Confessions intimes – partie 2 : décadence et déclin créatif de la TV française
Dans le chapitre précédent, nous avons décrypté les mécanismes de Confessions intimes et de ses avatars, ces magazines-vérités qui gangrènent la télévision française actuelle. D’aucuns diront qu’il suffit de ne pas regarder ces émissions. Mais il faut voir la réalité en face : si ces concepts sont déclinés à l’infini, c’est parce que les programmes sont regardés. Un constat d’autant plus déplorable que Confessions intimes et les émissions du même genre colportent des stéréotypes pernicieux, quand ils ne montrent pas des images franchement dérangeantes...
L’opération Confessions intimes orchestrée par Rémi Gaillard (voir notre article précédent : http://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/confessions-intimes-partie-1-134519) a fait grand bruit : un responsable de TF1 a déclaré au Huffington Post qu’il n’excluait pas une action en justice pour diffamation, avant que l’humoriste publie sur sa page Facebook plusieurs des SMS bourrés de fautes d’orthographes que la journaliste avait envoyés à Ludivine et Aurélien pendant le tournage. Bref, la crédibilité de l’émission en a pris un coup. Pourtant, l’aventure continue sur TF1 : Confessions intimes persiste à nous gratifier chaque semaine de reportages tournant autour de ses thématiques préférées.
Mais au fait, quelle est la cible de ces programmes ? En s’attardant sur les publicités ponctuant leur diffusion, l’abondance de spots dédiés aux produits de régime, de beauté ou de ménage laisse penser que le cœur de cible est féminin. Oui, mais nous parlons bien du cœur de cible et pas forcément du public dans sa globalité. Il n’y a qu’à voir, pour s’en convaincre, le nombre de sujets dédiés à des (très) jeunes filles fières de leur physique et s’exhibant complaisamment devant les caméras. Ces sujets sont loin d’être les seuls à s’accompagner d’une désagréable sensation de déjà-vu : sous couvert de s’intéresser aux individus, Confessions intimes s’appuie en réalité que sur un nombre limité de thèmes. Très limité, en fait.
PRÉCIS SCÉNARISTIQUE DE CONFESSIONS INTIMES
Je me suis livrée à un petit inventaire des scénarios-types de Confessions intimes, sujets que l’on retrouve d’ailleurs plus ou moins à l’identique dans tous les C’est ma vie (M6), 100% mag (M6), Tellement vrai (NRJ12) et autres joyeusetés. A la manière des genres cinématographiques, ces sujets récurrents possèdent leurs codes, leurs archétypes, et à force de répétition, colportent les pires clichés sur les femmes comme sur les hommes. Ainsi, pour les femmes, on balancera entre la mère ou la salope, tandis que les hommes devront choisir leur camp entre l’insupportable macho et la lavette. L’opposition citadins vs provinciaux est elle aussi très marquée, les premiers demeurant foncièrement superficiels et les seconds plus ou moins arriérés.
Fan de
Le pitch : Monsieur entretient une passion excessive, que ce soit pour une star, pour sa moto ou pour un loisir quelconque. Passion que Madame ne supporte plus, ce qui la pousse à se conduire en véritable mégère. Un canevas fort bien reconstitué par Rémi Gaillard et ses complices dans « Marre de vivre avec un éternel gamin » (un prix d’interprétation pour Ludivine ?).
Dans Confessions intimes, nous avons ainsi régulièrement droit au fan de Johnny Hallyday qui néglige sa femme, au sosie de Claude François qui néglige sa femme, à l’obsédé des bagnoles qui néglige sa femme… Le maître du genre demeure bien sûr le passionné des camions, personnage-culte qui nous a tous beaucoup marqués (« J’aime les camions plus que ma femme », rediffusé le 30 avril 2013). Le bonhomme a même une page Facebook de fans qui comporte plus de 1000 membres.
