Zimbabwe : comment Mugabe fait pour gagner ?
Il semble bien que Mugabe s'est à la fois appuyé sur la redistribution des terres et la discrimination des villes, jusqu'à écarter certains de ses votants.
RFI, la radio française internationale, écrit à propos de Mugabe ceci :
" Le candidat-président se pose en champion du nationalisme noir, incarné par sa politique d’indigénisation des firmes étrangères qui opèrent dans le pays (détention de 51% des capitaux par des citoyens zimbabwéens de souche). Robert Mugabe défend également le bilan de ses réformes agraires, qui ont profité à la population rurale et ont permis, proclame-t-il en faisant écho à des études universitaires récentes, l’émergence d’une classe de fermiers noirs aujourd’hui prospères.
D’ailleurs, si l’on en croit les statistiques avancées par les organisations internationales, le secteur agricole au Zimbabwe - qui emploie environ un million de personnes contre 400 000 avant les réformes - semble avoir renoué avec sa productivité d’antan. Longtemps vilipendées par les critiques, les réformes agraires engagées par le camp Mugabe se sont révélées être un outil de transformation sociale ".
Or, ce n'est pas vraiment ce qu'indique d'autres études que l'on peut trouver sur Finances.net :
" (…)
Sur le plan social, le partage des terres a permis à des centaines de milliers de Noirs pauvres de devenir propriétaires et d'augmenter leurs revenus.
Le secteur agricole emploie aujourd'hui environ un million de personnes contre 400.000 avant la réforme, et de récentes études témoignent d'une nette reprise de la production.
Mais d'un strict point de vue économique, l'agriculture zimbabwéenne, autrefois florissante, reste très en dessous de ses niveaux des années 1990, le pays est toujours en état de déficit alimentaire et une partie de la population a souffert de disette cette année encore.
(…) Début 2013, le Programme alimentaire mondial (PAM) estimait que 1,7 million de Zimbabwéens, soit un cinquième de la population rurale, avaient besoin d'une aide alimentaire d'urgence. Dans un pays qui fut longtemps le grenier à blé de l'Afrique australe.
(…)
Après une décennie de chaos, les chiffres de production semblent cependant repartir à la hausse. La production de tabac, qui avait atteint son point le plus bas depuis l'indépendance en 2006, avec 56.000 tonnes, a rebondi cette année à environ 160.000 tonnes. "Le tabac a atteint cette année 70% de sa production moyenne des années 90 (…), c'est un signe majeur de progrès", estime Sam Moyo, expert agronome.
Le maïs a également repris des couleurs, selon la Banque Mondiale, remontant à environ 85% de son niveau d'avant l'an 2000."
Qu'en pensent les "experts" dont parlent RFI et que cite Finances.Net ? Ceci :
" On peut dire que la réforme agraire a été un succès", affirme ainsi M. Moyo, co-auteur d'un ouvrage paru cette année intitulé "Réforme agraire au Zimbabwe : au-delà d'un capitalisme de colons blancs".
Et selon l'universitaire britannique Teresa Smart, des ouvriers agricoles qui, il y a quinze ans encore, survivaient à peine, sont aujourd'hui propriétaires et touchent un revenu équivalent à celui d'une infirmière ou d'un instituteur.
Après huit mois de recherches, note Mme Smart, "nous avons été incroyablement surpris de découvrir que les petits exploitants qui occupent la terre sont en train de réussir, au sens commercial du terme".
Pour le chercheur sud-africain Sabelo Ndlovu, "la réforme agraire n'a pas été le désastre que nous pensions être au début (…) Des gens ont vu leur vie changer grâce à l'accès à la terre, en fait ils sont maintenant prospères".
Si l'aspect social de la réforme peut ainsi être mis en valeur, ce n'est pas ce que retiennent les Blancs expulsés dans les années 2000."
Ce n'est pas l'avis de certains fermiers blanc expulsés cités par le même site :
"La vérité, dit Roy Bennett, dépossédé d'une plantation de café en 2004, "c'est qu'aujourd'hui le Zimbabwe connaît un déficit alimentaire, importe du maïs de Zambie, où les fermiers qui ont été chassés du Zimbabwe sont partis s'installer", assure-t-il."
D'autres sources sont plus nuancées :
" "Au Zimbabwe, peut-être cinq pour cent des terres sont allées à ceux qui ont des affiliations politiques. D'autres 15 pour cent sont allés aux fonctionnaires ou autres individus ayant des emplois dans l'économie urbaine. Les petits exploitants agricoles ont eu environ 80 pour cent des terres et ils s'en tirent beaucoup mieux (que le reste). Ceci pourrait être dû au fait que leur agriculture est beaucoup plus basée sur une main-d'œuvre abondante et dépend moins des intrants et carburants achetés qui font défaut en raison des problèmes économiques plus généraux", a déclaré Cousins.
