaque du Yémen ? Y a-t-il une option de reddition, de négociation ?
Hanan : Ecoutez, je vais parler pour moi et pour beaucoup de gens au Yémen. La question de la souveraineté du Yémen a toujours été de la plus haute importance dans les esprits yéménites et cela a conduit à la révolution de 2011 pour se débarrasser de notre vieux dictateur Ali Abdallah Saleh, parce que nous savions qu’il était en grande partie une marionnette saoudienne. Il promouvait l’agenda de l’Arabie Saoudite au Yémen en lui donnant la priorité sur les intérêts du pays. Pendant ce temps, de nombreuses personnes ont perdu leurs moyens de subsistance ou leur vie et la plupart des grandes villes ont été touchées par la révolte, ont sombré dans un immobilisme pendant un certain temps.
Nous n’en sommes pas arrivés jusqu’ici pour voir un autre gouvernement fantoche saoudien en place au Yémen. Si cela continue, nous n’aurons plus d’identité. Le peuple yéménite n’est pas un mauvais peuple, ce sont de bonnes personnes. Ils veulent être respectés, ils veulent que leur souveraineté soit respectée. Nous ne menons aucune guerre, une guerre a été déclarée contre nous. Notre conflit était interne et il aurait du être réglé en interne.
Jamal Benomar, l’ancien émissaire de l’ONU pour la paix au Yémen a effectivement dit très ouvertement que les factions belligérantes étaient parvenues à un accord avant que la première bombe ne soit tombée. “Lorsque cette campagne a commencé, une chose qui est importante mais passée inaperçue est que les Yéménites étaient proches d’un accord qui pourrait instituer un partage du pouvoir avec toutes les parties, y compris les Houthis”, a déclaré le diplomate marocain, M. Benomar. Ainsi, il devient évident que nos aspirations sont sacrifiées sur l’autel de la cupidité et de l’ambition impérialiste.
Vanessa : Nous constatons cela dans toute la région, ces tentatives internes de réconciliation et d’entente, entravées par l’agenda impérialiste et leur propagande sectaire. De ce que vous dites, cela se passe aussi au Yémen ?
Hanan : Je peux l’affirmer catégoriquement, il n’y a pas de conflit sectaire au Yémen. Ils ont tenté de déclencher une guerre sectaire au Yémen mais le Yémen est un pays où nous avions des sunnites shafi’ites et des chiites zaydites priant dans les mêmes mosquées pendant des centaines d’années. Nous sommes une société connue pour ses mariages entre ces deux cultes. En réalité, ils ont provoqué cette guerre territoriale lorsqu’ils ont décidé de diviser le Yémen dans un système de six états fédéraux. Nous sommes fatigués de les voir nous imposer leur programme et nous obliger à le mettre en œuvre.
J’ai vécu au Yémen pendant les 21 dernières années et je ne savais pas si mon voisin était un sunnite shafi’ite ou un chiite zaydite. Cela ne faisait pas partie de notre culture, nous ne nous le demandions jamais. Nous coexistions pacifiquement. Ce programme de balkanisation a été le début de l’ensemble du problème. Leur division a été entièrement mauvaise. Ils ont laissé certaines zones totalement isolées.
Le mouvement Ansarullah et le mouvement séparatiste du Sud étaient tous les deux en faveur d’un système d’état confédéral où le Yémen serait divisé en un Nord et un Sud existant dans un état fédéral. La plupart d’entre nous étaient d’accord avec ça.
Le Président Hadi [bien que je déteste l’appeler notre Président] a appuyé le programme saoudien du système à six états. Une autre chose que beaucoup de gens ne réalisent pas est que, quand ils ont divisé le pays avec le système à 6 état, ils ont délibérément isolé un état appelé Azal. Azal incorporait un grand nombre des bastions zaydites, Saada, Amran, Dhamar et Sanaa. Azal a été laissé sans ressources et sans aucun accès à la mer. C’était de façon flagrante de l’emprisonnement et de la répression sur ce que nous appellerions les « puissances traditionnels » dans cette zone. C’était une tentative délibérée d’affaiblir leur influence au Yémen.
Donc, le plan de Hadi aurait divisé le Yémen dans des états plus petits, plus sectaires tandis que le plan de Ansarullah était plus comme un retour aux frontières avant l’unité où le Sud aurait eu une plus grande autonomie sur ses propres affaires internes.
