Aux plumes, citoyens !
Prenons la connotation révolutionnaire du titre de cet article avec humour, personne ne veut tuer personne...Néanmoins, on sent actuellement l’émergence d’un affrontement intellectuel, entre ceux qui sont attachés à une presse professionnelle, à ses certifications, à ses processus de contrôle, et d’autres qui se sentent happés par le plaisir et l’intérêt qu’il y a à écrire / lire des textes, informatifs parfois, explicatifs parfois, argumentatifs toujours, proposés par des citoyens. L’incontestable dynamisme des échanges est un fait. Que la langue française soit un peu torturée ou un peu parasitée par des erreurs d’expression est un fait corrélé. Que souhaitent les rédacteurs, et que souhaitent les lecteurs, à propos des caractères du langage utilisé en ligne ?
Des journalistes professionnels s’inquiètent du vigoureux développement des échanges d’articles mis en ligne par des citoyens-rédacteurs -ne trouvez-vous pas d’ailleurs que ce retour du mot citoyen a un petit quelque chose de révolutionnaire ? Oh, non, ni cocarde, ni sang, mais, oui, un soulèvement de l’esprit qu’il est intéressant de chercher à analyser. Alors ceux qui sont passés par les académies du recrutement, écoles de journalisme et autres formations qualifiantes, parfois, s’énervent : les rédacteurs-citoyens seraient par exemple présomptueux, ou inconscients, victimes d’une hypertrophie de leur ego, ou incultes au point de ne pas percevoir les incompétences de leur plume. Bref, tout ce qui est journal -papier, télévisé, radiophonique, Internet- ne pourrait conserver crédibilité, sérieux et titres de noblesse qu’en restant produit dans le domaine réservé de la profession.
Le foisonnement des plumes citoyennes pose plusieurs problèmes : celui de la fiabilité des sources, celui de l’avenir de la profession de journaliste... intéressons-nous ici à un seul de ces problèmes, celui des torsions de la langue française. Depuis quelques semaines je me penche sur la correction des articles mis en ligne sur AgoraVox : qu’observe-t-on ? Deux choses : la première, c’est qu’il y a, allez, disons beaucoup d’erreurs de routine : coquilles, dérapages sur le clavier, négligences sur les accords, les accents...ces erreurs parasitaires n’appellent qu’une correction mécanique. En revanche, et c’est la deuxième observation, parfois, on est coincé par un problème de vocabulaire ou de syntaxe -d’organisation de la phrase- : oh il ne s’agit pas de la familiarité de l’expression, non, quand on est coincé, c’est que le sens est bloqué : alors le correcteur est pétrifié -mais oui !- : changer un mot dit « impropre », soit inadapté au contexte, ce n’est pas si facile : on sait bien que la synonymie rigoureuse n’existe pas : ne pas trahir, vieux souci des correcteurs et traducteurs ! Et les rugosités syntaxiques -voire carrément les incorrections grammaticales...que faire ? Parfois on peut réécrire la phrase sans trop de soucis, mais souvent quand on le fait, on incline le sens, on met en valeur autre chose que ce que l’auteur tenait à faire ressortir...délicate manipulation. Et si problème il y a, c’est parce que le journal en ligne est une situation de communication particulière. Qu’attendent les lecteurs ? Quelles formes du langage permettent l’agrément ?
Quand le lecteur internaute repère des erreurs d’expression, il bute, se rebute, et le site a mauvaise presse...normal, ça ne fait pas sérieux -on a baigné, bien souvent, dès le berceau, dans un discours moralisateur sur le langage : c’est « mal » de faire des « fautes » qu’on appelle parfois « barbarismes » (mais non, personne n’est « barbare » !!!)...-. Donc je crois que tous s’accordent sur la nécessité d’une expression considérée comme convenable.
Mais... trois soucis :
- Le premier, dans la mesure où cet écrit correspond largement à de l’oral transcrit, des lecteurs peuvent considérer comme convenables des formulations qui ne le sont pas -selon les règles académiques- : juste un exemple classique : « après qu’ils ont voté... » ou « après qu’ils aient voté... » ? Ce qui est correct, et logique, c’est « après qu’ils ont voté... » ; vous auriez fait ce choix ? Cet indicatif ne vous rebute-t-il pas ? Parallèlement des lecteurs peuvent éprouver comme incorrectes des tournures correctes... cf. le même exemple, ou l’emploi du mot ‘quelque’ dans un énoncé du type : « quelque trois mille personnes étaient présentes »
- Deuxième souci, dans la recherche d’une fluidité de la lecture des articles, éviter le pédantisme de l’expression, qui gèle le sens : et le respect strict de certaines règles de la langue nous y conduirait tout droit ! Par exemple, faudrait-il vraiment respecter les règles de concordance des temps, et écrire, imaginons, « Bien que de nouveaux éléments vinssent infirmer ses hypothèses, que nous tinssions à les prendre en compte et que les auditeurs crussent en leur authenticité, la commission statua comme elle l’avait prévu » : un lourd parfum d’archive, non ?
- Enfin, et on voit que les trois soucis sont liés, il faut absolument conserver tout ce qui rend l’expression des rédacteurs animée, vivante, non seulement pour des raisons techniques : la lecture d’un écran est inconfortable (verticalité, luminosité...) mais parce que c’est le cœur même du journal en ligne : dans les articles on perçoit souvent vivement les auteurs, je veux dire non seulement leur pensée, mais aussi les mouvements de leur sensibilité, les éclats de leurs sentiments...n’oublions pas que la fonction des articles est essentiellement argumentative : on connaît l’enchaînement : pour persuader il faut émouvoir, et pour émouvoir il faut s’exprimer corps et âme. Comme les rédacteurs-citoyens ne sont pas des écrivains -et ne prétendent pas l’être- l’animation de l’expression passe notamment par des libertés de vocabulaire et de syntaxe, qui donneront une impression de spontanéité, de chaleur. Le contraire d’une langue de bois.
Marie-Christine Poncet est en charge de la relecture des articles publiés sur AgoraVox afin d’en corriger les éventuelles fautes ou coquilles. Mais le style blog ou le style citoyen n’étant pas le style de la presse traditionnelle, elle s’interroge sur son rôle de correctrice et invite les lecteurs ainsi que les rédacteurs d’AgoraVox à exprimer leur opinion afin de l’aider dans cette « rude » tâche. N’hésitez donc pas à commenter cet article et à apporter vos avis et suggestions !
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