• Méfiance de la presse pour les blogs

Deux arguments sont avancés conjointement pour contester l’évolution contemporaine de la diffusion de l’information. En premier lieu, les informations qu’on trouve sur le web n’ont aucune garantie de qualité, cependant que le lecteur n’établit aucune hiérarchie, en second lieu. De la sorte, les informations fantaisistes et les analyses médiocres voisinent dans l’esprit du récepteur avec les informations de qualité. Alain-Gérard Slama faisait ainsi valoir la "dictature du relativisme" qui résultait de l’ère du numérique. Elisabeth Levy souligne encore que : "Sur le réseau mondial, tout le monde est journaliste, ce qui signifie que personne ne l’est." Le principal argument avancé à cet égard est le suivant : "En abolissant les distinctions, en éradiquant les hiérarchies, en refusant toute verticalité, Internet s’affiche comme hyper-démocratique."

Il y a sans doute, dans ces observations, une part de vérité, encore qu’elle doive être mesurée. S’il est vrai que le lecteur peut être tenté de ne pas établir de hiérarchie entre les sources d’information, il n’en reste pas moins qu’il se réfère encore principalement aux organes de presse traditionnels. C’est que la presse classique bénéficie d’une autorité que n’ont pas conquise encore les blogs.
Mais au fait, de quelle autorité s’agit-il ?

  • L’autorité de la presse

Dans le système traditionnel, l’organe de presse bénéficie d’une protection relative parce qu’il détient, non pas les instruments intellectuels, mais les instruments techniques qui lui permettent d’arbitrer selon l’importance qu’il estime devoir donner aux informations. Le temps est rare, en effet, pour les radios et télévisions. L’espace l’est tout autant pour la presse écrite. Autrement dit, la presse bénéficie d’un monopole technique sur les instruments de diffusion de l’information. Ce monopole garantit aux émetteurs de l’information une présomption de qualité, car on doit supposer que ce qui est rare résulte d’une sélection et de procédures de validation qui font office de garantie.

Si, cependant, la rareté impose des choix, rien ne garantit que ces choix répondent à un idéal informatif autre que l’opinion de celui qui émet les informations. Ainsi, en guise d’illustration, alors que la presse foisonne d’une actualité sur la "liberté d’expression", on n’y trouve guère l’éclairage que l’on pourrait attendre sur une notion exclusivement juridique. Il faudra, pour en connaître, s’en remettre à la consultation de blogs tels que celui de Frédéric Rolin. Une part des blogs (peut-être pas la plus grande part) sont nés de la méfiance (pour ne pas dire de l’accablement) devant la médiocrité de l’information délivrée par la presse traditionnelle.

Il ne faudrait pas conclure, cependant, que la presse ne propose pas d’information de qualité, mais il faut convenir que le seul système de validation médiatique ne la garantit nullement.

  • Hiérarchie et validation

Aussi bien, le principe de la hiérarchie n’est-il pas nécessairement remis en cause sur la toile. Mais les lecteurs peuvent estimer qu’à tout prendre, le commentaire de l’actualité sera opportunément éclairé par des spécialistes (juriste, économiste, que sais-je), plus que par des journalistes qui ne tiennent plus guère leur autorité que de leur appartenance à un organe de presse. Ce n’est pas que la hiérarchie disparaît, c’est qu’elle s’organise sur d’autres critères.

Pour autant la presse n’a pas renoncé à l’instrument de validation que constitue la technique (verticale) de diffusion de l’information. Ou si l’on préfère : les émetteurs de l’information tiennent leur autorité de ce qu’ils sont issus d’un processus de sélection médiatique. Ils rechignent à envisager que ce processus puisse produire une information de qualité discutable, d’une part. Ils rechignent encore à considérer que des processus concurrents (les blogs) puissent produire une information de qualité équivalente, voire meilleure.

Faisons du reste une hypothèse fragile et gratuite. Si la presse visite les blogs, et peut-être en tire une source d’information, elle hésite à y intervenir et proposer son jugement. Car les blogs ne bénéficient pas encore de l’autorité que leur confère la popularité. "Mais alors, objecterez-vous, d’où vient que Christophe Barbier intervient sur le blog d’Eolas  ?" Eh bien, peut-on répondre, c’est qu’Eolas n’est pas un inconnu de la blogosphère, il s’en faut de beaucoup - célébrité partiellement assurée par des références dans la presse écrite et radiophonique, ce qui n’enlève rien à la qualité intrinsèque du blog. On pourrait même dire que sa popularité peut lui assurer la qualité d’instance de validation blogosphérique. C’est pourquoi, on peut faire l’hypothèse (gratuite et fragile) que Christophe Barbier s’en est allé poster sur le blog d’Eolas pour assurer (ou ne pas fatiguer) sa propre autorité journalistique. Il est juste de rappeler, cependant, qu’Eric Dupin est venu discuter sur diner’s room, qui ne saurait prétendre une telle popularité ; à sa décharge, on l’avait pris à parti.

  • Blogs et validation

Il est notable que les modalités de circulation de l’information sur les blogs (en particulier) supposent que les lecteurs puissent proposer des observations, commentaires et critiques des propos de l’émetteur de l’information. Sans doute sont-ils de qualité variable, mais on peut les rapprocher de la méthode de diffusion de la connaissance scientifique. Dans le domaine universitaire, en effet, les opinions et arguments sont soumis à la critique publique. Critique de pairs, il est vrai, mais elle-même fait l’objet de jugements et de discussions. On arguera que la communauté scientifique a ses propres procédures de validation qui excluent du débat le tout un chacun pour le réserver à ceux qui ont fait leurs preuves dans le monopole de la critique.

Convenons-en, mais il reste que l’opportunité de contestation et de rectification qu’offrent les blogs peut assurer au lecteur une confiance (certes relative) dans la qualité de l’information délivrée. Les blogs ne sont pas exempts d’erreurs (mes visiteurs ne l’ignorent pas), mais ils subissent le contrôle de lecteurs exigeants, qui n’hésitent pas à pointer et souligner les erreurs. On ne dira pas que l’expérience est agréable, mais elle permet un processus de décantation d’une part, et le pluralisme des appréciations grâce auquel on peut prétendre être mieux informé.

Les plus sceptiques de mes bons lecteurs auront noté que le monde numérique n’était pas immunisé contre les vices des mass media. Ainsi la campagne référendaire a-t-elle montré que la célébrité ne garantissait pas sur la toile une production de la meilleure des qualités. Le lectorat, cependant n’est resté insensible aux trompettes de la renommée. Sans doute. Mais il reste que les médias classiques n’ont pas su proposer une information plus éclairée, loin s’en faut. Et à tout prendre, on pouvait préférer les méandres incertains de la toile aux imprécisions (souvent péremptoires) des sources traditionnelles.

Article préalablement publié sur diner’s room

L’intervention de Christophe Barbier sur Eolas

L’intervention d’Eric Dupin sur Diner’s room