Certes, pris au premier degré, ces personnes paraissent pathétiques. Pourtant, à y regarder de plus près, il y a quelque chose de dérangeant dans le monde défendu par ces émissions : le simple fait d’avoir un centre d’intérêt, ou pire, une passion, est-il donc si déviant ? C’est ce qui ressortait d’un récent reportage consacré à un cas pour le moins inoffensif, celui d’un jeune homme passionné par un soap opéra : « Mon fils est accro aux Feux de l’amour » (Confessions intimes du 12 mars). Le reportage a tout de même abouti à la destruction de toute une collection de vidéos et de magazines accumulée sur des années. Une telle violence à l’encontre du jardin secret d'un jeune homme de 20 ans était-elle nécessaire ? Dans le monde merveilleux de Confessions intimes, être fan d'une série, c’est mal. Une personne normalement constituée se doit d’avoir un univers étriqué et tourné vers des objectifs pragmatiques, lesquels sont apparemment incompatibles avec les notions de rêve et de fantasme.
Il faut tout de même apporter une nuance à ce principe dans le cas des couples mariés : les hommes, en éternels gamins qu’ils sont, demeurent les seuls habilités à posséder un semblant d’univers à eux. Ils ont le monopole de la fantaisie, même si, dans les cas extrêmes, ils ont parfois besoin d’être recadrés. Sous prétexte de remettre ces hommes dans le droit chemin, qu’ils soient fans de Johnny Hallyday ou férus de bricolage, ces émissions pointent également du doigt leurs épouses qui apparaissent comme totalement dépourvues d’imagination et de centre d'intérêt. Ce qui est vu comme parfaitement sain. Il ne faudrait pas qu’elles s’écartent du double-rôle paradoxal de reine/esclave domestique qui leur a été attribué. Ce rôle, elles le revendiquent d’ailleurs avec une certaine ferveur, encouragées en cela par l’inénarrable Karine Grandval, la psy de Confessions intimes, qui n’en rate jamais une dès lors qu’il s’agit d’indiquer à chacun quelle est sa juste place au sein du foyer.
A noter que le cas du jeune homme fan des Feux de l’Amour est un peu à part. En effet, si l’on prend le reportage au premier degré, il fallait peut-être lire une autre crainte dans sa séance de « rééducation ». Il n’y a qu’à voir l’agressivité et le stress de la mère, qui a elle-même sollicité l’émission et qui ne cesse de répéter « tu n’es pas normal » à son fils. Tout cela parce que celui-ci se passionne pour une série a priori destinée aux femmes. Au cours du reportage, cette mère va jusqu’à l’emmener dans une boîte de nuit afin de l’obliger à draguer des filles, ce qu’il se montre bien évidemment incapable de faire sous l’œil d’une mère aussi castratrice ! Ce jeune homme était-il soupçonné d’être homosexuel ? Le terme ne sera pas prononcé. Mais l’acharnement de la psy, Karine Grandval, à détruire toute trace de sa série préférée est éloquent : elle le traite comme s’il était atteint d’une pathologie qu’il ne faut surtout pas essayer de comprendre mais simplement éradiquer (aucune question ne sera posée au garçon sur l’ambiance familiale, alors qu’il semble évident que le problème, s’il y en a un, vient de là).
Le spectateur, quant à lui, sera libre de penser que le fan « déviant », celui qui confond réalité et fantasme et a besoin de se faire soigner, c’est avant tout celui qui harcèle sa star en squattant les alentours de son domicile. Justement, dans le reportage, le jeune homme a rencontré son actrice préférée lors d’une projection organisée par un cinéma. Il n’a montré aucun signe de déséquilibre.
Miroir, mon beau miroir
Le pitch : Madame est obsédée par son apparence et passe son temps devant son miroir. Tremblant à l’idée de voir apparaître une ride ou de lire « +0,1 kg » sur sa balance, elle développe des complexes irrationnels que Monsieur (qui n’est en général pas un canon) peine à comprendre. Bien souvent, elle trouvera la solution à tous ses problèmes non pas en fréquentant un cabinet de psy, ni même en découvrant les joies de la lecture ou les bienfaits du sport, mais en pénétrant dans une clinique de chirurgie esthétique pour faire la connaissance de son nouveau gourou, le chirurgien plasticien, généralement un cinquantenaire grisonnant au regard suave et à la voix grave et rassurante.
Nous disions que les femmes n’avaient pas droit à des centres d'intérêt, à un peu de fantaisie... Avions-nous donc tort ? Absolument pas ! Le « centre d’intérêt » de ces femmes se résume à leur petite personne. Une manière d’entériner le cliché voulant que les femmes soient des êtres autocentrés, dont la seule préoccupation est l’apparence physique. Des femmes dévoilées sous un jour résolument pragmatique, donc, comme dans le thème précédent. A ceci près que ce pragmatisme n’est pas justifié par le besoin de faire tourner un foyer mais s’avère dédié à la seule alternative qui semble permise aux femmes à la TV française aujourd’hui : être belle.
