De la confusion intellectuelle entretenue par les médias au sujet de l’information
Un article qui réfute l’absurde distinction entre « information » et « communication », a suscité sur Agoravox, mercredi 7 octobre 2009, des commentaires intéressants (1). Certains permettent de mesurer la confusion intellectuelle qu’entretient dans les esprits « la théorie promotionnelle de l’information » martelée sans cesse par les médias et enseignée par l’École. Il est vrai qu’analyser l’information n’est pas chose aisée, puisque c’est s’aventurer dans un univers d’illusions et de leurres.

Première erreur : une confusion entre deux notions
La première est de mélanger deux notions : 1- la représentation plus ou moins fidèle de la réalité et 2- la loi de l’influence qu’exerce toute information dans une communication, qu’elle soit donnée, dissimulée ou extorquée. On n’échappe pas plus à cette loi d’influence dans « la relation d’information » qu’on ne se soustrait à la loi de la pesanteur sur terre. Pis même ! Si, dans l’espace, comme le capitaine Haddock sur la vignette ci-contre, on peut flotter en apesanteur, il n’y est pas possible de s’affranchir de la loi d’influence : un interlocuteur ne pourrait comme la boule de whisky rester indifférent au capitaine ! Mais les médias prétendent avec aplomb le contraire.
Océan a cité, en exemples, quatre variantes de la remarque qu’un chef du personnel peut adresser à un employé qui arrive en retard à son travail : 1- « Vous arrivez à 10 h. » ; 2- « Vous arrivez en retard. » ; 3- « Vous arrivez tard. » ; 4- « Vous avez vu l’heure ? » ; on pourrait en ajouter une 5ème : « C’est à cette heure-là que vous arrivez ? ». Et Océan d’expliquer que c’est « la factualisation, comme repère d’incontestabilité » qui différencie l’information de la communication : « En factualisant de moins en moins, conclut-il, on passe progressivement de l’info à la com. ». Donc la version n°1 est de « l’information » et les autres, de « la communication ». L’analyse paraît rigoureuse, simple et séduisante : « l’information » serait donc identifiée à la représentation la plus fidèle de la réalité et « la communication », à la représentation qui s’en éloigne.
L’erreur commise pourtant par Océan est précisément dans ces identifications arbitraires et abusives qui lui font oublier le seul critère que les journalistes brandissent pour distinguer l’acte d’informer et celui de communiquer et qui est l’absence de projet ou d’effet d’influence. La question n’est pas de savoir si la représentation de la réalité est plus fidèle dans un cas que dans l’autre, mais s’il y a ou non influence sur l’interlocuteur quand on informe. Et la réponse est oui : dans les deux cas, une influence est exercée avec plus ou moins d’efficacité, ce que journalistes et même publicitaires cherchent à nier et à masquer en jouant sur les mots pour tenter de gagner la confiance de leurs récepteurs.
Océan offre, du reste, à son corps défendant un exemple qui le montre. La version n° 1, « Vous arrivez à 10 h », a beau être une remarque qu’il appelle curieusement « factuelle » (c’est le langage de la théorie promotionnelle des médias !) par sa référence chronométrique vérifiable que l’employé fautif ne peut contester : cette seule mention par le chef du personnel vise à influencer l’employé qui doit comprendre que son retard n’est pas passé inaperçu, qu’il risque d’avoir des conséquences, etc. Mais il est à noter aussi que si le chef du personnel ne dit rien en pareil cas, son silence est aussi une information qui influence : l’employé peut en déduire que son retard est admis, qu’il peut donc continuer à ne pas être ponctuel ! À s’en tenir aux catégories d’ Océan, où classer le silence du chef du personnel ? C’est de "l’information" ou de "la communication" ? Les deux, évidemment, comme toutes les variantes !
C’est cette dénégation d’influence qu’affichent les journalistes pour tenter vainement de protéger les mots « informer » et « information » de toute pollution d’opinion susceptible d’influencer : les mots « factuel » et « informatif » qu’ils ont inventés pour qualifier un énoncé, signifient qu’il n’aurait aucune visée d’influence ! Or, c’est faux parce que c’est impossible ! Prétendre n’exercer aucune influence est encore une manière d’influencer !
Deuxième erreur : la mise hors-contexte de « la relation d’information »
Les autres exemples d’ Océan le confirment : « On peut dire, écrit-il, qu’avec « ça coûte 10 € » j’informe et qu’avec « ça coûte pas cher » je communique. La communication est alors « une information orientée », comme dans « il fait froid » (vs « il fait 3°C »), ou dans « ils sont très nombreux ». « 2 millions de votationeurs », c’est de l’info, « mobilisation énorme », c’est de la com. » Non ! Car toute information est orientée ! Dire que « ça coûte 10 euros » influence autant que de dire « ça coûte cher », même si c’est de façon différente.