Vanessa : De quelle importance est la menace « extrémiste » au Yémen ?
Hanan : Laissez-moi vous donner un exemple. La zone d’al-Jauf est composée de deux populations sunnites et chiites et c’est ainsi dans la zone de Marib et ailleurs. Les chiites zaydites et les sunnites shafi’ites sont deux cultes très modérés. Le peuple yéménite n’a aucune affiliation à la secte wahhabite d’Arabie Saoudite. Le wahhabisme est étranger au Yémen.
Nous voyons certaines zones dans le Sud, comme l’Hadramaout qui a été médiatisé ces derniers temps, dont certaines parties sont totalement sous le contrôle d’Al-Qaïda. Le plus drôle est que les bombes tombent exactement sur les personnes qui combattent ces extrémistes. Pas une seule bombe n’a été larguée sur les bastions extrémistes. Même s’ils savent que Al-Qaïda a le total contrôle d’al-Mukalla dans l’Hadramaout et du port maritime dans cette zone. Cela devrait poser un grand point d’interrogation sur leur véritable programme dans la région.
Les bombardements n’ont abouti qu’à une seule chose, qui est de renforcer davantage ces groupes extrémistes au Yémen. Je sais que dans les zones contrôlées par Ansarullah nous avons des comités populaires locaux en charge de la sécurité et ils ont travaillé sans relâche pour veiller à ce que les éléments extrémistes soient tenus à distance. Sur le champ de bataille leur progression a été immensément entravée à cause des frappes aériennes qui servent de couverture pour les extrémistes qui avancent.
Je ne sais pas s’il y a des combattants étrangers à l’heure actuelle. Je sais qu’il y a quelques saoudiens mais je ne suis pas au courant d’étrangers en provenance d’Afghanistan ou de Tchétchénie par exemple. Si les choses s’aggravent je crois que nous allons voir beaucoup plus de ces extrémistes entrer au Yémen via nos frontières, oui. En ce moment, les frontières du Nord sont sécurisées, à l’exception de Marib où il y a de violents combats en cours.
Vanessa : Quel soutien recevez-vous de l’Iran ?
Hanan : Je ne crois pas que l’Iran joue un rôle actif. Ils soutiennent le Yémen dans une perspective médiatique uniquement. Je crois que “le soutien” de l’Iran est un stratagème de propagande pour justifier de frapper le Yémen. Cette guerre a été planifiée il y a longtemps, avant même que Ansarullah ne se déplace vers la capitale. Cela devient très suspect quand vous voyez un Président au pouvoir avec un groupe minoritaire quitter sa forteresse dans la pointe Nord du Yémen pour descendre vers la capitale, Sanaa, dans le centre du pays. Les villes du Nord tombent l’une après l’autre devant eux et le Président ne dit rien. Ensuite, tandis qu’ils parviennent à un accord qui était de l’Initiative du Partenariat pour la Paix, Hadi décide soudainement qu’il ne veut pas que Ansarullah ait une représentation, même marginale, au sein du gouvernement. Cela n’allait de toute évidence jamais être accepté, Ansarullah est une force de terrain qui devrait être considérée comme faisant partie de la coalition. Voilà d’où le conflit est originaire et quelle est la raison pour laquelle ils ont placé Hadi en résidence surveillée parce qu’il suivait les instructions saoudiennes. L’Arabie Saoudite était contre l’inclusion de Ansarullah dans le gouvernement du Yémen. C’est alors que Hadi a fui vers le Sud.
Mon point de vue personnel est que le plan a toujours été de faire fuir Hadi vers le Sud et de demander aux saoudiens de l’aide, laquelle a justifié leur bombardement du Nord du Yémen qui a toujours été le bastion zaydite et une épine dans leur pied. Ansarullah et l’armée ont découvert ce plan et ont bougé très rapidement vers le Sud et donc vous voyez ces bombardements se répandre dans toutes les zones, pas seulement dans le Nord.
