Zardari et l’avenir incertain du Pakistan
Le parlement pakistanais vient d’élire Assif Ali Zardari président de la république islamique du Pakistan. Il succède ainsi au général Pervez Musharraf arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat en octobre 1999. Le passage de la dictature à la démocratie est un immense progrès politique. Mais l’histoire mouvementée du Pakistan incite plutôt à la prudence.
Depuis sa création en 1947, le pays a connu quatre coups d’Etat militaire : celui du général d’Ayoub Khan en 1958 qui démissionna en 1969 et passa le pouvoir à un autre général Yahya Khan, celui du général Zia en 1977 et celui de Musharraf en 1999.
Depuis la mort du général Zia dans un mystérieux accident d’avion en 1988, une ère d’élections démocratiques a permis à Benazir Bhutto et à Nawaz Charif d’alterner le pouvoir : Benazir (1988/1990), Charif (1990/1993), Benazir (1993/1996), Charif 1997/1999).
Le pillage du pays par une élite civile et militaire corrompue et les programmes économiques imposés par la Banque mondiale et le FMI (privatisation, ajustement structurel, vérité des prix, équilibre budgétaire etc.) ont ruiné l’économie pakistanaise. L’unité nationale est mise à mal par une population foncièrement hostile aux Etats-Unis et un pouvoir politique contraint, selon le contexte et le rapport de force du moment, de céder aux exigences de Washington. Les relations du Pakistan avec ses voisins notamment l’Inde et l’Afghanistan sont pour le moins tumultueuses.
Il s’agit donc d’un pays instable politiquement, fragile économiquement et affaibli sur le plan diplomatique. L’avenir de cette puissance nucléaire reste incertain. Seuls les intérêts stratégiques américains continueront à peser et à façonner la politique du Pakistan. C’est la seule certitude que l’on puisse affirmer aujourd’hui sans risque de se tromper.
C’est dans ces conditions que le nouveau président élu Assif Ali Zardari prend le pouvoir. Réussira-t-il à changer les choses dans un pays ravagé par la misère et la violence ? Ou continuera-t-il la politique de ses prédécesseurs ?
Zardari a déjà occupé le poste du ministre des investissements dans le gouvernement de Benazir Bhutto son épouse. La corruption, sous ce gouvernement, a connu des proportions scandaleuses. Zardari a brillé surtout par sa cupidité. Les pakistanais ont pris l’habitude de l’appeler « Monsieur 10% » à cause des commissions occultes qu’il empochait. Le gouvernement de Benazir a été renvoyé. Zardari fera 11 ans de prison dans des conditions difficiles, alors qu’aucune preuve formelle n’a été apportée contre lui.
On a beaucoup écrit sur cet homme ; sur sa personne et sur sa santé y compris sa santé mentale. Un journal comme Le Monde le décrit comme un « enfant gâté, play-boy qui brille sur les terrains de polo » qui n’arrive pas à se débarrasser « de son passé de flambeur » et qui continue à faire « vrombir ses voitures de sport à travers Islamabad »(2). Le JDD va jusqu’à le traiter de fou : « Pakistan : le président est fou ». Toujours selon ce journal en citant le Financial Times, Zardari « souffrirait en effet de "problèmes psychiatriques", notamment de "démence" et de "stress post-traumatique". Rien que cela ! Remarquons au passage que la presse bourgeoise, toujours prompt à donner des leçons de démocratie, est, paradoxalement, beaucoup plus indulgente avec le dictateur Musharraf qu’avec Zardari arrivé pourtant au pouvoir grâce à un processus démocratique incontestable. Musharraf était présenté comme un ami et comme « un rempart contre le terrorisme ». John Negroponte secrétaire adjoint auprès de Condoleezza Rice lui a même rendu un vibrant hommage : « Sous sa direction, le Pakistan a accompli de grands progrès (…). Au cours de ces dernières années, le peuple pakistanais a vu les médias se développer et devenir plus libres, l’économie croître et se développer d’une façon jamais vue et l’effet modérateur de lois et de programmes scolaires tenant compte des genres. Le président Musharraf a été, et il continue d’être une voix forte contre l’extrémisme ». (4)
Les violations des droits de l’homme, les centres de torture (voir les rapports d’Amnesty International), la suspension de la constitution, des libertés de presse, de paroles etc. (3) ne pèsent décidément pas lourd devant les intérêts stratégiques occidentaux notamment américains.
Mais centrer l’analyse sur la personne de Zardari, comme le font la plupart des médias, ne permet pas d’éclaircir une situation extrêmement complexe.