Pour résumer la vision des femmes dans ces émissions, elles apparaissent soit comme des mères ayant renoncé à toute envie de séduction (voir le thème précédent), soit comme des êtres superficiels obsédés par leur apparence.
Outre leur caractère sexiste, ces sujets ont pour effet pernicieux de banaliser la chirurgie esthétique. Ainsi, dans le monde magique de Confessions intimes, on se rend chez son chirurgien plasticien comme on irait chez son dentiste, c’est-à-dire avec un soupçon d’angoisse mais guère plus. Dans les épisodes les plus trash, que l’on pourrait faire entrer dans la sous-catégorie « Méchante reine de Blanche-Neige », Madame est non seulement narcissique mais elle entretient une rivalité pathologique avec sa fille, empêchant celle-ci de s’épanouir. Ce fut le cas dans « Miroir, Miroir, dis moi que je suis plus belle que ma fille » (Confessions Intimes, 9 avril 2013), épisode qui mettait en scène une mère narcissique rabaissant constamment sa fille et oubliant sa position de mère. Cet épisode trouvait une conclusion particulièrement navrante : une opération esthétique sur la jeune fille (une liposuccion), dans la joie et la bonne humeur. Au passage, la jeune fille, plutôt jolie, était âgée d’à peine plus de 20 ans et avait déjà subi une opération des seins. Non seulement aucun regard critique n’était apporté sur la décision de cette pauvre gamine, victime tout à la fois d’une mère toxique (si l’on prend le reportage au 1er degré) et de l’hyper-sexualisation du corps féminin dans les médias, mais la relation mère/fille était présentée comme assainie après l’opération… Un happy end qui, je vous l’avoue, m’a laissée pantoise.
Super size me
Le pitch : Madame est obsédée par ses kilos. Logiquement, elle a besoin que toute la France soit au courant afin de perdre du poids. Dans certains cas, elle a de bonnes raisons de vouloir maigrir car ses kilos en trop menacent sa santé. Dans d’autres, elle est juste un peu ronde voire parfaitement normale.
Le sujet sexiste par excellence. M6 lui a même dédié un programme à part entière en copiant un concept britannique : nous parlons bien sûr du désolant mais ô combien hilarant Belle toute nue. Ne niez pas, vous l’avez déjà regardé vous aussi.
Ce genre est à rapprocher du précédent : il s’agit d’une femme obnubilée par son physique. Sauf que cette fois, ce n’est pas parce qu’elle se prend pour une déesse mais pour les raisons inverses : elle a d’énormes complexes, ce qui la rend forcément malheureuse. Sous des dehors de quête d’affirmation se soi, le propos est toujours le même : pour une femme, la beauté est l’unique indicateur de bonheur.
Ces reportages sont également l’occasion pour les cameramen de filmer des jeunes femmes en petite tenue dans leur chambre, se scrutant l’air angoissé dans un miroir, avec des slips tue-l’amour pour davantage de réalisme. Le tout sous couvert de déballer les complexes intimes de la participante. On imagine l’ambiance au sein de l’équipe des « journalistes ».
A propos de kilos en trop, il faudrait un jour que quelqu’un se dévoue pour faire une petite expérience : prendre tous les programmes d’une journée sur toutes les chaînes TV et radio réunies, en incluant les publicités, les magazines, les talk shows, etc., et compter le nombre de fois où l’ont parle du poids des femmes. Le résultat promet d’être vertigineux.
Moi… Lolita
Le pitch : La variante djeuns du thème « Miroir, mon beau miroir » mérite que l’on s’y attarde. Une (très) jeune fille s’abîme jour et nuit dans la contemplation de son miroir. Dans sa chambre, dans sa salle de bain, sur les vitrines des magasins. Ses loisirs préférés ? Se faire belle, bien sûr, mais aussi faire du shopping. Son ambition dans la vie ? Devenir une star.
