Zoom sur une jeunesse en péril : le cas de la République démocratique du Congo
Dans les rues et les quartiers populaires de la ville de Kampala, capitale de l’Ouganda, affluent de nombreux jeunes RD Congolais désoeuvrés et en quête d’emploi depuis que leur pays, la République démocratique du Congo (RDC), nom actuel de l’ancien Congo belge, qui fut dans le passé nommé Zaïre, traverse une crise multiforme à travers laquelle le nerf moteur reste un chronique déficit démocratique.
Les événements qui l’ont frappée dès son indépendance, le 30 juin 1960, puis les 32 ans de dictature du président Mobutu, et enfin les échecs de ce qui été initialement perçu comme une guerre de libération prometteuse, menée par Laurent Désiré Kabila, ont successivement appauvri sa population, assombri les rapports inter-communautaires et jeté sur le chemin de l’exil des pans entiers des populations actives.
Ces jeunes hommes, que l’on rencontre autour des marchés, restaurants, bars et autres lieux commerciaux à Kampala, appartiennent à une catégorie bien spécifique de la vaste configuration ethno-démographique congolaise ; une catégorie doublement victime du racisme ethnique et de la violence meurtrière qui ravagent la région des grands lacs africains. Il s’agit des Banyarwanda, venus de la collectivité du secteur de Bwisha, dans l’Est du Congo adossé au Ruanda et à l’Ouganda. Ils sont connus aussi sous l’appellation de Banyabwisha ou Banyarutshuru (Rutshuru étant le nom de leur territoire d’attache en RD-Congo).
Un peu d’histoire.
Quel est ce peuple Banyarwanda qui a fait couler autant d’encre de son sang, dans cette région interlacuste ?
Cette communauté est composée principalement de deux groupes sociaux -les Hutu et Tutsi, probablement d’origine différente, mais depuis homogénéisés -ce qui ne signifie pas unifiés- et biologiquement partiellement mélangés -ce qui ne veut pas dire fusionnés.
Il est intéressant de noter qu’il n’existe pas de clans Tutsi ni de clans Hutu, tous les clans sont tranversaux, comprenant Tutsi et Hutu, et les deux composantes parlent une langue commune, le kinyarwanda, vivent sur un territoire commun, et partagent une même culture.
La composante Hutu constitue essentiellement une masse de remarquables agriculteurs, alors que la Tutsi complémentaire s’adonne avec excellence à l’élevage des bovins, de type traditionnel. Ce qui ne manque de créer quelques frictions, que l’on retrouve naturellement entre toutes communautés d’éleveurs et agriculteurs du monde, surtout en cette Afrique des grands lacs où la notion de terres vacantes n’existe pas dans les structures socio-économiques des peuples.Tous les espaces, même inhabités, appartiennent à des propriétaires.
L’espace territorial habité par le peuple banyarwanda s’est retrouvé cannibalisé, avec l’établissement de frontières des nouveaux Etats africains, et partagé au profit de trois pays nouvellement créés. Aujourd’hui , nous les retrouvons en Ouganda, au Ruanda et en République démocratique du Congo.
Au Congo,une bonne partie du Bwisha, fertile terre ancestrale de ces populations d’expression kinyarwanda, a été soustraite de l’exploitation humaine lors de la création, en 1925, du parc animalier de Virunga, par le pouvoir colonial belge. Cela a augmenté la prosmicuité entre habitants et aiguisé quelque peu les enjeux fonciers. Enfin, ici, le Tutsi n’est pas souverain et seigneur comme il l’a été au Ruanda voisin, il travaille et vit dans des villages isolés comme éleveur de bovins et caprins à côté des Hutu cultivateurs, et cela d’une manière non confictuelle.
Un long calvaire.