Comme point final à l’analyse du rôle de l’Iran au Yémen ; le Yémen est un Etat souverain et nous sommes libres d’avoir des liens bilatéraux avec qui que ce soit que nous choisissons. L’Arabie Saoudite voyait comme un problème le fait que le Yémen ouvrait environ douze vols par semaine vers l’Iran pour des raisons essentiellement bilatérales parce que le reste du monde s’était coupé du Yémen. Nous avons été sous l’influence de l’Arabie Saoudite sur, au moins, les 30 dernières années. Beaucoup diront que c’est beaucoup plus en raison de l’implication de l’Arabie Saoudite dans l’assassinat du président Ibrahim Al Hamdi qui fut probablement le meilleur Président que le Yémen ait jamais eu.
Les plus grands problèmes du Yémen sont de nature économique. L’Arabie Saoudite n’a jamais rien fait d’autre pour résoudre nos problèmes économiques que de mettre nos dirigeants sur leur tutelle salariale afin de détruire efficacement le pays. Il est presque impossible pour un yéménite d’obtenir un visa pour voyager, même aux Emirats Arabes Unis. Comment un pays peut prospérer quand il y a tant de restrictions sur ses habitants ? Lorsque Ansarullah est arrivé au pouvoir, nos options ont été examinées et les relations bilatérales avec l’Iran ont été naturellement soumises à une enquête.
Vanessa : Il y a au Yémen un très fort sentiment d’isolement. Rien que la nuit dernière 180 civils yéménites ont encore été massacrés à Amran et Lahj et les médias le mentionnent à peine. Est-ce la façon dont vous le percevez ?
Hanan : Oui. Cela remonte à des décennies et des décennies d’isolement. Permettez-moi de poser cette question au monde. Le gouvernement s’est effondré au Yémen en Septembre 2014. Pouvez-vous imaginer un pays qui a passé des mois et des mois sans un gouvernement en place, sans une force de police, sans armée, avec une population qui porte des armes et vit dans une pauvreté écrasante mais dont le taux de criminalité est inférieur à celui de pays de “premier plan” comme l’Amérique. Pourquoi ces gens se retrouvent isolés alors qu’ils ont cet inestimable respect de la vie humaine ? Ils sont un exemple pour le monde.
Les informations sortent au compte-gouttes via l’internet, la chaîne Yémen-Today et la chaîne de Ansarullah, al-Masirah. Cela me fait mal que les gens semblent ignorer largement notre souffrance, surtout quand il est relativement facile de se renseigner de nos jours. Par exemple, le Yémen n’a pas eu de couverture médiatique concernant les armes internationalement interdites qui sont utilisées contre nous. Je sais que là où je travaille, la région a été gravement endommagée. Il y a une zone appelée Faj Attan, une zone civile densément peuplée avec des centres commerciaux, des milliers de maisons résidentielles, des écoles. Comment pouvez-vous utiliser ces armes de destruction massive dans un secteur comme celui-ci et être exemptés d’enquête ?
Vanessa : Recevez vous de l’aide de la part du Sultanat d’Oman ?
Hanan : Oman semble avoir pris une position neutre, pour laquelle je suis reconnaissante. La chose intéressante est que, environ un mois avant le début des bombardements, je lisais un rapport de l’Intérieur d’Oman déclarant qu’ils se préparaient à une crise de réfugiés. Ils parlaient de la possibilité de mettre en place des camps de réfugiés sur les frontières entre le Yémen et Oman. Ainsi, lorsque les premières bombes ont frappé à 01H30 alors que nous étions tous endormis, j’ai tout de suite su que tout cela avait été pré-planifié. Peut-être parce que Oman fait parti du Conseil de Coopération du Golfe [CCG] ils étaient informés que quelque chose se préparait contre le Yémen. Je sais que beaucoup de gens se sont envolés vers Oman pour un traitement, en particulier pendant les attentats suicide contre des mosquées au Yémen.
Vanessa : Comment est l’Internet au Yémen ? De quelle quantité d’électricité ou d’autres sources d’énergie alternatives disposez vous ?
Hanan : Les gens sont en difficulté, il n’y a pas d’énergie. Pouvez-vous imaginer un pays au 21ème siècle sans aucune énergie du tout ? Beaucoup de gens ne se rendent pas compte qu’une grande partie de l’eau utilisée au Yémen est pompée à partir de réservoirs souterrains, nous avons donc besoin de carburant ou d’électricité pour permettre ce processus de pompage et nous ne disposons d’aucun des deux.