Comme dans tous les cas précédents, la jeune fille s’avère dénuée de tout univers intérieur. Son niveau de réflexion avoisine le zéro absolu, son projet professionnel le néant, ce qui n’empêche pas la voix-off du reportage de parler d’elle comme d’une « personnalité à part », comme si sa vacuité intellectuelle lui donnait un prestige particulier. Comme de bien entendu, cette caricature de la jeune fille d’aujourd’hui s’avère arrogante à l’extrême, voire franchement tête à claque (voir Jessica dans « Je suis belle et je l’assume », Confessions intimes). A noter également que cette jeune fille, lorsqu’elle est célibataire, ne cherche pas particulièrement un petit ami. Comme si son obsession était déconnectée de la fonction première du soin que chacun peut accorder à son apparence, à savoir la séduction, et se justifier par le seul besoin d’être admirée par… par qui, au fait ? Par l’ensemble abstrait et indivisible que l’on nomme communément « les autres », je suppose. Et par les caméras, évidemment. Et si la chaîne lançait ces sujets uniquement pour recruter des starlettes ?
Lorsqu’un tel sujet est diffusé, il suffit de lire les réactions sur les forums débattant de ces émissions pour se rendre compte du rapport ambigu que le public féminin entretient avec ces jeunes filles. Il faut dire que tout est calculé pour qu’elles apparaissent tour à tour comme détestables ou admirables, afin d’inspirer tout à la fois le mépris et l’envie. A noter que ce type de personnage existe aussi au masculin (voir le récent « Je suis né pour être une star », Confessions intimes, 16 avril) mais dans ces cas-là, au contraire de la jeune fille qui finira par décrocher une séance photo, le jeune homme, lui, devra réaliser le caractère ridicule de son obsession. Eh oui, dans le monde merveilleux de Confessions intimes, les ambitions sont décidément sexuées. Chacun reste à sa place.
D’autre part, si la majorité des participants sont des filles, celles-ci se révèlent parfois très jeunes. Trop jeunes. C’est pourquoi ce type de programme n’est pas uniquement destiné aux femmes, comme le suggèrent les nombreux plans sur les participantes dans leur chambre ou dans leur salle de bain à moitié dénudées, parfois en sous-vêtements, ou bien prenant des poses sexy dans le cadre de séances photos coquines. En tout cas, les cameramen, ces coquins, se font plaisir quelque soit l’âge de la participante.
Damien* est de retour
(*Appellation en référence à l’enfant démoniaque du film La Malédiction de Richard Donner)
Le pitch : Monsieur et Madame ne parviennent pas à gérer leur enfant (à mettre éventuellement au pluriel), lequel se comporte, il faut le dire, en véritable petit démon. Insolent, irrespectueux, parfois violent, le garnement fait endurer un véritable calvaire à ses parents, qui ne l'ont visiblement pas socialisé correctement, quant ils n'ont pas oublié de lui apprendre à parler. Bien sûr, à la fin de l’émission, même le plus hargneux des marmots nous semblera irrésistiblement mignon. Oui, car au fond, ce n’est qu’un enfant.
Au programme des réjouissances, démission du père et sentiment d’hyper-culpabilité de la mère. La femme moderne est montrée du doigt comme inapte à gérer son foyer ; et ce, même si cette femme moderne est bien souvent une femme au foyer (ces programmes ne semblent pas avoir entendu parler du concept de population active féminine). L’homme moderne, lui, n’est pas épargné : il est montré comme incapable d’assurer son rôle de « chef de famille », une notion qui n’a plus cours aujourd’hui mais qui fait bel et bien partie du vocabulaire de notre chère Karine Grandval, véritable garante du système patriarcal.
Il est fort probable que bon nombre de ces enfants ne soient pas aussi ingérables que ces émissions le laissent penser. À la grande époque de Super Nanny, des parents avaient ainsi rapporté que leurs enfants avaient été poussés par les journalistes à commettre des bêtises dans la cuisine, au mépris de toute considération de sécurité, ce qui avait valu par la suite à cette famille d’être boycottée par son voisinage.