Alors que le Zimbabwe est à maints égards considéré comme un échec économique, certains chercheurs voient un rayon de lumière émerger dans le secteur agricole du pays. Selon Ian Scoones, un chercheur de l'Institut des études sur le développement de l'Université de Sussex, au Royaume-Uni, beaucoup de fermiers se débrouillent étonnamment bien.
" Évidemment, il y a eu des échecs, notamment dans les régions où une agriculture fortement capitalisée a été reprise, ou dans les régions où des relations commerciales longtemps entretenues ont été sapées comme, par exemple, dans la filière tabac ou horticole. Il faudra du temps et des ressources pour remettre tout ceci à flot.
Mais dans d'autres régions, où de petits fermiers ont repris les terres — en dépit de toutes les difficultés, y compris l'absence de crédit, le manque d'infrastructures adéquates, la récurrence de la sécheresse — beaucoup de fermiers avec des terres nouvellement acquises s'en tirent étonnamment bien. Ils investissent dans la construction de nouvelles maisons, constituent des troupeaux de bétails, et font d'abondantes récoltes au cours des années où les pluies sont bonnes".
Cependant, l'instabilité économique et l'hyper-inflation ont eu un effet dévastateur sur l'agriculture. La flambée des prix du carburant et des produits alimentaires a rendu les coûts des intrants et du transport prohibitifs et les sources de crédit ont tari. "Ceci a compromis l'installation de nouvelles entreprises agricoles, notamment dans les petites implantations commerciales", a expliqué Scoones. "Ceux qui ont besoin de moins d'intrants, et qui sont moulés dans des réseaux plus localisés d'implantations de petites exploitations agricoles, s'en tirent mieux, mais là encore, ces derniers temps ont été durs pour tout le monde".
Il a ajouté : "La réforme agraire au Zimbabwe comporte beaucoup d'aspects positifs et d'importantes leçons pour la région, y compris le potentiel réel des petites exploitations agricoles si elles sont appuyées. Il y a également la possibilité d'une économie entrepreneuriale locale dynamique avec l'émergence de nouveaux acteurs sur le marché".
"Il y a de multiples exemples de réussite au Zimbabwe à côté des exemples d'échec qui sont plus étudiés. Mais la réussite doit être entretenue et appuyée, et ceci ne viendra qu'avec une stabilité politique et économique soutenue"."
Qu'en penser ? Remarquons pour commencer que le taux de chômage oscille entre 80% pour RFI et 90% fin 2012 pour d'autres sources.
Observons par ailleurs selon le site de l'Encyclopédie Universalis que la population rurale avoisine en 2009 les 62, 2 % et la population urbaine 37,8%.
Or, observons que selon d'autres sources concernant les élections du 31 juillet 2013 que Mugabe prétend avoir gagné, un million de votants urbains n'aurait pas été listé selon une ONG comme le révèle Le Parisien :
"Selon l'ONG Zimbabwe Election Support Network, un million d'électeurs n'ont pas pu voter dans les bastions de Morgan Tsvangirai. Il y a 6,4 millions d'inscrits sur les listes électorales. Mais de très nombreux électeurs des villes – traditionnellement hostiles à M. Mugabe – n'ont notamment pas trouvé leur nom dans leur bureau de vote habituel, ou sur les listes électorales. Le registre n'a été rendu public que la veille du scrutin, sans vérification sérieuse possible, ni recours.
Le MDC, le parti du Premier ministre zimbabwéen Morgan Tsvangirai et principal opposant à Mugabe, ne reconnaîtra pas le résultat des élections. « Nous avons décidé de rejeter ces élections et ses conséquences, ce qui inclut le gouvernement qui en résultera. Nous le rejetons totalement et nous ne le reconnaîtrons pas », a expliqué Douglas Mwonzora, un responsable du parti après une réunion du comité central."
Notons également ce qu'en dit Le Monde :
" Le groupe d'observateurs de l'Union africaine remarque, par exemple, que 37 % environ de bulletins supplémentaires ont été imprimés (8,7 millions pour 6,4 millions d'inscrits). L'organisation a aussi noté qu'un grand nombre d'électeurs n'avaient pu voter, leur nom ayant disparu des listes, ce dont ont pu témoigner également les rares journalistes étrangers accrédités (faute d'accréditation, les journalistes arrivant au Zimbabwe sont généralement arrêtés et expulsés), ainsi que de noms figurant, à l'inverse, plusieurs fois sur les listes."
