Coffe viré de France Inter ?

Pleurez pas la bouche pleine ! Ne dites plus Ça se bouffe pas, ça se mange, mais ça se bouffait pas, ça se mangeait. Car officiellement, Jean-Pierre Coffe, 70 ans, part à la retraite. Officiellement ? « La direction générale de France Inter s’est aperçue que j’avais droit à la retraite depuis cinq ans », a expliqué Coffe au terme de la 413e et ultime de Ça se bouffe pas, ça se mange samedi 21 juin. Une raison écartée par le directeur de France Inter, Frédéric Schlesinger, qui préfère évoquer une décision stratégique. Une nouvelle affaire Bouvard en perspective ?
Ça se bouffe pas, ça se mange, c’est fini. Jean-Pierre Coffe l’a paraît-il appris au hasard d’un coup de fil, quelques jours avant sa dernière. Selon le producteur-animateur, la raison officielle serait sa mise à la retraite.
Interview vidéo exclusive de Jean-Pierre Coffe réalisée par Olivier Bailly
Bizarrement, pour le directeur de la station Frédéric Schlesinger que nous avons contacté, ce départ ne serait pas lié à son âge. Le directeur de la chaîne nous a même avoué benoîtement que Coffe est producteur délégué, donc intermittent (ce qui au passage nous rappelle que les producteurs de la radio publique conservent toujours ce statut…).
Or, si Coffe est intermittent, cette question de la retraite ne devrait pas se poser. Rien ne peut l’empêcher de travailler jusqu’à la fin de ses jours (pour mémoire, José Arthur a quitté la station l’an passé, à l’âge de 80 ans…). Cette décision pourrait donc être un prétexte sur laquelle ni France Inter ni Coffe ne souhaitent insister ni communiquer… Le départ de Jean-Pierre Coffe, d’après M. Schlesinger, n’est pas dû non plus à l’audience (2,2 % sur le 12/13 heures en 2008 contre 3,4 % en 2007, chiffres communiqués par Frédéric Schlesinger).
Alors, si ce n’est la retraite ni l’audience c’est quoi, puisque apparemment la direction entretenait les meilleures relations du monde avec Coffe : « France Inter se réjouit, nous explique Frédéric Schlesinger, d’avoir travaillé avec Jean-Pierre. Cette collaboration, c’était un vrai bonheur. Le départ de Jean-Pierre Coffe est une décision d’ordre stratégique sur la réforme du week-end. Nous avons la nécessité de renouveler les démarches, nous nous devons de préparer l’avenir ».
Une décision stratégique, donc. Mais qui a à y gagner ? Jean-Pierre Coffe et France Inter, peut-être. Certainement pas les auditeurs.
Selon Jean-Pierre Coffe, l’idée de Ça se bouffe pas, ça se mange viendrait de lui, mais toujours selon lui, France Inter aurait déposé le nom, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes juridiques. Peut-on imaginer que l’émission pourrait continuer sans Coffe ?
Frédéric Schlesinger explique : « Il n’y aura pas d’émission du même type. On ne veut pas refaire la même émission avec quelqu’un d’autre ». Exit la défense du consommateur sur Inter. Exit aussi une figure populaire du paysage radiophonique.
Ce qui n’est pas sans rappeler quelque précédent comme l’affaire Philippe Bouvard sur RTL : « À la fin de l’année 1999-2000, la direction de la radio RTL décide de rajeunir l’antenne, et Bouvard se retrouve "remercié" par son employeur, remplacé par Christophe Dechavanne. L’animateur se retrouve à la rentrée sur la radio Europe 1, avec une chronique matinale quotidienne, et une intervention en tant que chroniqueur dans l’émission On va s’gêner de Laurent Ruquier. Dechavanne n’arrive pas à s’imposer dans la case horaire, et Bouvard est rappelé pour une reprise des Grosses Têtes le 26 février 2001 » (source Wikipédia)…
Avec Coffe, une figure historique de la radio s’en va. Ce n’est pas la seule. Cette semaine, Jean-Louis Foulquier aurait fait un malaise en apprenant que son émission ne serait pas reconduite à la rentrée (Frédéric Schlesinger nous a confié, sans nous en dire davantage – la grille de rentrée sera dévoilée la semaine prochaine – que Foulquier resterait malgré tout à l’antenne).
Ça se bouffe pas, ça se mange, meilleure audience du week-end, d’après Jean-Pierre Coffe, n’était pas une simple émission de gastronomie. Elle ne se contentait pas de donner de bonnes recettes à réaliser chez soi. Jean-Pierre Coffe et son équipe avait le chic pour dénoncer la malbouffe pas seulement dans nos assiettes, mais dans celles de nos enfants dans les cantines, celles des prisonniers ou celles des malades dans les hôpitaux.
Véritable émission d’utilité publique qui savait joindre l’utile à l’agréable, elle suivait de près les évolutions socio-économiques (« quel avenir pour le commerce de proximité » « les femmes et le vin », « la vie est-elle aussi chère que l’opinion le prétend ? »), voire les modes culinaires (« le fooding »), se préoccupait du bio, de l’environnement, de la santé (« obésité, y a-t-il un remède ? », « que deviennent les emballages alimentaires ? »), sans oublier les inévitables et toujours bienvenus conseils au consommateur (« fruits et légumes d’été, où les acheter à bon prix ? », « le repas le moins cher ») tout en démasquant les impostures et les arnaques diverses et variées.
Pour cela Coffe allait à la confrontation. Ses propos incisifs, ses attaques argumentées contre les tenant de l’industrie alimentaire feront date. Qui désormais reprendra ce flambeau ? Ça se bouffe pas ça se mange perdurera-t-elle sur le service public ? Et même si c’est le cas, aura-t-elle le même impact sans son célèbre chef au fourneau ? Il nous est permis d’en douter. Si elle continue, elle sera inévitablement vidée de sa substance.
Bien sûr, on peut toujours adresser des reproches à Coffe qui aurait vendu son âme au diable. Attaques sans doute justifiées, mais, dans notre beau pays, « un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure » (Ernest Picard)... Sur Agoravox aussi, on ne se prive pas de le moquer ici ou là. Jusqu’au jour où l’on s’apercevra que, sur France Inter, les grandes gueules type Frédéric Bonnaud, Daniel Mermet sont virés ou remisés dans des coins de grilles inaccessibles au plus grand nombre… Quand il n’y aura plus la grande gueule de Coffe pour voler dans les plumes de tel ou tel lobbie agro-alimenteur, on regrettera peut-être Coffe dans un bel élan nostalgique, tels que seuls nous sommes capables d’en avoir, en France.
Certains n’aiment pas le ton de Jean-Pierre Coffe, son apparence bourrue représentative du Français moyen. C’est leur droit, mais c’est une erreur de le confondre avec ce type de personnage. Bourru, certes, mais jamais fataliste ou aquoiboniste. Combatif. Et entouré par une équipe de choc.
Pour les citoyens que nous sommes c’est en quelque sorte la victoire (momentanée) de ceux qui prétendent nous gouverner jusque dans nos assiettes, de tous ceux qui nous intiment l’ordre de nous engraisser comme des porcs et de ne surtout pas parler la bouche pleine.
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