Cela dit, on se demande ce que ces enfants penseront à l’âge adulte quand ils découvriront que leurs parents les ont ainsi présentés devant les caméras sous ce jour déplorable… Tout cela pour un petit moment de célébrité. Certes, comme l’a prouvé Rémi Gaillard, les journalistes manipulent les participants et scénarisent les sujets. Mais trêve de misérabilisme : il appartient aux parents de prendre leurs responsabilités ! N’ont-ils pas peur que leurs enfants les haïssent des années après ? Par exemple s’ils ont subi du harcèlement à l’école suite à ces émissions. Pour aller plus loin, à une époque pas si lointaine, il était considéré comme prudent de ne pas exposer ses enfants devant les caméras. Ils pouvaient par exemple devenir la cible de kidnappeurs, si les parents s’avéraient avoir une situation sociale aisée, ou même de pédophiles. Aujourd’hui, exposer ses enfants est devenu normal. Que penser des chaînes qui exploitent l’image de ces enfants, mais aussi de ces parents qui viennent pleurnicher devant les caméras alors qu’ils n’hésitent pas mettre en danger leur progéniture ?
Little Miss Sunshine
Le pitch : Une combinaison des genres « Damien est de retour » et « Moi… Lolita ». Cette fois, nous avons droit à un enfant, garçon ou fille, qui se prend pour une star. Quand c’est un garçon, c’est en général parce qu’il a développé une compétence particulière, comme le chant ou la danse. Quand c’est une fille, devinez pour quelle raison elle se prend pour une star ? Parce qu’elle est la plus belle. Dans le monde magique de Confessions intimes, les ambitions sexuées apparaissent dès l’enfance.
Dans ces reportages, la mère apparait plus que jamais comme esclave des caprices de son enfant, tandis que le père est en général absent ou effacé. Le spectateur, quant à lui, tend à sympathiser avec le frère ou la sœur qui se retrouve réduit à l’état de mobilier, tandis que la « star » prend toute la place. Là où ces sujets se distinguent du genre « Damien est de retour », c’est dans le point de vue ambigu adopté par les journalistes qui semblent donner raison à ces enfants qui auraient pourtant bien besoin d’être recadrés. Ainsi, il n’est pas rare que le sujet se solde par la victoire de l’enfant dans un concours de beauté. L’occasion pour les cameramen de faire des plans bien racoleurs sur des petites filles attifées en femmes.
A quand un reportage explicitement pédophile ? On n’en est pas loin. On ne peut pas légiférer sur tout. Mais s’il est un terrain où les pouvoirs publics devraient peut-être poser un cadre, c’est sur l’exploitation de l’image des enfants.
Non, ma femme, tu n’iras pas danser
Le pitch : Monsieur est extrêmement jaloux et ne supporte pas que Madame parle à d’autres hommes, quand il ne lui interdit pas de sortir de la maison. Dans les épisodes les plus trash, Monsieur persécute Madame au quotidien, la somme d’effectuer les tâches domestiques et de lui apporter son café, l’insulte dès qu’elle enfile des talons aiguilles.
Le jour où le canular de Rémi Gaillard a été diffusé, c’est-à-dire le 16 avril 2013, nous avons pu (re)découvrir dans la foulée un sujet de ce genre, qui s’intitulait « Je ne veux pas être une femme soumise ». Les séquences mises en scène se sont révélées particulièrement choquantes puisque le jeune homme rabaissait son amie à la moindre occasion et n’hésitait pas à la traiter de « pute » dès qu’elle faisait un effort pour s’habiller. Pire, il est allé jusqu’à la brutaliser devant les caméras. La séquence s’est déroulée dans une boîte de nuit : échappant à la surveillance de son homme, la jeune femme s’est aventurée sur la piste de danse, ce qui lui a valu d’être entraînée de force par le jeune homme hors de la pièce : il l’a attrapée par la taille, l’a soulevée, l’a jetée hors de la piste avant de la pousser littéralement dehors.
Cette séquence dérangeante a très certainement été orchestrée par l’équipe de Confessions intimes. Il n’empêche que la première chose que l’on pense, à la vue d’un tel épisode de la vie de couple, c’est que nous avons affaire à un cas de violence conjugale. Avec le recul, on se dit qu’il est très peu probable qu’un homme qui bat sa compagne accepte de voir les caméras débarquer chez lui. Seulement voilà : ce sont ces images choquantes que l’on retiendra de ce jeune couple. Et de ce jeune homme, que la présentatrice Marion Jollès Grosjean a fièrement taxé de « machiste » lors de la reprise du reportage après la pub (ce qui fait doucement rigoler quand on sait à quel point l’émission est sexiste). Le verdict est donné, l’image du jeune homme définitivement entachée.