Observons enfin que le timide redressement économique a été aussi l'apanage de l'opposition au pouvoir comme l'observe RFI dans le même article :
"C’est avec la mise en place en 2009 d’un gouvernement d’union nationale réunissant le parti de M. Mugabe, le Zanu-PF, et le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de M. Tsvangirai, que le Zimbabwe est progressivement sorti de la crise. Cette coalition gouvernementale, imposée par la communauté internationale, a réussi à juguler l’inflation en mettant temporairement la monnaie nationale (le dollar zimbabwéen) à l’écart et en adoptant comme monnaies d’échange le dollar américain et le rand sud-africain. L’assainissement de l’économie zimbabwéenne, qui a renoué avec la croissance dès 2009, a également encouragé les investisseurs étrangers à revenir, eux qui avaient abandonné le pays au plus fort de la crise ".
Il n'est pas sûr que cela soit le cas désormais note une autre source :
"Selon le Conseil des consommateurs du Zimbabwe, 85 entreprises ont fermé les portes à Harare, la capitale, en 2012 et plus de 100 ont cessé leurs activités à Bulawayo, dans le sud, entre 2009 et 2013.
Araj Mouri, un homme d'affaires indien basé au Zimbabwe, déclare à IPS : "Nous ne pouvons certainement pas faire confiance à un parti dont le but est d'avoir les mains sur nos investissements sans apporter son propre capital. Nous regardons donc ce théâtre d'élection avec scepticisme".
Claris Madhuku, directrice de la Plateforme pour le développement de la jeunesse, un groupe de pression pour la démocratie, convient que la politique d'indigénisation et d’autonomisation économique de la ZANU-PF a échoué et affirme qu'elle a provoqué un "désordre dans le pays, avec beaucoup de personnes liées au parti, qui se bousculent pour s’emparer des entreprises appartenant aux étrangers".
Dans un autre article la même source relate ceci :
"Nous sommes dans une situation d'insécurité alimentaire puisque nous sommes toujours dépendants de l'aide alimentaire internationale et des importations de maïs", a expliqué Bloch à IPS. "Nos projections de maïs pour la saison 2012-2013 sont en dessous de trois millions de tonnes, pourtant notre besoin national est de 1,8 million de tonnes. C'est pourquoi nous importons 1,5 million de tonnes de la Zambie et d'autres pays".
Le Programme alimentaire mondial estime que jusqu'à 1,6 million de Zimbabwéens auront besoin d'aide alimentaire après une mauvaise récolte des petits agriculteurs qui contribuent pour environ 50 pour cent à la récolte nationale de maïs.
"Les seules fois que le gouvernement a mis beaucoup de ressources dans l'agriculture, c’est au cours des années électorales pour des raisons évidentes", a souligné à IPS, Peter Gambara, un économiste agricole et fermier."
Quelle conclusion, provisoire, en tirer objectivement ? Mugabe espérait que la Grande Bretagne finance sa réforme agraire, voilà pourquoi en veut-il tant à Tony Blair.
Il semble bien que Mugabe s'est à la fois appuyé sur la redistribution des terres et la discrimination des villes, jusqu'à écarter certains de ses votants. La redistribution a plutôt profité aux fermiers qui se sont débrouillés par eux-mêmes selon les sources citées plus haut. Ce qui fait dire que le retour au marché du fait de l'impossibilité de l'État à tout contrôler évite paradoxalement le pire au niveau alimentaire. Cela fait penser à la NEP impulsée par Lénine après 1917. Mais ensuite cette accalmie a été étouffée par la collectivisation qui a eu en URSS les résultats que l'on sait avec l'écrasement, par millions, des paysans aisés et moyens.
Est-ce que la victoire supposée de Mugabe va aller dans ce sens en montrant du doigt les paysans rendus "prospères" ? Il semble par ailleurs vouloir nationaliser les derniers secteurs encore libres. Va-t-il faire de même pour l'agriculture en reprenant d'une main ce qu'il a concédé de l'autre ? Avec un taux de chômage oscillant entre 80 et 90% et plusieurs millions de personnes ayant fui en Afrique du Sud et ailleurs il n'est pas sûr que la fuite en avant vers une plus grande concentration de la propriété soit la solution. En même temps Mugabe incarne une politique qui peut faire tâche d'huile en Afrique du Sud, à savoir prendre les blancs comme cause absolue des malheurs africains.
C'est bien l'enjeu qui se trouve par ailleurs avoir des répercussions mondiales : par un clientélisme judicieux s'appuyant sur les impasses de la colonisation anglaise (impasses également perceptibles ailleurs dont l'Algérie) Mugabe arrive à s'appuyer sur les contradictions sociales et politiques pour exercer une emprise qui à terme va cependant aggraver tout d'abord la situation urbaine puis la situation paysanne, et, enfin compliquer la volonté de réformes "arc en ciel" de par le monde.
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