Zardari n’est pas le seul responsable de l’impopularité des gouvernements présidés par Benazir Bhutto. Les pakistanais dans leur majorité ont compris que ces gouvernements, civils et militaires, de Benazir ou de Charif, ne sont pas là pour servir leurs intérêts. Tariq Ali, fin connaisseur du Pakistan, parlait ainsi de Benazir lorsqu’elle était au pouvoir : « la plupart des ministres, au niveau national ou provincial, étaient trop occupés à se garnir les poches pour s’apercevoir qu’était peu garni l’estomac des enfants affamés, victimes des disettes et des carences alimentaires. Les chiffres de la mortalité infantile sont restés inchangés tout le temps où Benazir est restée au pouvoir. » (5). Rien non plus n’a été fait pour les plus démunis, ni pour les petits paysans (aucune réforme agraire), ni pour l’école et l’hôpital public. Et comment un Etat aussi corrompu que l’Etat pakistanais pourrait-il le faire ? Un énorme fossé sépare le peuple de cet Etat décadent et de ceux qui le dirigent. La plupart des hommes et des femmes politiques pakistanais appartiennent soit à l’aristocratie terrienne (la famille Bhutto), soit à la grande bourgeoisie (les Charif). Les Zardari, même s’ils occupent un rang modeste selon les standards pakistanais, appartiennent tout de même à la bourgeoisie affairiste de Karachi. Et sans le soutien actif des classes aisées et de riches potentats locaux, l’armée ne pourrait dominer un pays comme le Pakistan.
L’élite politique continue encore aujourd’hui à piller le pays. La Banque mondiale et le FMI proposent au Pakistan toujours les mêmes recettes libérales qui ne font qu’enfoncer le pays dans la misère. C’est justement cette misère qui a contribué, entre autres, à préparer le terrain sur lequel va se développer l’islamisme politique. De surcroît, l’Etat pakistanais a toujours entretenu des relations ambiguës avec l’extrémisme religieux, du général Zia à Musharraf en passant par Benazir. Zardari pour remercier les américains de leur soutien, affirmait dans le Washington Post vouloir « combattre et vaincre l’insurrection intérieure des talibans et de s’assurer que le territoire pakistanais n’est pas utilisé pour lancer des attaques terroristes contre nos voisins ou les forces de l’OTAN en Afghanistan »(6). Peut-être. Sauf que Musharraf, sous la pression de Washington, a déjà échoué dans cette tentative. Sa défaite face aux talibans pakistanais n’est peut-être pas étrangère à son éviction du pouvoir. Les troupes américaines ont pris le relais et multiplient les frappes aériennes dans les zones tribales faisant des centaines de morts pour la plupart des femmes et des enfants et provoquant le déplacement de la population par centaines de milliers. Selon le New York Times du 11 septembre 2008, Bush a même autorisé l’armée américaine à mener des opérations militaires à l’intérieur du territoire pakistanais sans l’accord du gouvernement d’Islamabad (6). Ces attaques et cette violation à répétition de la souveraineté du Pakistan au lieu de décourager les talibans, n’ont fait que renforcer un peu plus le sentiment antiaméricain de la population.
Zardari se trouve donc dans une situation délicate. Comment céder aux pressions des Etats-Unis sans mécontenter à la fois et la population et l’armée. Celle-ci, qui supporte de moins en moins ces humiliations, a déclaré par le biais de son chef le général Ashfaq Kayani « la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays seront défendues à n’importe quel prix et aucune force étrangère ne sera autorisée à conduire des opérations à l’intérieur du Pakistan » (7).
Face à ces défis, Zardari paraît bien démuni malgré ou à cause du soutien américain.
Le Pakistan est-il condamné à reproduire, dans des conditions différentes, les mêmes schémas du passé au prix de faire subir à sa population, sacrifices, souffrances et misères ? Ou bien le peuple pakistanais saura-t-il se débarrasser de ses ennemis intérieurs et extérieurs et instaurera-t-il, sur des bases nouvelles, une vraie démocratie le mettant sur le chemin de la prospérité et de la paix ?
Mohamed Belaali
(1) Le Monde du 7 et 8 septembre 2008, page 7.
(2) http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=43628
(3) Conférence de presse donnée par J. Negroponte au Pakistan le 18 novembre 2007.
(4) Tariq Ali dans Le choc des intégrismes. Textuel. 2002.
(5) Le Monde du 9 septembre 2008, page 6.
(6) Le Monde du 12 septembre 2008, page 5.
(7)Ibid
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