L’objectif de cet article n’étant pas de faire des suppositions sur la réalité de ce couple, je m’en tiendrais au propos du reportage, facile à décrypter quant à lui. Il s’agit ni plus ni moins que d’encourager les femmes maltraitées à accepter les petits défauts de leurs compagnons. Ainsi, dans l’imaginaire sans borne de notre amie Karine Grandval, envoyée en mission pour sauver ce couple de la séparation, ce genre de comportement témoigne juste d’un « trop plein d’amour » de la part d’un jeune homme « un peu trop traditionnel » (citations véridiques). Le harcèlement et la violence sont donc des preuves d’amour. Où sont les féministes quand on a besoin d’elles ? A noter également que, quand Confessions intimes nous dégote un couple de ce genre, l’homme se trouve très souvent avoir des origines maghrébines ou africaines. Et SOS racisme, est-ce que vous me recevez ?
TV FRANÇAISE : DÉCLIN CRÉATIF ET DÉCADENCE
Clichés sexistes ou racistes, destruction de l’image du couple, dévalorisation de la cellule familiale, hypersexualisation des enfants, tels sont les idéaux propagés par ces programmes dans les esprits naïfs, ceux qui prennent ces reportages au premier degré. Nous nous sommes attardés sur Confessions intimes (TF1) mais nous pourrions dresser le même constat sur C’est ma vie (M6), 100% mag (M6) ou encore Tellement vrai (NRJ12). Ces émissions se suivent et se ressemblent, dressant inlassablement le même tableau peu flatteur de la France d’aujourd’hui. On aimerait que les associations luttant contre les différentes formes de discrimination (sexisme, racisme, homophobie…) ne se contentent pas de s’exprimer lorsqu’une affaire défraie la chronique ou qu’un politicien profère une parole de trop, mais qu’elles se penchent aussi sur ces émissions du quotidien, sans doute considérées comme inoffensives alors que leur effet est extrêmement pervers car insidieux.
Depuis que la téléréalité a ouvert les vannes, les reportages reposant soi-disant sur le réel ont banalisé ces représentations. On s’étonne de l’immobilisme chronique du CSA qui n'a semble-t-il jamais défini un cadre à ces programmes, notamment lorsque des enfants sont impliqués. La journaliste Françoise Laborde, membre du CSA ayant récemment saisi ses collègues pour interdire le dernier clip d’Indochine (College Boy, réalisé par Xavier Dolan), n’a-t-elle rien de mieux à faire que de censurer l’expression artistique ? Qu’elle commence par regarder la télévision française du quotidien : notre TV est violente, amorale et décadente. Justement, puisque le clip incriminé attire l’attention sur la violence entre les jeunes, soulignons que les pseudo-magazines-vérités tels que Confessions intimes puisent leur succès, à l'instar de la téléréalité, dans les plus bas instincts de l’être humain, celui qui nous pousse à nous moquer des autres à grand renfort de voyeurisme.
D’autre part, d’un simple point de vue créatif, il faut savoir que ces programmes, qui sont souvent copiés sur l’étranger, prennent des slots qui pourraient être réservés au développement de fictions télévisuelles françaises, en plus de reposer sur des sujets fournis non pas par les journalistes mais par des quidams motivés par un bref moment de célébrité. Et pendant que les journalistes ou scénaristes perdent leur temps à réécrire ces histoires et à scénariser les bagarres entre les bimbos de la téléréalité, la France accumule un énorme retard en matière de séries TV et se laisse dominer sur ce terrain par les Américains, au contraire d’autres pays d’Europe ou d’Asie qui ont décidé de ne pas voir cette prédominance comme une fatalité et de développer leur propre industrie. Le résultat se voit directement sur Internet : parmi les jeunes Français, on trouve beaucoup plus d’amateurs de séries TV coréennes ou japonaises que de fans de séries françaises. Un constat sidérant dans un pays comme le notre, réputé pour son cinéma depuis des décennies. C’est d’autant plus triste que la France fourmille de talents qui ne demandent qu’à s’exprimer mais qui peinent à vendre leurs propres productions, quand ils ne se retrouvent pas relégués au registre amateur, tandis que nos chaînes de télé dilapident leur argent dans des fumisteries obscènes telles que Confessions intimes. Ce n’est pas seulement une émission qu’il faut blâmer mais tout un système qu’il faut revoir de fond en comble.
Elodie Leroy
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