Alors qu’au Ruanda, un violent clivage bipôlaire opposant les deux groupes sociaux les a cristallisés ou figés en ethnies belligérantes, et a conduit à un sanglant génocide ayant fait plus de 500 000 victimes en 1994, la communauté banyarwanda en RD-Congo, elle, affronte le rejet sournois généralisé des autres populations, dites autochtones, de l’Est du Congo, un rejet instrumentalisé par l’élite locale, intellectuelle, affairiste ou politique, qui a malheureusement et fortement pris racine dans les croyances populaires. Cette élite attise avec dextérité la braise « ethniste » et tire profit de la dévastation généralisée qui s’ensuit. La lutte fractionnelle pour le contrôle politique a contribué à façonner les distinctions ethniques au sein de la société congolaise, et notamment au Kivu oriental, qui leur dénie l’appartenance à la nation congolaise, car ils sont considérés comme Ruandais, c’est-à-dire citoyens de la République ruandaise voisine, et donc non éligibles en RDC.
- La longue guerre meurtrière qui a opposé le Ruanda à la RD Congo a été un véritable désastre pour cette communauté. Elle est venue laminer profondément les difficiles rapports préexistants entre les populations dites autochtones et le bloc banyarwanda, qui est considéré désormais comme « l’avant-garde de l’agression ruandaise en RDC »
- L’armée ruandaise, composée en grande partie des orphelins tutsi rescapés du génocide prédateur et ravagés par la haine envers les Hutu, à son entrée en RD-Congo en 1996, a accompli plusieurs forfaits et massacres sur la composante hutu de ces Congolais d’expression kinyarwanda considérés comme « l’arrière-base des forces génocidaire de 1994 en fuite dans les forêts montagneuses du Kivu oriental et qui rêvent de reprendre le pouvoir par les armes au Ruanda ».Cette communauté a payé le prix fort : plusieurs fosses communes sont découvertes sur le territoire de Bwisha, et son élite affairiste a été sélectivement et froidement décimée. Cette communauté, victime d’un mécanisme de répulsion réussi, est prise entre le marteau ruandais et l’enclume congolaise, et la seule issue de sa jeunesse reste l’exil : l’exil vers l’Ouganda voisin, où elle est livrée à de petits travaux domestiques, afin de subvenir aux besoins des parents qui sont soit cantonnés dans des camps UNHCR en Ouganda, soit restés au pays, mais ne pouvent pas accéder à leurs champs -source première et principale de leur susbistance- pour des raisons d’insécurité généralisée qui persiste sur leur territoire, et orchestrée par des milices et des hommes en uniforme de tout bord.
A leur arrivée en Ouganda, ces Congolais d’expression ruandaise sont recueillis par les services de l’UNHCR qui leur appliquent au préalable un schéma typiquement « ruandais » vu autrefois dans les camps à l’Est du Congo de 1994-1996 : les familles tutsi et hutu sont internées séparément, dans des camps différents, comme si la raison de leur exil forcé était un conflit intra-ethnique au sein de leur communauté, comme au Ruanda. L’onde de choc du génocide ruandais a porté loin son schéma « ethniste ». Il est toutefois vrai que des frictions entre les deux groupes ont été amplifiées et envenimées par la méconduite de l’armée ruandaise, pendant les sept années de l’occupation d’une partie du territoire congolais.
Les conditions d’existence dans les camps poussent la jeunesse à tenter sa chance dans les centres urbains en place, à attendre, la main tendue, la charité internationale qui devient de plus en plus rare en raison de l’apparition d’autres crises humanitaires mieux médiatisées à travers le monde.
Marginalisation à craindre.
Cette jeunesse, d’origine essentiellement rurale, et corvéable à merci, au contact des réalités urbaines est exposée aux maux sociaux propres au grands centres urbains : drogue, trafic humain, exclavagisme moderne, prostitution... Elle court un péril certain, si elle ne connaît aucune insertion ou encadrement approprié, et ira grossir à coup sûr le nombre des laissés-pour-compte et marginaux créés par le libéralisme économique ougandais ; le travail est précaire, en Ouganda.
La jeunesse désoeuvrée ou sous-employée reste un terreau idéal pour la diffusion et l’extension des thèses extrémistes, et une source potentielle d’autres mésaventures ethno-nationalistes stériles et sanglantes. Ce qui ne serait pas sans conséquences fâcheuses...
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