De ce que j’entends, l’électricité est disponible peut-être 40 minutes par semaine dans la capitale, Sanaa. Il y a d’autres zones dans le pays qui n’ont pas d’énergie du tout. Nous avons eu ces problèmes de “black out” même avant la guerre mais jamais à ce point. Oui, certains ont des générateurs mais les prix du carburant sur le marché noir sont écrasants.
Vanessa : Vous mentionnez des ADM (Armes de Destruction Massive). Je sais qu’il y a eu des rapports sur l’utilisation de bombes nucléaires. L’information émanant du Yémen est sommaire. Avez-vous plus d’informations ou de preuves de cette affirmation ?
Hanan : Je sais que 2 des bombes qui ont été utilisées ont produit un nuage nucléaire de “type” champignon. Évidemment, les effets de toute radiation ne seront constatés qu’après un certain temps.
Mais même s’ils n’ont pas utilisé d’armes nucléaires… celles qu’ils utilisent n’en restent pas moins illégales et dévastatrices. Leur utilisation de bombes à fragmentation est bien documentée, certaines ont échoué à exploser et ont été photographiées sur le terrain. Ils ont utilisé des bombes à neutrons qui génèrent tellement de pression. Lorsque mon quartier a été attaqué dans les 10 premiers jours, j’ai senti la pression terrifiante d’une explosion pourtant relativement éloignée. J’ai ressenti dans mes oreilles la douleur des projections de pression durant plusieurs semaines.
Les Yéménites menaient une vie normale avant d’être soudainement jetés dans une zone de guerre, c’est déconcertant pour tout le monde. Mon mari a fait parti d’un réseau de distribution de nourriture pour les pauvres pendant le Ramadan. Il venait juste de partir livrer certains produits à quelqu’un dans le quartier. Deux minutes après il y eut des roquettes directement sur cette zone et ce pauvre homme qui ne savait même pas que son prochain repas arrivait, a été tué. Combien d’autres personnes doivent mourir stupidement pour servir un programme impérialiste ?
Vanessa : Avez-vous une conception personnelle de ce qu’est ce programme impérialiste ?
Hanan : Je ne pense pas qu’il est lié à l’Iran en dépit de la propagande pour dire le contraire. Je pense que nous payons cher le fait d’essayer de nous libérer de l’esclavage saoudien. Nous payons de notre liberté de nos vies.
On m’a dit qu’il y avait du pétrole et, plus important encore, des réserves de gaz dans al-Jawf, qui est une zone limitrophe de l’Arabie Saoudite et protégée par eux depuis des années. En 2011, lorsque les personnes sont descendues dans les rues pour réclamer une vie meilleure, le président Saleh a été forcé d’admettre l’existence de ces réserves au public pour la première fois. Donc, nous sommes maudits, nous sommes maudits parce que nous avons du pétrole et du gaz. Chaque pays qui a des ressources naturelles est maudit et devient une cible d’intervention impérialiste.
L’Arabie Saoudite a favorisé la corruption au Yémen depuis des décennies. Ansarullah était résolu à mettre fin à cette influence toxique sur nos dirigeants et cela aurait annulé la puissance de l’Arabie Saoudite au Yémen. Lorsque les premières bombes ont frappé, les cheikhs tribaux et les politiciens “vendus” ont été aperçus fuyant vers l’Arabie Saoudite.
Vanessa : Seriez-vous en mesure de vous attarder simplement sur la situation à Aden ? Et également aborder la raison pour laquelle le Yémen est si important pour l’Arabie Saoudite.
Hanan : Aden est dépeint par les médias pro-agression comme étant une bataille pour la légitimité de Hadi. En 2011, Hadi était le seul choix viable pour combler la vacance du pouvoir. Six millions d’habitants du Nord ont voté pour lui tandis que le Sud a en fait boycotté les élections. Ce seul fait devrait contrer les revendications prétendant qu’il a la légitimité dans le Sud du Yémen.
A Aden ce qui se passe maintenant est que Hadi a regagné le Sud, mais il doit être clair que les gens d’Aden et de la région environnante ne sont pas pro Hadi, ils luttent aussi pour leur indépendance et ne soutiennent pas l’agression Saoudienne.