La deuxième erreur, en effet, que commettent les partisans de la distinction entre « informer » et « communiquer », c’est la mise hors-contexte de leurs exemples qui les empêchent d’en comprendre les significations possibles. Dire à quelqu’un que « Ça coûte dix euros » peut signifier que ce n’est pas cher ou que c’est cher, selon le contexte : l’intonation est alors un des indices qui orientent la compréhension ; de même, dire « Il fait 3°C » peut signifier tout aussi bien, selon le contexte, qu’il ne fait pas si froid que ça, ou au contraire qu’il fait glacial ! Il en est de même de l’appréciation d’une votation.
Mieux, dans le contexte d’échange où l’on se trouve ici, en présentant ces exemples prétendument « neutres », « factuels », que fait Océan ? Il cherche à apporter des illustrations convaincantes à ses yeux pour fonder la distinction entre « informer » et « communiquer » : il cherche à influencer son interlocuteur, et ce, fort légitimement, comme on le fait soi-même en réfutant ses arguments.
L’ennui, c’est que les mots de « mensonge » et de « vérité » sont des termes moraux à proscrire de l’analyse de l’information, car ils désorientent. Une maxime prêtée à Churchill en offre un exemple : « En temps de guerre, aurait-il dit, la vérité est si précieuse qu’elle devrait toujours être protégée par un rempart de mensonges ». On voit bien que le mot « mensonge », si négatif sur le plan moral, reçoit ici une charge positive puisqu’il permet de sauver la vie d’un pays et de ses habitants, qui est tout de même le bien suprême.
Or, cette stratégie n’est pas réservée aux pays en guerre. Chacun la pratique quotidiennement, puisque nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire ! Il n’est donc pas une seule information qui échappe, en principe, au filtre des motivations d’un émetteur : soucieux de ne pas s’exposer aux coups d’autrui, celui-ci livre une représentation de la réalité plus ou moins fidèle qui influence, conformément à ses intérêts.
(1) Paul Villach, « Le titre d’un livre de D. Wolton - « Informer n’est pas communiquer » - cruellement contredit par sa couverture », AGORAVOX, 8 octobre 2009.
« En entreprise, en matière d’évaluation des personnels, on pratique couramment, entre information et communication, une distinction fondée sur la factualisation, regardée comme critère d’incontestabilité.
La contestabilité n’est pas une notion binaire : on ne peut pas dire que quelque chose est contestable ou pas, en réalité les choses sont plus ou moins contestables (sinon les avocats mettraient la clé sous le paillasson). Il existe un gradient de contestabilité.
La factualisation peut donc être considérée - et c’est le cas dans l’éval des personnels - comme un repère d’incontestabilité : plus on est factuel, moins on est contestable.
« vous arrivez à 10 h. » c’est un fait qui ne peut pas se discuter facilement ; « vous arrivez en retard » ouvre déjà la voie à interprétation, « vous arrivez tard » est une opinion personnelle, et « vous avez vu l’heure ? » est une engueulade qui relève de l’affect. En factualisant de moins en moins, on passe progressivement de l’info à la com.
Pour clarifier le vocabulaire, toujours dans le contexte que j’évoque, on peut dire qu’avec « ça coûte 10 € » j’informe, et qu’avec « ça coûte pas cher » je communique. La communication est alors « une information orientée », comme dans « il fait froid » (vs « il fait 3°C »), ou dans « ils sont très nombreux ». « 2 millions de votationeurs », c’est de l’info, « mobilisation énorme », c’est de la com.
Que l’information et la communication soient toutes deux, comme vous le dites justement, un lien entre deux personnes, me semble de nature à permettre l’introduction du qualitatif, comme valeur ajoutée aux données qu’on échange : le QG opérationnel informe le ministère de la mort du soldat untel, mais le ministère ne transmettra pas telle quelle l’information à la famille : info dans un cas, com dans l’autre, et heureusement. Communiquer peut être tromper - le mensonge relève de la communication, pas de l’information - mais communiquer peut aussi humaniser.
Ce qui brouille les pistes, en fait, c’est que si l’information n’est pas en soi un objet politique (elle est neutre), le politique est si avide qu’il s’en empare immédiatement, toujours, de toutes les façons possibles, à toutes fins utiles, et à tout prix. »
« A quoi servent les mots ? Ne serait ce pas à distinguer, par exemple, un objet d’un autre, un concept d’un autre ?
Une chaise est elle la même chose qu’un fauteuil ? On s’assoit. Il y a un dossier et 4 pieds. Tiens, l’un est dépourvu d’accoudoirs. Ce n’est donc pas tout à fait la même chose.
Une information lue sur Agoravox, « L’Etat pompe l’argent de la Sécu ». Preuves et arguments à l’appui. Un peu ennuyeux comme article mais n’est ce pas important de savoir que derrière le trou, il y a un fossoyeur ? L’article s’adresse clairement à la conscience citoyenne mais provoquera peut-être un sentiment de colère chez certains et de fatalisme chez d’autres.
Au fond, on peut ergotter sans fin sur l’infime différence de sens entre les 2 mots, mais non vraiment, malgré le talent de Paul Villach, le concepts « communiquer » est différent du concept « informer ». »
27 mars 2007
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