J’ai vécu à une époque, avant la
Révolution des années 1960, où parler français à Montréal était un privilège
concédé aux populations pauvres et catholiques. La situation
était telle que plus de 85 pour cent des nouveaux arrivants au Québec optaient
pour l’école anglaise et, malgré les premiers fruits de la Révolution
tranquille, 80 pour cent des entreprises québécoises demeuraient à propriété
anglophone. La langue française au Québec doit sa survivance en grande partie au clergé qui protégeait les
canadiens français de toute influence extérieure - non en raison de la langue
mais en raison du fait des autres religions qui avaient
pour usage la langue anglaise ou une autre langue (hébreux, grecque, russe ou
autre). En 1967, la commission scolaire de Saint-Léonard, sur l’Île de
Montréal, statue que les enfants d’immigrants tombant sous son autorité n’ont
accès qu’à l’enseignement en français. L’opposition des anglophones pousse le
gouvernement de l’UNION NATIONALE à présenter le projet de loi 85, dont l’étude
ne va cependant jamais au-delà de l’étape de l’étude en commission
parlementaire. En situation de crise linguistique, le gouvernement du Québec
décide alors de réagir : La commission Gendron fut alors mise sur pied pour
enquêter sur les problèmes linguistiques au Québec.
Entre temps, des compromis
proposés par l’administration scolaire de Saint-Léonard provoquent des
manifestations violentes, et le gouvernement, en panique, dépose le projet de
loi 63 sans attendre les recommandations de la Commission. Le projet de loi
suscite un mouvement d’opposition sans précédent au sein de la population
francophone du Québec, qui y voit une intervention beaucoup trop modérée. La
Loi pour promouvoir la langue française au Québec, aussi appelée loi 63, est
finalement adoptée sous le gouvernement de l’Union nationale de Jean-Jacques
Bertrand, le 20 novembre 1969. Bien qu’elle n’aborde principalement que la
question de la langue d’enseignement, il s’agit alors de la politique
linguistique la plus étoffée jamais adoptée au Québec.
La nouvelle loi, appelée loi 63,
consacre le libre choix d’enseignement. En quelque sorte, les parents peuvent
envoyer leurs enfants dans des écoles de leur choix, anglaises ou françaises.
La loi 63 proposait par contre des mesures incitatives afin de promouvoir
l’usage de la langue française. Cette loi sème par contre l’indignation parmi
les rangs des nationalistes, qui en débattront lors de manifestations jusqu’à
l’aube des élections de 1970. A l’Assemblée nationale, René Lévesque et Yves
Michaud mènent un long combat, en vain, contre cette législation qui obligeait
les commissions scolaires à donner les cours en français mais accordait,
surtout, le libre choix de la langue d’enseignement aux immigrants.
En 1972, la Commission d’enquête sur la
situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec
remet au gouvernement libéral de Robert Bourassa son rapport et propose l’idée
d’une politique de francisation des domaines du commerce et du travail et de
faire du français la langue officielle tout en décrivant l’anglais « langue
nationale ». La Loi 22, soit la Loi sur la
langue officielle, parrainée par le gouvernement libéral de Robert
BOURASSA, est adoptée par l’Assemblée nationale le 19 juillet 1974 et
sanctionnée le 31 juillet 1974. Désormais, le français est la langue de
l’administration, des services et du lieu de travail. La loi souligne également
que le français est la langue officielle de l’enseignement et exige que les
enfants des immigrants connaissent bien une des deux langues d’enseignement
dans les écoles québécoises ; sinon ; il faut fréquenter l’école française. Le
ministre de l’Éducation, François Cloutier impose des tests pour mesurer les
connaissances linguistiques des enfants d’immigrants. Ceux qui démontraient une
connaissance suffisante de cette langue avaient accès à l’école anglaise.
En 1976, l’arrivée du Parti québécois a eu un effet dévastateur auprès
des anglophones du Québec et auprès du reste du Canada (ROC). C’est ce gouvernement qui adopte la Loi 101, soit la Charte
de la langue française (1977), laquelle constitue le point culminant d’un débat qui
marqué par l’adoption de la LOI 63 (1969) et de la LOI 22 (1974). Elle fait du
français la langue officielle de l’État et des cours de justice au Québec, tout
en faisant du français la langue normale et habituelle au travail, dans
l’enseignement, dans les communications, dans le commerce et dans les affaires.
L’enseignement en français devient obligatoire pour les immigrants, même ceux
en provenance d’autres provinces canadiennes, à moins qu’un « accord de
réciprocité » n’intervienne entre le Québec et la province d’origine (ce qu’on
désigne comme la clause Québec).
La Charte de la langue française
a subi de nombreuses contestations judiciaires. Toutes sont venues de la part
des groupes de pressions anglophones ou du gouvernement fédéral. Les résultats
ont été plus que positifs pour la communauté anglophone qui a fini par gagner
sur presque tous les plans. Les décisions de la Cour suprême du Canada ont même
touché tous les articles majeurs de la loi 101, de telle sorte que les divers
gouvernements québécois ont dû modifier à plusieurs reprises la Charte de la
langue française. La loi la plus controversée fut la loi 178 (Loi modifiant la
Charte de la langue française de 1988) concernant la langue de l’affichage et
l’unilinguisme français, puis ont suivi la loi 86 (Loi modifiant la Charte de
la langue française de 1993), la loi 40 (Loi modifiant la Charte de la langue
française de 1997), la loi 171 (Loi modifiant la Charte de la langue française
de 2000) et le projet de loi 104 (Loi modifiant la Charte de la langue
française de 2002).
L’Assemblée nationale, après avoir
découvert l’existence d’une brèche dans la loi 101 qui permettait à des enfants
d’accéder à l’école anglaise régulière si leurs parents les envoyaient d’abord
dans une école anglophone privée non subventionnée, avait adopté la loi 104
pour colmater cette brèche. Comme le notait Le Devoir, non
seulement ce détour par l’école privée leur permettait-il un accès illimité à
l’école anglaise publique, mais il donnait ces mêmes droits à leurs frères et sœurs
ainsi qu’à leurs descendants. On estime que 4000 enfants auraient profité de
cette possibilité entre 1997 et 2002. Un groupe d’une vingtaine de parents
majoritairement allophones ont porté cette nouvelle disposition législative devant
la Cour d’appel qui vient d’invalider cette disposition législative.
Les deux juges anglophones de la
Cour d’appel ont notamment valoir dans le jugement qu’il y aurait d’autres
moyens de protéger la loi 101 et qu’il faut tenir compte d’un arrêt de la Cour
suprême de 2005 (l’arrêt Solski) selon lequel les
dossiers devraient être évalués individuellement en matière d’accès à l’école
anglaise. Le troisième magistrat, le juge Lorne Giroux, a estimé que les
amendements apportés par la loi 104 étaient justifiés.
Le lecteur pourra trouver un
historique complet sur l’histoire de la
langue française en Amérique par l’auteur Jacques Leclerc.
Pierre R.
Montréal (Québec)