Si vous regardez une carte du Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite est un pays enclavé. Son seul moyen d’accès vers le monde extérieur se fait via le détroit de Bab-el-Mandeb dans le Sud du Yémen et le détroit d’Ormuz, qui est contrôlé par l’Iran. Le Yémen n’a jamais tenté de bloquer ou d’entraver le mouvement à travers le détroit de Mandeb contrôlé par les yéménites. Pour être honnête, je ne pense même pas que le Yémen contrôle vraiment ce domaine, il est secrètement sous le contrôle des nations impérialistes. L’Arabie Saoudite connait beaucoup d’agitations internes et écrase brutalement sa propre opposition interne. Nous ne tenterions jamais d’intervenir dans les affaires internes saoudiennes mais je crois qu’ils craignent un Yémen fort. Avec notre nouvelle constitution affirmant clairement que les dirigeants ne peuvent avoir que deux mandats au pouvoir, nous serions la seule république dans le bloc du CCG. Pour l’ Arabie Saoudite, qui est un régime despotique, notre évolution pourrait menacer la stabilité de leurs familles régnantes.
Vanessa : Quel est le message que vous souhaitez transmettre au monde extérieur ?
Hanan : Mon espoir en ce moment, à part un miracle de Dieu, est qu’il y ait plus de bonnes personnes que de mauvaises dans ce monde et je souhaite que nous puissions aller vers elles et leur dire, aujourd’hui, c’est moi, demain, ça sera vous.
Nous voulons juste survivre, nous voulons vivre. Le Yémen n’est pas le pays que l’on vous décrit. Nous ne sommes pas des terroristes. Nous sommes fiers de notre culture. Nous sommes un peuple pacifique. Le Yémen est l’un des pays les plus beaux et diversifiés dans le monde. Nous sommes dépeints comme des sauvages par des médias qui soutiennent le saccage de notre terre.
Je dois aussi dire que je respecte Ansarullah pour leur sagesse et leur retenue, surtout quand nos mosquées ont été attaquées. Des mosquées qui peuvent avoir été construites par des zaydites mais qui accueillent toutes les sectes pour leur culte. Ansarullah a publié une déclaration demandant aux gens de ne pas se laisser entraîner dans la conspiration étrangère pour enflammer les divisions sectaires. Je pense qu’ils représentent véritablement des millions de yéménites qui luttent pour l’autodétermination et la reconnaissance en tant que nation souveraine.
Capituler n’est pas une option alors que notre propre processus de paix interne est compromis par une agression extérieure. L’Arabie Saoudite n’a pas réussi à envoyer des troupes au sol et ils tentent de nous bombarder jusqu’à la soumission. Ils voient que cela ne réussira pas alors ils ont maintenant imposé ce blocus brutal, atroce, cruel, vicieux sur le Yémen dans l’espoir que le peuple yéménite se retourne contre ceux qui combattent les envahisseurs saoudiens. Je suis fière de la solidarité que les gens de mon peuple ont montré les uns envers les autres. Même dans une situation comme celle-ci où ils ont si peu de ressources, ils prennent toujours soin de leurs voisins. Nous sommes des êtres humains et nous avons le droit à une vie décente.
Le Yémen est loin d’être parfait, mais aucun pays dans ce monde n’est parfait. Nous ne menons pas cette guerre, nous n’avons pas déclaré cette guerre. Sur les 40 premiers jours de l’offensive saoudienne, le Yémen n’a pas tiré une seule balle vers l’Arabie Saoudite. C’est de l’hypocrisie crasse de l’Arabie Saoudite de nous qualifier d’agresseurs. Cela a toujours été le contraire, l’Arabie Saoudite a toujours envoyé ses éléments les plus vils dans mon pays et essayé de répandre son idéologie wahhabite dégoûtante. Que l’on soit zaydite ou shafi’ite nous n’adopterons jamais cette version déformée, tordue et affreuse de l’Islam.
Je voudrais même aller encore plus loin et dire que le Yémen a le potentiel pour être un modèle pour une véritable démocratie dans le Moyen-Orient. Il y a 25 millions de personnes qui appellent le Yémen, leur maison. Nous demandons simplement à être laissé en Paix. Est-ce trop demander ?
Traduction : Rochelle Cohen
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